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Music

Sexe, drogues et collants pour hommes : le monde hors-limites de Seth Bogart

L'icône queer-punk a laissé tomber le garage de Hunx And His Punx pour monter un show hystérique à mi-chemin entre John Waters, les Ronettes, Le Tigre et Pee-Wee Herman.

Toutes les photos sont de Kristina Pedersen. Installation photomaton par Allison Riegle. « On va essayer de mettre plein de poils au plafond », me dit Seth Bogart, gesticulant pendant qu'il nous fait visiter Wacky Wacko, sa galerie-boutique de fringues arty et sexy de Los Angeles, en un après-midi ensoleillé de février. C'est un coin encore peu gentrifié du quartier de Echo Park, sur Sunset Boulevard. L'endroit est en train d'être décoré dans le style de l'émission TV culte pour enfants Pee-Wee's Playhouse. Des outils et du scotch jonchent la pièce, et les murs arborent une fraîche couche de peinture rose vif. Contre l'un d'entre eux, l'amie de Bogart et artiste Peggy Noland a construit une gigantesque sculpture de gobelets à soda, faite de grillage et de ruban adhésif, bientôt remplie de papier mâché. Bogart et Noland s'occupent de la boutique depuis 2014, aux côtés de leur amie artiste Christine Stormberg, et jusqu'à récemment, le lieu n'était ouvert que les samedis. Depuis quelques jous, le lieu est ouvert quotidiennement, et les gérants tentent d'en faire une source de revenu et une activité commerciale régulières. Et ce n'est qu'un des nombreux projets du musicien et artiste de 35 ans, qui jongle entre un spectacle multimédia et un album solo sous son propre nom. « J'ai beaucoup à faire », dit Bogart. Son nouvel album, disponible sur Burger Records, arrive pile au moment d'une transition majeure dans la vie de Bogart. En tant qu'ex-membre de Gravy Train!!!! et Hunx and His Punx, deux groupes californiens cultes pour le mouvement queer, Bogart a tourné et sorti des disques pendant plus d'une décennie. Fatigué du rythme intense de cette activité musicale, Bogart a passé les dernières années à perfectionner une nouvelle vision artistique et esthétique immersive. En septembre dernier, il a montré une installation à la galerie 365 S. Mission de Los Angeles : une baraque de fête foraine regorgeant de sculptures géantes dans un décor rose vif, et remplie de clins d'oeil au style de l'artiste, comme une vitrine pour les collants masculins de la marque Leggs et un énorme poudrier de maquillage qui avale les spectateurs.

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Il a aussi totalement réinventé son approche de la musique et de la performance live. Seth Bogart est passé du son rétro du garage-punk à une électro-pop plus mature, et a multiplié les collaborations, notamment avec la culte Kathleen Hanna, Tavi Gevinson, et la chanteuse indie-pop australienne Chela. Sur scène, il s'est débarrassé du format groupe live, et préfère un one-man show de variétés avec des projections vidéos, des changements de costumes, des invités, et des grands moments de karaoké avec le public. « Malheureusement, je crois que je suis quelqu'un qui a besoin d'être créatif pour rester en vie », dit-il. « Que ce soit la peinture, la sculpture, ou la musique, j'ai souvent l'impression que je ne sais rien faire d'autre. » Si Bogart est un vrai bourreau de travail, ses créations contiennent une bonne part de légèreté, voire de frivolité, assez rafraîchissante. Le kitsch, les gadgets, et le sexe : voici ses matériaux bruts. Tendant vers l'expression libre, plutôt que le formalisme ou le cadre commercial, il nous invite tous à nous détendre, oublier les règles et nous amuser. La plupart de ses fans le connaissent probablement sous le pseudo Hunx, son nom de scène depuis le début des années 2000, d'abord comme membre du groupe electroclash LGBT Gravy Train!!!! (avec ses compères Chunx, Funx et Drunx) et ensuite comme le frontman du combo garage rock Hunx and His Punx, de L.A. via San Francisco. Ce petit nom, Hunx, qui signifie « beau gosse », lui va comme un gant. Sur la scène du night-club Echoplex, lors de sa release party - simplement et fièrement intitulée « The Seth Bogart Show » - Bogart brille comme une poupée Ken humaine, toute de cuir vêtue. Coiffé à la perfection, les cheveux noircis au cirage à chaussures, son visage est rasé à blanc, sauf au niveau de la moustache, taillée en un fin crayon. Ses joues rouge brillant s'associent parfaitement au rose vif de son costume deux pièces, taillé dans une toile cirée coupée sur-mesure par Peggy Noland.

