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Music

Devine quoi, connard ? J’y suis arrivé.

Jason Williamson des Sleaford Mods retrace son parcours, du néant post-Britpop au succès inespéré de son projet digi-punk prolo.

La naissance du « Party Boy » et le troisième revival Mod

J'ai mis au moins 20 ans à trouver ma voix. Au cours de ces deux décennies, j'ai surtout découvert que j'avais une paire de couilles. Puis j'ai adopté une personnalité : cette merde abjecte qu'on désigne sous le nom de « Party Boy », le fêtard, le tocard de la nuit, celui qui a tout vu et tout fait. Je dégotai en même temps un repère secret, une espèce de hangar rouillé avec un toit en amiante et un unique radiateur électrique, le lieu idéal pour ramener les radasses que je levais dans le petit milieu musical local. C'étaient des meufs de troisième division mais je devais en passer par là si je voulais bien comprendre les tenants et les aboutissants de l'industrie musicale, secteur à l'époque considéré comme particulièrement florissant.

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On était à la fin des années 90 et, par extension, du millénaire, et ça faisait un moment que la musique britannique ne brillait plus de ses milles phares de scooter : c'était la gueule de bois post-Britpop. Une ramasse qui a tournée au semi-coma avec l'arrivée des Strokes, des White Stripes et de toute une chiée de groupes américains qui étaient à peu près OK. Mais pour moi, et pour beaucoup d'autres, l'empreinte laissée par les Stone Roses prévalait encore, cette brève explosion qu'ils avaient impulsé dix ans plus tôt et les milliers de brèches qu'elle avait ouvert. A commencer par leurs héritiers directs, Oasis, qui à l'époque, semblait être le seul groupe à avoir retenu quelque chose du génie des Stone Roses. Comme les Stone Roses, Oasis avaient à la fois de super morceaux et un gros potentiel commercial et, comme les Stone Roses, Oasis a eu un succès amplement mérité. Parce qu'ils réinventaient la musique britannique prolo à guitare. Parce qu'ils puaient la conviction.

C'est en partie pour ces raisons qu'est né ce qu'on peut appeler le « troisième revival mod ». Ce truc menaçait le pays depuis l'arrivée des Stone Roses, mais Oasis et le second album solo de Paul Weller, Wildwood, ont définitivement ouvert les vannes, redéfinissant complètement la personnalité des types les plus jeunes avec lesquels je traînais. L'intérêt pour les mods était tellement fort qu'il a fini par se transformer en une sorte de guide des « do's & dont's » à destination des groupes.

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Mais le rêve a été de courte durée. La lourdeur du troisième album d'Oasis, Be Here Now, et sa « reprise » de « Carnation » des Jam, nous a plongés dans le néant des flirts vintage et des parkas kaki. Est ensuite arrivée la « Pub Culture », le « lifestyle » et toute ces merdes qui ont, du jour au lendemain, envahi Nottingham à coup de canons sciés et de DJs merdiques aux playlists à peine dignes d'une fête de mariage. C'était un sentiment de retour en arrière, de recommencement infernal. Tu voulais continuer à y croire, à t'accrocher à des souvenirs meilleurs. Mais ça ne faisait que te rendre plus vulnérable encore, plus enclin à écouter ces promesses vides de sens, d'autant plus que tu étais désormais habitué au nid douillet de la poudre. Dans laquelle tu finiras par complètement t'immerger.

Arrivée de la haine et de tous ses potes craignos

Dans les cercles musicaux, les voix dominantes de cette période de néantisme furent celles des branleurs qui dirigeaient les labels de taille intermédiaire. Ni vraiment indés, ni complètement majors. Pile entre les deux. Ces rats se glissaient partout, à commencer par les pubs et les clubs que les musiciens fréquentaient. Influence et pouvoir se mettaient soudain mis à dégringoler du sommet de la montagne pour venir ricocher sur ton ego, comme une putain de bouteille de champagne hors de prix qui aurait dégouliné sur le paysage de tes vacances de rêve. Entrées et checkpoints délimitaient le territoire. Face à toi : l'infanterie, composée de petits organisateurs de concerts et des « huiles » locales. Des putain de missionnaires dont le boulot est de te ratisser les villes avec leurs tentacules dégueulasses, attrapant les groupes et les abreuvant de promesses, de conseils merdiques, de bières et de matos. Une fois la proie ferrée, ils faisaient passer le message à l'étage supérieur. Un étage dirigé par un connard en chef, des connards délégués et plusieurs bébés-connards. En gros, les labels intermédiaires préparaient le terrain aux majors, comme une sorte d'entrainement avant de passer à la phase de commercialisation. Et tous ces mecs étaient souvent perçus comme des types très cools, de beaux parleurs aux fringues sales, plus vrais que vrais. Je les détestais. On aurait dit des putains de hippies assis sur le trottoir de Haight St. « Ouais man, t'es un man de Nottin' toi, ouais ? » Putains de connards, allez vous faire mettre. Overdose pour vous tous.

