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Music

Les Sleaford Mods nous ont parlé de tous les sujets qui comptent en ce bas monde

« Tu sais pas où on peut trouver de la weed ? »

Toutes les photos sont de Simon Parframent.

Non contents d'avoir sorti

notre album de l'année 2014

, les Sleaford Mods ont clairement livré mercredi 23 avril dernier à la Dynamo (Pantin) un des concerts les plus définitifs de 2015.

Après un soundcheck de deux minutes et demie, les deux Toons aux traits sculptés par les les pluies industrielles de l'Angleterre profonde sont montés sur scène ultra-détendus, intégrant ce dispositif désormais célèbre, qui fait sourire autant qu'il fascine : Andrew Fearn, responsable de l'ordinateur, appuie sur le bouton « Play » au début de chaque morceau, et se met légèrement en retrait avant de secouer la tête en rythme, en vidant une bière ou en fumant un splif, pendant que Jason Williamson, préposé à l'animation, se met à éructer un flot continu d'insanités, dont les bases lexicales sont constituées des mots « Fuck »,

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« Cunt »

et « Twat », le tout dans un style main-dans-le-dos et buste-en-avant qui évoque immanquablement Liam Gallagher, dont il pourrait être le jumeau maléfique, le frère intègre resté les deux pieds dans la boue, loin des gazettes à sensation et de leurs divas consentantes. Le public suit, tout le monde est hilare et en sueur, on ne comprend pas toujours tout, mais l'énergie suffit : inutile d'empiler les musiciens et de chercher les effets de scène, ces deux-là ont une présence magnétique qui n'a aucun équivalent actuel.

« A Little Ditty », extrait du concert à Pantin

Quelques heures avant, on a passé un moment avec les Jay & Silent Bob des East Midlands dans le jardin de la Dynamo. On pensait que Jason monopoliserait la parole, pendant qu'Andrew jouerait son rôle de taiseux : c'est plutôt l'inverse qui s'est passé. C'est d'ailleurs lui qui a ouvert notre entretien, en nous demandant très simplement ceci :

Andrew Fearn : Tu sais pas où on peut trouver de la weed ? Noisey : Non, mais on est dans la banlieue de Paris, cela ne devrait pas être trop dur.
Andrew Fearn : Ouais, au pire je demanderai dans la rue. On m'avait dit de ne surtout pas faire ça en Allemagne, parce que les gens ne fument pas dans la rue, qu'il faut se cacher, etc. Tu parles, j'ai trouvé de la weed en deux secondes, en allant à la station de métro. En plus, c'était de la bombe atomique !! C'est votre première fois, en France ?
Jason Williamson : Deuxième. On est déjà venus en 2013, aux Instants Chavirés à Montreuil. Andrew : On était moins connus, tout a changé en un an. Ce soir le public va être un peu plus…
Jason : [Il nous coupe] Hipster ? Disons composé de Blancs de la classe moyenne. C'est toujours comme ça, même en Angleterre ?
Andrew : Haha, c'est une jolie façon de présenter les choses. Mais je pense que ça a toujours été comme ça, même au temps du punk : c'est un mythe de croire qu'il n'y avait que des gens louches avec des crans d'arrêt dans les poches. Ça restait des kids fans de musique. Avec nous, c'est pareil. Mais d'ici, on vous voit comme les représentants de la working-class.
Andrew : Bah ouais, mais c'est comme quand j'avais vingt ans et qu'il y a eu une résurgence du psychédélisme, avec le film sur les Doors, la ressortie d'Easy Rider, etc. On pensait que tout le monde prenait du LSD dans les années soixante. Ce n'est pas vrai ! C'est de la mythologie, tout ça.

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Jason : Avec la new wave en Angleterre, dans les années quatre-vingt, il y a quand même eu une musique prolétaire, avec des groupes punk comme Exploited. Là, il y avait vraiment une éthique « working class ».

Andrew : Oui, mais beaucoup de fans d'Exploited venaient de la classe moyenne. Les années quatre-vingt, c'était parfait pour expérimenter des choses nouvelles, différentes de ton milieu d'origine. Et le son ne se réduisait pas à la musique punk, il y avait une sensibilité progressiste.

