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Music

Cocaïne, Aleister Crowley et Minimoogs : Peter Bebergal retrace l'histoire du rock occulte dans son livre Season Of The Witch

Des rituels magiques de David Bowie aux incantations de Kenneth Anger, tout y est.

Si la Kabbale, le peyotl et

Michael Moorcock

sont des sujets qui vous passionnent, il y a des chances pour que vous ayez déjà trouvé des trucs à vous mettre sous la dent en parcourant Internet. À l'heure où n'importe quel raclo peut poster ses articles sur un blog, c'est devenu relativement facile de s'abreuver d'informations. Mais faire monter le niveau est une autre affaire, et c'est pour cette raison que la lecture de

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Season Of The Witch

de Peter Bebergal devrait être obligatoire. Écrivain américain ayant collaboré avec

The Times Literary Supplement

ou

The Quietus

après des études sur la religion et la culture à l'école de théologie d'Harvard, il offre sur 200 pages un incroyable condensé d'anecdotes, d'histoires et d'analyses, et prouve une bonne fois pour toute que l'occulte a eu une influence considérable, et qui s'est traduite de différentes manières, sur ce qu'on appelle aujourd'hui le « rock à papa ».

Étalée sur plus d'un demi-siècle, l'histoire du Rock 'n' Roll comporte une palanquée de perdants redécouverts grâce à des uploads Youtube à 400 vues. Beaucoup de merdes, beaucoup de perles.

Gandalf

par exemple, qui après avoir changé de nom sous les ordres de leur label (stratégie marketing qui devait se voir comme le pif au milieu de la figure, à une époque où les écrits de Tolkien gagnaient en popularité chez les hippies) enregistre un album dont la production bâclée gâche des compositions tout en subtilité et en retenue.

Black Widow

, aussi, qui malgré un nom et un jeu de scène plus doom que doom, est en fait une bande de fondus du saxophone.

Bebergal raconte que ce genre de groupes était une source intarissable de bandes sons pour ses parties effrénées de

Donjons & Dragons

(rigolez pas, à l'époque où avoir les cheveux longs vous faisait passer pour un pineur de cadavres, ou pire, un communiste, et où vous vous exposiez à une branlée à chaque coin de rue, il faut saluer la prise de risque). La trinité impie Sexe, Drogue et Rock 'n' Roll était glorifiée par des icônes de la culture populaire et underground, et louée par des microcosmes étranges (qui avaient donc parfois un penchant pour les dés à 20 faces autant que pour les 2 feuilles) dans chaque bled de chaque pays.Il suffit de regarder les pochettes d'albums, les couvertures de livres ou les affiches de films du début des années 70 pour se rendre compte que plus personne n'attendait l'arrivée du messie, mais implorait Dieu, Lucifer, ou Zoroastre de bien daigner leur accorder une avalanche interminable de meules à la place. Impossible de leur en vouloir. À l'art classique succéda le surréalisme et ses symboles cachés (Nadia Choucha et

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Patrick Lepetit

ont écrit des bouquins mortels sur le sujet), ainsi qu'une vague d'artistes qui s'en foutaient clairement de planquer leurs fantasmes : Frank Frazetta, ou encore l'animateur Ralph Bakshi, dont l'adaptation en rotoscopie des deux premiers tomes du

Seigneur Des Anneaux

déconcerte toujours autant.

On doit aussi citer Austin Osman Spare, seigneur absolu de l'occultisme du début du siècle, dessinateur intouchable ayant exposé à l'Académie Royale de Londres à l'âge de 17 ans (ouais) avant de créer son propre système de croyance - il claqua dans une misère et un oubli à peine croyables. Ou encore l'increvable Alan Moore, qui apparemment se rapproche chaque jour un peu plus de sa transformation complète en homme-arbre. Et bien sûr, Arik Roper (qui a d'ailleurs illustré la couverture de

Season Of The Witch

), dont on peut admirer les peintures à l'eau sur les pochettes d'albums des groupes les plus légendaires du Stoner ou du Sludge (en vrac:

Weedeater

,

Earth

,

Sleep

).C'est donc dans une tornade de cul et de drogues en tout genre que se succèdent les personnages du livre.

