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Music

Avoir un boulot est ce qui peut arriver de pire quand on joue dans un groupe

On a confié une rubrique à Jason Williamson, le chanteur de Sleaford Mods. Aujourd'hui, il nous parle de son travail et de la façon dont celui-ci complique sa vie et celle de son groupe.

Photo - Simon Parfrement Jason Williamson est le chanteur de Sleaford Mods. On l'a invité à s'exprimer sur tout un tas de sujets divers, et ce, dès qu'il en aurait envie. Pour cette première colonne, il a choisi de nous parler de son travail et de la façon dont celui-ci compliquait sa vie et celle de son groupe.

Quand tu as un travail à côté de la musique, il n’y a rien de pire que les séances d'enregistrement, parce que le seul moment où tu peux t'y mettre, c'est après ta journée de boulot, le soir jusque tard. Et vu que les séances d’enregistrement impliquent toujours leur lot d’alcool et/ou de weed (c'est selon), vous ramasserez obligatoirement le lendemain au bureau, encore défoncé de la veille ou avec une méchante gueule de bois - idéal pour empirer une qualité de vie de bureau déjà bien dégueulasse. D’ailleurs, je suis étonné qu’on n’ait pas encore parlé des « hémorroïdes d'open space » causées par tout ce jus de chaussette infect qu'on ingère à longueur de journée et qui macère dans nos intestins. Partout, des culs fourré au café soluble. C'est atroce.

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On n’organise jamais de séance d’enregistrement à l’avance, on ne prévoit rien, excepté les paroles et les beats. Je me charge d‘écrire les paroles, le plus souvent au bureau, dans le bus ou aux chiottes, à chaque fois que j’ai un peu d’inspiration. Andrew s’occupe de la musique, il fait ça chez lui, il est du genre rapide. Quand on se voit, on écoute tout ça, en espérant que ça colle. Même si ça nous met dans un sale état le lendemain, on n’arrive à enregistrer que quand on est bourrés. Déjà parce que l’euphorie de l’ivresse booste nos capacités de création et aussi parce qu’on a l’habitude, dès qu’on a bouclé un morceau, de se payer une paire de tournées. Et si on se débrouille bien, on boucle entre deux et trois morceaux par nuit. Pour que ça marche, j’ai besoin d’un beat solide ou d'une structure un peu plus complexe dans l’esprit couplet/refrain/pont. Quand on tente d’autres choses, c’est souvent moins convaincant, mais on ne perd rien à tenter de nouvelles expériences. Ça ne fait pas de mal.

Le lendemain je passe généralement une journée de merde, je me tape de grosses phases parano et les relents de tabac me font grave ramasser. Après une séance d’enregistrement je me couche vers 1 ou 2 heures du matin pour me lever à 6h30. Je repasse une chemise, je zone un peu. C’est infernal. Je ne peux pas enregistrer le week-end parce que j’ai une famille et je veux pouvoir passer du temps avec elle, donc il ne me reste plus que les soirs de semaine. Ça craint, vraiment. Enfin je veux pas passer pour un connard qui se plaint ou quoi, mais toutes ces contraintes me font vraiment chier. Alors bien sûr, à l'arrivée, tu as tes morceaux, mais c’est cher payé et ta santé en prend un sacré coup. Le boulot, c'est vraiment ce qui existe de pire. Quand on a un emploi, il faut prendre sur ses vacances pour faire des dates, sur ses week-ends et parfois sur ses soirées en semaine, c’est la seule solution sinon il faut lâcher son boulot et ça, je ne peux pas me le permettre. Quand on joue en Angleterre, on peut faire nos concerts le week-end en prenant soit la soirée du jeudi, soit la soirée du lundi en plus. Steve nous emmène dans sa Polo et on rentre dans la nuit. On est généralement de retour chez nous vers 4 heures du matin.

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Évidemment, on ne peut pas fonctionner comme ça pour nos tournées européennes. On essaye de caler deux dates par week-end, sous réserve qu’il n’y ait pas de problème avec le train ou l’avion. C’est hyper bizarre de se dire qu’on peut tout défoncer sur la scène d’une petite ville en Suisse et être à notre bureau le lendemain à boire ce café dégueulasse. J'aime tourner, c'est ça le plsu important quand tu as un groupe. Plus tu fais de dates, plus les organisateurs de concerts te contactent. Chaque concert peut ouvrir la porte de nouvelles opportunités et nous permettre de jouer dans d’autres régions, d'autres pays.

