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Music

Sean Price est parti chiller avec les Dieux

Manager et agent pour Freddie Gibbs et Fashawn, le français Maxime Robin a côtoyé pendant 10 ans le rappeur de Brooklyn. Il revient avec nous sur cette figure incontournable, décédée samedi dernier.
Keuj
par Keuj

Sean Price, entre son frère (à droite) et Maxime Robin (à gauche) La nouvelle s’est répandue comme une trainée de poudre. 18h13, samedi dernier, DJ Premier rend public sur Instagram le décès de Sean Price, moitié du duo Heltah Skeltah. En quelques heures, plusieurs personnalités du hip-hop y vont de leur hommage, de Prodigy à Xzibit en passant par Biz Markie. Le décès est ensuite repris par la presse spécialisée puis généraliste voire people. En France, Pure People en profite pour causer de l’acteur Ryan Philippe, fan pour le moins inattendu de Sean Price. Le Figaro, de son côté, nous gratifie d’un bon craquage justement souligné par SURLMAG. Hommages collatéraux donc. Chez Noisey, on a préféré demander à un Français expatrié aux USA de nous raconter ses souvenirs aux côtés du rappeur disparu. Maxime Robin est manager et agent d’artistes - pour, entre autres, Freddie Gibbs, Dom Kennedy ou Fashawn. Basé à New-York depuis 2005, il a côtoyé Sean Price durant une petite dizaine d’années. Introduit dans le milieu musical via le rappeur Buckshot, Maxime parle du collectif Boot Camp Click et du label Duck Down comme d’une « seconde famille ». Celle d’artistes authentiques, très pros dans leur approche de la musique et humainement irréprochables. Une équipe avec laquelle il ne travaille plus aujourd’hui mais qui lui a permis de faire son trou à NYC.

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Ses anecdotes sur Sean Price correspondent à l’image que l’on peut se faire du natif de Brownsville, une sorte de chef de tribu à l’aise à la rue comme à la scène toujours prêt à rendre service. Sous ses airs de clown, Sean Price se révélait très cultivé et extrêmement pointu en termes de culture hip-hop, de cinéma, de sport et de comics - ses principales passions. Humoriste reconnu avec un sens de l’autodérision rare, Ruck (comme il se surnommait à l'époque d'Heltah Skeltah) restait en même temps cet homme de la rue franc du collier et intransigeant sur les notions de fidélité et de respect.

« C’était un mec hyper ouvert sur ce qu’il a fait avant et pendant la musique sans jamais chercher à se cacher, note Maxime Robin. Il t’avouait sans honte être en galère d’argent mais il montait sur scène avec un grand sourire. Quelqu’un de très attachant et arrangeant, toujours prêt à prendre une pause genre karatéka pour le photographe. » Doté d’une solide mémoire, Sean avait une sorte de gimmick avec la plupart des personnes qu'il croisait. Partageant une passion commune pour la NBA, le rappeur avait surnommé Maxime « Little Vlade », pendant sa période barbue, en référence au pivot serbe Vlade Divac.

Photo - Guillaume Landry Concernant les sneakers, Sean fut le premier à mettre en garde Maxime de ne jamais donner sa pointure si un mec lui posait la question à une heure avancée dans une rue new-yorkaise. « Ne donne jamais ta taille, si on te pose la question, tu réponds : 'c’est ma taille' », avait prévenu Sean pour éviter un détroussage au jeune frenchie. Une carrure imposante doublée d’une grosse légitimité hip-hop permettaient aussi à Sean de jouer les enfoirés de service sans que personne n’ose protester : « C’était le genre de mec qui prenait le joint tendu et le fumait entièrement en regardant le donneur en attente d’un retour, en vain. Mais les gens étaient tellement contents de fumer avec Sean P qu’ils ne disaient rien. C’était vraiment le genre de gars à qui on prête un truc et qui le garde en disant merci », ajoute Maxime. Dans sa dernière interview accordée à VICE, Sean Mandela avait parlé de ses talents d’humoriste, racontant que certains de ses potes l'encourageaient à se lancer dans le stand-up. Sa réponse fut sans équivoque : « I don’t think i’m the kind of guy to sit up in front of crowd and just start cracking jokes ». Ce qui peut se traduire en langage Ali période Lunatic par : « T’attends pas à m’voir faire le pantin sur scène… ». Sean l’ironique savait bien faire le con mais pas moyen de faire jouer la bête de foire à un type finalement assez réservé. Un trait de caractère qui peut aussi évoquer Nietzsche pour qui « Tout esprit profond avance masqué ». La connaissance avant la reconnaissance, comme un rappel salutaire à la jeune génération avec laquelle il avait souvent du mal.