David Bowie

est l'un des plus mémorables, et pourrait symboliser à lui seul le coup critique que la cocaïne a porté au Rock 'n' Roll dans les années 70, si Judas Priest n'existait pas. On le découvre perpétuellement déchiré, à moitié fasciste, sûr à 300 % que des extra-terrestres vont le kidnapper, préparant des rituels de magie pour s'en tirer. Le

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Sâr Josephin Péladan

, dandy parisien décrié, mort en 1918, croise le trio Bobby Beausoleil/Jimmy Page/Kenneth Anger (la

bande-son

de

Lucifer Rising

réussirait à faire dégouliner le Mal pur à travers les haut-parleurs de n'importe quel système audio). On peut aussi y lire l'histoire de l'outsider du blues

Tommy Johnson

ainsi qu'une ou deux citations de Lester Bangs, qui malgré quelques prédictions futées, remporte haut la main le titre de journaliste musical le moins visionnaire de toute l'histoire de la marijuana avec sa critique du premier album de Black Sabbath où il les compare à Vanilla Fudge.

Jamais dernier quand il s'agit de drogues et de cultes embarrassants, William Burroughs est un invité récurrent (l'une de ses conversations avec Jimmy Page sur les infra-sons et les transes déclenchées par la musique au Maroc a été mise en ligne il y a quelques temps sur le site

Dangerous Minds

), et sert de mentor à Genesis P-Orridge, qui a partagé son existence plutôt radicale entre groupes de performance artistique, de musique, voire carrément

secte internationale

. Il finit par poser un problème intéressant : l'occultisme doit-il s'adapter au progrès technologique?

Et c'est à ce moment que le livre prend un tournant assez inattendu, mais nécessaire, qui déplaira clairement aux boutonneux insupportables sapés en Goëland de la tête aux pieds. Les noms changent : de Arthur Brown, on passe à Jay-Z ou Damon Albarn. Soit des mecs qui donnent clairement l'impression d'avoir vendu leur âme au Diable contre la gloire et l'argent. Très justement, Bebergal en profite pour se foutre de la gueule de ceux qui collectionnent les vidéos intitulées « preuve de l'existence des reptiliens » sur leur compte YouTube, et autres membres de forums conspirationnistes qui osent élever la voix pour poser les questions importantes, telles que : « Le camel toe de Madonna cache-t-il des symboles occultes ? ». Mais il retrace aussi l'histoire du synthétiseur Moog, qui changea de manière surréaliste la face de la musique (pour le meilleur et pour le pire).

Même si il laisse un peu de place au rêve quand il décrit (remarquablement bien) ces moments passés à s'assécher les yeux en fixant les pochettes d'albums pour y déceler les références cachées, Peter Bebergal ne cède pas à la tentation de fantasmer cette relation entre la musique et l'occulte, et évoque clairement la récupération inévitable d'une sous-culture entière par les médias et les péquenots de tout acabit, qui la réduisent à des bouffonneries et à des termes vagues du genre « gothique » ou « sataniste ». Il n'oublie pas non plus son côté intrinsèquement débile : les gourous veulent niquer tout ce qui bouge, les mecs déguisés en Baphomet sur scène doivent aussi aller faire leurs courses au Franprix du coin à un moment ou à un autre. Il rétablit la vérité à propos du talent légèrement surestimé de H.P Lovecraft, que les gens n'assument toujours pas de lire en 2014 - le genre d'affaires qui est à la source du torrent de commentaires qu'on peut lire sous les statuts facebook de Jean-Pierre Dionnet et qui donnent tour à tour envie de ricaner et de cracher par terre.

Ultra documenté (je salue l'effort d'avoir mangé une bibliographie aussi grande que Tony Iommi sur ses bottes compensées), ce livre est un délice absolu. Toujours délivré sur un ton informatif, mais jamais chiant, je parie l'intégralité de mon salaire du mois prochain que c'est un futur classique.

Season of the Witch: How The Occult Saved Rock and Roll (Tarcher/Penguin) sera disponible le 16 Octobre, mais vous pouvez le pré-commander sur Powell's, Amazon, and Barnes & Noble. Donnie Ka vient chaque matin au bureau vêtu d'un chasuble de soie noire. Il est sur Twitter - @shjjjtlizard