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Et même lorsqu'il arbore le look relax t-shirt / casquette à l'envers, comme lors de notre interview à Wacky Wacko quelques jours plus tôt, il attire le regard : les dents parfaites, le menton saillant, et la silhouette allongée. « J'essaie de m'affûter », plaisante Bogart, en sirotant un verre de jus detox couleur verte. Aussi bien gaulé qu'il soit, Bogart est désormais plus mature que son alias, Hunx. Ce nouvel album est le premier qui sort sous son vrai patronyme. Le projet a été enregistré au long de plusieurs années avec son ami et producteur Cole M.G.N., connu pour son travail avec Beck, Ariel Pink, Julia Holter et Stones Throw Records. Avec l'aide de la marijuana cultivée chez un autre ami, les deux musiciens ont construit ce terrain de jeu électro-pop, fait de lignes de synthés sexy, de beats taillés pour les dancefloors, et de parties vocales pitchées dans les aigus, le tout tenu par une profondeur émotionnelle et une sophistication poussée. Sur « Forgotten Fantazy », titre-phare de l'album, le tempo ralentit et l'ambiance se fait plus noire, tandis que Bogart médite sur les frustrations du désir non réciproque, avec pour bande-son des sonorités électroniques à la Broadcast. « J'ai adoré jouer ce personnage de Hunx, mais je voulais faire un disque qui ressemble vraiment à qui je suis », explique Bogart, assis à une table jaune rectangulaire sculptée dans le nouveau décor de Wacky Wacko. « Je dirais que c'est un peu la version bizarre et adolescente d'un album d'adulte, dans le sens où j'ai pris ça très au sérieux et j'ai travaillé dessus pendant très longtemps… J'ai l'impression que tous les autres albums que j'ai sortis n'ont pris qu'une semaine de boulot. Cette fois-ci, j'avais envie d'arriver à quelque chose que je pourrais encore apprécier plus tard. » Élevé à Tucson, Arizona, Bogart a grandi au son des Ramones, des riot grrrl des années 90, et des girl groups des années 60. D'une mère infirmière, et d'un père avocat, il considère son coming out gay auprès de sa mère à 18 ans comme une expérience positive. Mais c'est à la même époque que son père s'est suicidé, et il refuse de parler de son enfance dans l'Arizona, au-delà de ce qu'il a déjà raconté dans les interviews précédentes.

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Quand on lui demande de nous envoyer plus de détails après notre entrevue, Bogart répond dans un e-mail : « J'ai effacé les souvenirs de mon enfance après une série d'événements traumatiques que j'ai vécus à la fin de mon adolescence. » Au début des années 2000, en déménageant à Oakland, Bogart a commencé à traîner avec la petite équipe de Gravy Train!!!!. Pendant des années, lui et sa petite bande de provocateurs ont nourri les fêtes les plus folles, mais aussi agacé quelques critiques avec leurs show vulgaires et leurs chansons obscènes et salement enregistrées. Bien que le quatuor n'ait jamais atteint un quelconque succès grand public, les hymnes « Ghost Boobs » et « You Made Me Gay » sont, encore aujourd'hui, des tubes chez tous les freaks, les punks et les fêtards. « L'expérience Gravy Train!!!! a fait quelques dégâts en moi, car je crois que plus jamais je ne vivrai quelque chose d'aussi intense et excitant », se rappelle-t-il. « On était si jeunes et on se sentait si frustrés, réprimés, qu'on était insouciants du reste du monde. C'est pour moi une grande chance d'avoir eu ce groupe en guise d'apprentissage, quand d'autres doivent aller à l'université. » Vers 2007, Bogart a changé de direction avec Hunx and His Punx. Le groupe comptait les membres essentiels de la scène garage de la Bay Area, comme Justin Champlin de Nobunny et Shannon Shaw de Shannon and the Clams. Ensemble, ils ont créé une réinterprétation lascive de la teen pop des années 50 et 60, digne d'un John Waters, à grand coups de riffs contagieux, de batteries empruntées au fameux « Be My Baby », de punk crasseux, et choisissant une oeuvre d'art gay pour illustrer la pochette d'un de leurs albums. Hunx sait aussi se montrer plus sérieux : pour l'album solo Hairdresser Blues, sorti sous le pseudo Hunx, Bogart a mis le kitsch en sourdine et a choisi une voie plus réfléchie, rendant hommage à son ami disparu Jay Reatard dans une chanson, et à son père dans une autre, intitulée « When You're Gone ».