C'est un concept plutôt frais que vous avez trouvé, musicalement.
Andrew : Ouais, un mélange de pop et de punk, en prenant en compte le fait que la pop a largement été contaminée par le rap depuis les années quatre-vingt-dix.

Vous écoutiez quoi d'ailleurs, à l'époque ?

Jason :

Les Small Faces, un peu d'Oasis, de la drum'n'bass.

Andrew :

Ouais, drum'n'bass à fond. J'étais complètement paumé dans les années quatre-vingt-dix, le seul truc que j'ai fait, c'est écouter une des radios locales, dont le programmateur était fan de jungle. Il en passait tout le temps. Du coup je vivais dans une bulle, avec quasiment aucune nouvelle du monde extérieur, et la drum'n'bass omniprésente.

Vous avez traîné dans la scène rave ?

Andrew :

Un peu, ouais. J'en ai fait quelques-unes illégales, avant l'interdiction.

Jason :

Jusqu'à très récemment, j'ai beaucoup fréquenté les clubs. Le Venus à Nottingham, le Back to Basics à Leeds.

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Andrew :

Après, les raves c'était quand même le bordel. Tu passais la nuit en bagnole à chercher l'endroit où ça se passait, et tu te retrouvais au milieu de gens qui dansaient avec de la boue jusqu'au genoux. Il m'est arrivé plus d'une fois de dire : « laisse tomber, on rentre. »

Quel regard vous portez sur la génération d'artistes qui sont devenus célèbres dans les années 90 et qui ont à peu près votre âge, comme les gens de la Britpop ?

Jason :

La plupart ont perdu toute crédibilité. Ils n'y croient plus. À la limite, chez Blur ou Prodigy, il reste un petit quelque chose. Ils continuent de faire leur truc, ils ont une éthique dans leur boulot. Les mecs de Prodigy arrivent à garder leur truc en vie.

Vous avez fait un titre avec eux.

Jason :

Et un clip, qui est plutôt pas mal. On s'est encore fait cracher dessus, d'ailleurs, parce qu'Andrew n'était pas dedans.

Andrew : Par qui ?

Jason : Par quelques personnes, à qui j'ai du faire fermer la gueule. Mais bon, je n'ai pas voulu trop leur rentrer dedans, je ne voulais pas parler à ta place.

Andrew : Ça, c'est les travers de l'exposition médiatique. On le redoutait, et c'est arrivé : les gens se permettent de dire n'importe quoi, de manipuler n'importe quel fait. Ça me bouffe de savoir que les gens se font une idée sur nous à partir de la presse. Pourtant la presse est plutôt sympa avec vous, non ?
Andrew : Oui, mais je ne lui fais absolument pas confiance. Vous croyez que ça va durer, cet état de grâce médiatique ?
Jason : Tant qu'on continue de faire ce qu'on fait, ça peut durer.

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Andrew : Après, la presse est peut-être sympa, mais ce ne sont pas des gens précisément soucieux de ton bien-être, tu vois. Ils te chouchoutent tant que tu as des histoires à leur balancer, et elles ont intérêt à être vendeuses. Si tu leur racontes la fois où tu as pris trop de drogue et où tu as fait n'importe quoi, là ça va, ils t'adorent. Jason : Tant qu'on continuera à faire de la bonne came, je pense que la presse restera cool. Mais on sait aussi qu'à force, les gens vont se lasser de nous. Et là on va être confrontés à la critique facile, à tous ceux qui vont se faire un plaisir de critiquer pour critiquer.

Andrew :

C'est quand même marrant de voir que plein de journalistes sont contents de nous interviewer : genre, ils tombent enfin sur des musiciens intéressants, après avoir interrogé dix groupes de vingt balais qui n'avaient rien à dire. Ça te fait réfléchir sur l'industrie musicale, sur tout le jeu de la promo : pourquoi les journalistes acceptent-ils d'interviewer des groupes qui les emmerdent ? Pourquoi ils n'essaient pas davantage d'imposer leurs goûts ? C'est hallucinant, les mecs du NME qui nous tombent dans les bras, nous disent combien on est un bol d'air pur pour eux… Il y a vraiment un truc qui cloche.

Il paraît que vous avez quitté vos tafs ?

Jason :

Ouaip.