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Toute cette machine se nourrissait de l'énergie et de l'espoir de gamins prêts à tout pour y croire, balançant ici et là d'imperceptibles étincelles de créativité, qui étaient immédiatement mises au compte de branleurs étalant sans cesse leurs pouvoirs, des pouvoirs qui promettaient le mythe, le mythe du rock. Et qu'est-ce qu'on ramassait à l'arrivée ? Des groupes de bras cassés tentant d'imiter un truc qui avait été cool l'année d'avant. C'était le plan d'attaque imposé à chaque nouveau poulain. Et il se soldait invariablement par un échec cuisant. Toutes ces plans marketing infernaux. Toutes ces putains de soirées de lancement tellement embarrassantes qu'elles t'empêchaient de dormir la nuit suivante. Tous ces posters merdiques à filtre brumeux noir et blanc, imprimés à jamais dans ton cerveau. Tous ces projets jetables, balancés à un parterre de gens désintéressés. Tous ces contrats avortés, qui laissaient des cicatrices ineffaçables.

La poudre menait la danse. Plus tu en prenais, meilleur tu étais. Et rapidement, tu te retrouvais, comme moi, à taxer des thunes à droite et à gauche, prêt à me vendre au plus offrant, au moindrel bâtard qui aurait un projet en cours.

C'était, comme je l'ai déjà dit, la fin des années 90, et c'est à cette époque que j'ai lâché l'affaire avec les « groupes », vous savez, le schéma classique : basse, batterie, guitare, chant. J'ai tout laissé tomber en 1998. C'est comme si je me défaisais d'un putain de slip en béton couvert de merde. Comme si je quittais enfin un chemin aussi vain que fastidieux. Revisiter le passé, produire de nouvelles copies de vieux machins, voilà ce qu'on attendait de toi – sauf si, bien sûr, tu avais suffisamment de chance ou de talent pour réussir à créer quelque chose de totalement différent, ce qui n'arrivait pas souvent. Et quand c'était le cas, on finissait par te baiser de toute façon.

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Les zombies attaquent

Et puis ça a mal tourné. J'allais chez Fopp acheter en toute âme et conscience n'importe quel CD à 5 balles avec une pochette qui ressemblait à ces putains d'années 70, juste pour voir si je pouvais trouver un truc qui n'avait pas été exploité par mes camarades copistes. J'étais constamment en quête de ce truc qui allait me permettre de contribuer à l'Histoire de la musique et de m'élever au-dessus de la masse de faussaires, experts en « super riffs », faisant scintiller leurs Gibson SG et déversant des kilos de merde avec leurs groupes de blues beat-jazz de zobis. Je voulais vraiment balayer tout ça, mon pote, plus fort que tout. Je voulais trouver mon arme secrète et je mettais tout en œuvre pour la débusquer, tel un rat d'égout.

J'utilisais cette « voix rock » merdique, c'était mon truc. Je montais dans les aigus et descendais dans les graves, pas de problème, je gazouillais et je couinais comme une petite salope. Et je récoltais toujours les applaudissements. C'était tout. Je n'avais rien d'autre à faire, « voilà ma voix, allez-y ». Aucun effort supplémentaire n'était nécessaire, parce que mon chant sonnait comme celui du mec de Family, et c'était un double bonus mon pote, parce qu'aucun de ces abrutis n'avait déjà entendu Family, ce qui me faisait passer pour un mec brillant !

Ouais. Où est mon putain de contrat ? Où est mon siège à l'assemblée des pignoufs ? Où est le fan club de mon putain de rock ?

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« Rock ». Le tout-puissant. Le mot-soleil.