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Sur son nouvel album, Bogart revient à nouveau sur le territoire de l'intime. Sur « Hollywood Squares », qui ouvre le disque, il déplore le culte de la célébrité et l'ascension sociale comme valeurs phares de L.A., sa ville d'adoption après qu'il a quitté Oakland en 2011. « Et je ne peux pas pas croire que je sois autant en manque / de quelque chose qui n'existe pas. » Plus tard, sur « Plastic! », Bogart chante un adieu à un ami dans un déluge d'auto-tune aigu. Malgré son côté fun, c'est la créativité de Bogart qui est son ultime mécanisme de survie. « Je fais ça principalement parce que j'aime ça », dit-il. « Mais, parfois, je me sens si mal qu'écrire une chanson est la seule chose qui me fait du bien. » On serait tenté de ne retenir que l'expérience personnelle et sociale qui sous-tend le travail de Bogart, de dévoiler la façon dont il défie les normes du genre et de la sexualité, propose une nouvelle vision inclusive de la pop culture, et mêle le sérieux et l'aburde. Mais Noland, très bonne amie et collaboratrice habituelle de Bogart, préfère ne pas trop intellectualiser les choses. Elle fait remarquer que c'est le fun qui est l'élément important, et non pas les choses sérieuses. « Je pense que tout ça n'est probablement qu'un grand gadget. Et non pas comme une posture, mais comme une application sincère du concept de gadget, de babiole. », dit-elle. « Et je dis ça d'une manière totalement positive. Je crois que l'émotion qu'on en retient est… qu'il est décidément quelqu'un de pur et de sentimental, et en un sens c'est l'émotion pure qui le connecte à ce qu'il fait, mais d'une manière drôle et légère, et c'est l'effet recherché. » De retour à l'Echoplex, c'est le la joie qui domine la nuit. La salle est remplie à craquer, les lumières fusent dans tous les sens. À un moment, Bogart demande aux spectateurs si quelqu'un a de l'herbe à lui offrir. Plus tard, Chela le rejoint sur scène pour danser tandis qu'ils interprètent le duo « Supermarket Supermodel », une ode accrocheuse à une jolie caissière d'épicerie. Tout au long du show, deux employés de sécurité baraqués observent avec attention les deux côtés de la scène. Il est évident qu'ils ne font pas partie du staff de l'organisation. D'ailleurs, ils ressemblent plutôt à des strip-teaseurs, avec leurs t-shirts moulants et lunettes de soleil brillantes. Et quand Bogart chante « Lubed » (« lubrifié »), on en a la preuve bien réelle : aux cris d'encouragement du public, les deux garçons déchirent leurs vêtements et entament un strip-tease, exhibant leurs abdos sculptés, jusqu'à ce que deux femmes vêtues d'un uniforme de flic en latex les arrêtent et les fassent disparaître. Le fun pour le fun, dans lequel on se prélasse. Que ce soit sous les lumières de la scène de l'Echoplex, parmi les sculptures multicolores du Wacky Wacko, ou sur les titres électro de son dernier album, Bogart crée des espaces dans lesquels il nous permet d'être nous-mêmes, et de nous auto-célébrer. Et peu importe que nos envies ou fantaisies soient sérieuses, idiotes ou embarrassantes, il nous donne la permission de jouer avec. « Je suis un fervent partisan du 'fais ce dont tu as envie', sans limite aucune », conclue-t-il.

Peter Holslin est sur Twitter.