Quand le groupe dans lequel vous jouez prend de l’importance, la réaction des collègues peut varier. Tout dépend de la personne que vous avez en face de vous. Les ouvriers et les cadres qui bougent au travail aussi rapidement qu’ils rentrent chez eux le soir, et qui ont dégagé de leur vocabulaire toute notion d’« ambition », ces gens là sont plutôt respectueux et très peu envieux — ils vous laissent tranquille.

Honnêtement, la plupart des gens au bureau s’en foutent. On en parle parfois, au cours d’une conversation, mais ça n’a plus rien d’incroyable aujourd'hui, d'ailleurs plus je vieillis plus je me dis qu’en fait être dans un groupe n’a jamais été si dingue que ça. Et puis, forcément, il y a les connards. Ayant été un connard moi-même, j’ai vite reconnu ces langues de pute quand je suis devenu leur cible, à mon tour. Ces tocards sont, généralement, des « musiciens » avec lesquels j’ai un jour eu la mauvaise idée de collaborer. C’est en devenant leur victime qu’on se rend compte du poids de la jalousie. J’ai aussi été un connard avec certaines personnes, mais c’est parce que leur musique était vraiment à chier.

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Cette rancoeur leur gâche la vie, ils préfèrent s’enfermer dans leurs idées et arrêter de vous voir ou de vous parler parce que c’est leur façon de gagner la bataille, en vous montrant que vous n'êtes pas digne de leur intérêt. Les plus dangereux restent les musiciens qui ont un jour connu le succès avec leur ancien groupe. Ceux là ne peuvent pas piffrer l’idée que d’autres réussissent, ils refusent tout simplement d’y croire. Ils savaient que votre groupe allait marcher, ils se sont montés un réseau dans les bars et ont profité de votre naïveté pour jouer avec vous, et vous niquer petit à petit. Chacun de leurs mouvements est méthodiquement réfléchi et mis en oeuvre.

Le travail nous pompe toute notre énergie, doucement mais sûrement. J’ai 44 ans et même si ma tête me dit que je peux m’envoyer trois ecstas après un concert, et enchaîner les pintes et les clopes, je sais que je n’en suis plus capable. Mon corps pourra encaisser mais ça aura des conséquences vraiment pénibles. J’essaye de ne plus me mettre minable, je préfère faire du sport, même si mon travail ne me laisse pas une minute pour ça. Tu dois organiser toute ta vie autour de ce merdier et c'est quasi-impossible. Je suis papa, ma fille a 3 ans et elle se réveille souvent pendant la nuit, c’est fatiguant et ça ruine tous mes plans pour me lever une heure plus tôt et aller courir. Et il y a les bonbons et les gâteaux pour les anniversaires au bureau… Bien sûr je ne me prive pas, j’ai jamais rencontré personne qui n’aimait pas les sucreries. Ça m’énerve, vraiment. Je leur en veux de me détourner de mes objectifs, de me gaver de leurs gâteaux, de me forcer à rester dormir alors que je pourrais aller courir et faire du gainage.

J’aimerais quitter mon boulot pour me concentrer pleinement à ma musique — je pourrais vraiment y réfléchir, peser le pour et le contre. Mon travail au bureau a fait de mon groupe ce qu’il est maintenant mais ça ne pourra pas durer comme ça éternellement. Je ne pourrai pas toujours me plaindre de mon boulot dans mes morceaux, j'ai besoin d’évoluer. Je peux jongler entre les papiers, les concerts et les séances d’enregistrement tout en gardant un emploi. Sortir un morceau prend à peine cinq minutes. On gère nos dossiers et nos contrats par mail, en un rien de temps. Mais je ne pourrai pas me contenter de ça, j’ai envie d’évoluer.

Est-ce que je peux vraiment évoluer ? Qui a dit que je ne pouvais pas garder mon travail tout en jouant dans un groupe à plein-temps ? Pourquoi est-ce que je devrais quitter mon taff ? Pour rencontrer des groupes « de notre niveau » ? Pour donner plus de concerts ? Pour me reposer un peu plus ? Qu’est-ce que ça donnerait ? Tout ça pour que je puisse voyager encore plus ? Ça m’apporterait quoi ? C’est risqué, je pourrais tomber dans la complaisance plus rapidement que je ne le pense, et commencer à chanter sur des conneries d’arbres à Singapour. Putain, jamais de la vie. Je préfère encore me gaver de sucreries et lâcher des caisses dans le parking. Y'a pas vraiment d'issue, pas vrai ?

Nique le boulot. Jason est sur Twitter - @sleafordmods