L'assemblée des pignoufs vous demande de gravir le sommet de ce putain de Mont du Rock et de bien ramasser tous les comprimés de vertu hédoniste que vous trouverez sur le chemin. Des comprimés vraiment lourds, parce que c'est du putain de heavry rock, OK ?

Mais je n'y suis pas arrivé. Enfin pas comme on l'entend. J'étais vendeur de fringues la journée et je faisais de la musique la nuit. Ils disaient que tu ne pouvais pas avoir le beurre et l'argent du beurre – eh bien en fait si, c'est tout à fait possible si c'est du beurre à la merde mon pote. J'avais cette idée que si j'avais des tas de sapes cool et que j'avais la dégaine, la moitié du chemin était déjà faite. Mais non : le petit cercle était, certes, constitué d'enculés, mais ils étaient loin d'être stupides. Après un moment, ça m'a rendu malade d'être un putain de snob en carton, à vendre des sapes à ces enfoirés. Des journées à devoir supporter ces têtes de bites et à hocher la tête sur la putain de musique de Zero 7. J'étais surtout employé par des types du coin qui avaient percé dans le marché indépendant, qui vendaient toutes ces marques de haute-couture ou qui copiaient les designs originaux des créateurs pour apposer leur étiquette sur des loques dégueulasses. Que des énormes enfoirés, d'immenses bâtards, drogués à l'accumulation et à ce putain de statut social ! J'ai fini par tout lâcher, j'avais atteint le point de non-retour de la haine. J'ai choisi de faire face à l'échec et opté pour l'intérim dans des entrepôts, des fourgons, au milieu de cette communauté mise au ban depuis longtemps : les vrais gens de la vraie vie. Pas le moindre logo Gucci à l'horizon. Au moins je savais où je mettais les pieds.

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§

Le Prof fait face à des accusations sexuelles

Finalement, après un moment, toute cette pourriture a commencé à sentir bon : les fenêtres sans volets, le délicat fumet de la bière brune s'échappant des cannettes qui entouraient mon lit, les draps crados et les épiceries de proximité avec leurs frigos à 120 décibels et leur chocolat mou. J'ai lentement perdu ma foi dans le rock classique, je jouais de moins en moins de guitare. Le rap a commencé à me brancher, c'était une force sur laquelle on pouvait compter. Le rap faisait passer tout ce qui existait autour pour la bande-son de La petite sirène, ce qui était plutôt bizarre parce que je suivais ce qui se passait dans le hip-hop depuis que j'avais 16 ans. Je me suis aussi mis à m'intéresser au spoken word, à y réfléchir sérieusement, avec cette idée de narration et de storytelling. Le sampling aussi a commencé à me botter, le fait de sélectionner des boucles, de les répéter, de construire tout le corps d'un morceau autour. Je me suis familiarisé avec l'enregistrement digital. En tant que chanteur, c'était plus facile à gérer. Tu te pointais juste au studio et tu t'asseyais avec d'autres gars qui étaient assis eux aussi. Pas d'amplis, pas de guitares à accorder, pas de putain de kit de batterie ; c'était pratique et en même temps que ça prenait de l'importance pour moi, je trouvais ça de plus en plus pertinent.

Je me lançais dans n'importe quel projet, rien que pour apprendre et expérimenter. L'electronica collait bien avec le spoken word et avec le formidable boulot de Mike Skinner, le truc est devenu de plus en plus viable, commercialement. Le chant traditionnel est soudainement devenu daté, dépassé. Je me suis rendu compte que mon environnement désolé et mon style de vie collaient parfaitement à cette nouvelle méthode. Niveau paroles, mes sources étaient intarissables ; le spoken word et le rap ne connaissent aucune contrainte, ne sont régis par aucune une structure précise. Je n'avais plus besoin de cette putain d'industrie musicale. « T'y reviendras mon pote » ; « Réfléchis avant de dire n'importe quoi » - bordel, si j'avais touché du blé à chaque fois qu'un tocard m'avait sorti ça.

Je savais que ça marcherait, parce que tout me venait naturellement et que ça collait, comme de la putain de glue.

Et devine quoi, connard ? J'y suis arrivé.

Maintenant, tu peux retourner jouer avec ton groupe de merde. Jason Williamson est le chanteur de Sleaford Mods, un des meilleurs groupes en activité à l'heure actuelle sur cette planète.