Andrew : Bon, moi j'en avais pas vraiment. Juste un truc en intérim de temps à autre, pour que le chômage continue de tomber. Mais j'ai arrêté aussi. Pas trop peur pour l'avenir ?
Jason : Comme tout le monde, non ? Ta vie peut se casser la gueule du jour au lendemain, tu peux avoir un accident ou des ennuis de santé. C'est comme ça.

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Andrew : C'est vrai que mon regard sur les gens qui bossent a changé. J'ai travaillé dans des supermarchés quand j'avais vingt ans, et je voyais les vieux employés s'accrocher à leur boulot, en me disant combien j'étais à des millions de kilomètres d'eux, mentalement. Mais j'étais un semi-chômeur, défoncé les trois quarts du temps… Maintenant j'ai une sorte de responsabilité dans la musique, un truc à faire tenir. Je commence à comprendre le concept de travail. Vous n'avez pas vingt ans, vous n'êtes plus naïfs : vous savez que tout ça va s'arrêter, un jour.
Jason : Évidemment. Mais je pense que ça s'arrêtera quand on voudra bien que ça s'arrête. Tu cesses d'être bon quand tu n'y crois plus, que tu fais ça par-dessus la jambe, que tu cesses d'être honnête avec toi-même, d'être patient – parce que parfois, les choses mettent du temps à arriver.

Andrew : Ouais, on n'est pas infaillibles. Et on veut éviter de tomber dans une « formule », comme tous ces groupes dont le dernier single ressemble au précédent.

Jason : C'est important pour nous cette reconnaissance, parce que pendant des années on nous a crachés dessus, on s'est foutu de notre gueule, ou on nous a tout simplement ignorés. Maintenant, personne ne peut venir nous dire qu'on n'a jamais rien fait de bon. C'est là, ça existe, et ça va pas disparaître demain de façon magique.

Andrew : On est blindés, niveau critique. Les gens nous détestaient à Nottingham, sans doute parce qu'on était fondamentalement meilleurs que tous les autres groupes du coin. Quand ils ont essayé de créer une « scène de Nottingham », on en a été systématiquement exclus. Normal, tous les groupes étaient complètement nuls, et si tu veux assembler une scène locale, il faut une certaine homogénéité : dès que tu mets un bon groupe dans le lot, tout se casse la gueule ! [Rires] On ne connaît pas trop Nottingham, par chez nous.
Jason : Vous ne ratez rien [Rires]. C'était une grosse ville industrielle au début du siècle dernier, c'est à peu près tout ce qu'il y a à savoir. Une ville de base du Nord, des Midlands. Et comme tous les villes anglaises, elle est divisée en deux : quartiers pauvres d'un côté, quartiers rupins de l'autre. Et une bonne vieille gentrification du centre-ville. Un exemple d'argot des East Midlands ?
Jason : « Youth », pour appeler un type jeune, comme tu dirais « bloke » ou « man ».

Andrew : « Now then », pour dire « hello ». Après, il y a des trucs que vous ne pouvez sans doute pas comprendre dans nos morceaux, parce qu'on mentionne souvent des gens réels de Nottingham, mais complètement inconnus. Des barjots du coin qui nous font marrer. Les lyrics sont drôles, globalement. Vous tirez la tronche sur les photos mais c'est une musique assez humoristique.
Jason : Merci, merci. C'est bien que ça passe malgré la barrière de la langue. Il y a d'autres groupes connus à Nottingham ?
Jason : Bof. Rien d'utile à mentionner je pense. Il y a ce truc un peu chiant, là, London Grammar…
Jason : Ah, quelle horreur. En plus ils ne sont même pas de Nottingham, putain, c'est juste des mecs venus étudier ici. C'est vraiment de la merde. Ce sera le mot de la fin ?
Jason : Ouais, Fuck it.

Andrew : Ouais, fuck it.

Le nouvel album des Sleaford Mods sortira courant 2015, vous pouvez déjà en écouter un extrait sur leur split avec The Pop Group, qu'on vous a présenté il y a quelques jours. Les Sleaford Mods seront à Nîmes, pour le festival This Is Not A Love Song, le 31 mai prochain. Pierre Jouan nique tout, partout, mais pas sur Twitter.