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Photo - Guillaume Landry À l’été 2011, Maxime et son ami photographe Guillaume Landry suivent Sean Price à Brownsville pour une interview parue dans la revue de basket Reverse. Maxime raconte : « On marchait dans la rue avec lui et il faisait des signes aux mecs à chaque coin de rue pour dire qu’on était avec lui, tranquille, qu’on n’était pas des flics, bien qu’étant les seuls blancs du quartier. On a été chez lui voir sa famille et il nous a fait partager sa vie quotidienne en nous présentant comme ses amis. L’interview a finalement duré quatre heures, après qu’il ait décidé de nous emmener sur un playground de Brownsville.

Personnellement c’est le pire terrain que j’ai vu de ma vie : la moitié des panneaux arrachés, le terrain tout craquelé avec des fissures partout. Quelques gamins en claquettes ou chaussures de villes défoncées se sont arrêtés de jouer pour venir à la rencontre de l’idole du quartier. Sean s’est alors improvisé coach puis a demandé à poser au milieu des gamins. Sa seule condition durant l’interview était qu’on mette cette photo en couverture de l’article. Il a ensuite demandé la photo en haute définition pour pouvoir l’accrocher chez lui. Plus tard il m’a aussi demandé des magazines pour les redistribuer aux gamins du hood. Ça m’avait marqué car la plupart des rappeurs avec qui je travaille ne penseraient jamais à des trucs comme ça. »

Sans surprise, Maxime dépeint un artiste hyper talentueux et très authentique dans sa démarche. Une phrase de Buck résume bien son état d’esprit « classique » et intransigeant vis à vis du rap : « Si t’es un fan de Kid Cudi, suicide-toi. » Lors d’une campagne promo, il s’était également fait remarquer en déclarant refuser par principe tout featuring féminin, exception faite de MC Lyte, née à Brooklyn en 71 comme lui. Mais c’était bien en studio que Sean réservait ses meilleures fulgurances : « C’est là qu’il était vraiment Sean Price. Il avait plein d’idées qui fusaient, farfelues au premier abord, mais qu’il mettait en rime brillamment ».

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Se pose au final une question : la carrière de Sean Price a-t-elle été à la hauteur de son talent ?

« Au moment où son contrat arrivait à échéance avec

Mic Tyson

- son troisième album solo chez Duck Down - il avait des offres de gros labels dont Def Jam mais il voulait continuer à faire ce qu’il aimait,

rappelle Maxime.

Il préférait vendre 50 000 disques chez Duck Down en ayant le contrôle sur l’ensemble du projet (pochette, sons, featurings) plutôt que vendre 500 000 chez Def Jam sans rien décider et en assimilant ça à de la merde. Il vivait correctement de la musique mais sans plus pour un père de trois enfants. Récemment, il avait d'ailleurs fait monter sa fille sur scène - c’est le genre d’initiative qu’on ne retrouve nulle part ailleurs dans le rap ».

Sean Price et sa fille sur scène

Charles Songue, organisateur du

festival hip-hop Dooinit

, se souvient, à ce titre, lui aussi, de la venue d’Heltah Skeltah en 2009 :

« On les avait fait venir à Rennes, un an avant la première édition du festival. Juste avant leur prestation, on demande à Sean Price s'il peut jouer le titre 'Heartburn'. Il ne se montre pas très chaud, car c’est un morceau assez lent. Mais il nous annonce qu’il le fera pour nous, si le concert se déroule bien. Au final, le duo retourne la salle de l’Ubu avec un show ultra hip-hop. Et Ruck termine le set en chantant 'Playing Your Game' de Barry White. Sur l’instrumental de 9th Wonder d’abord, puis a cappella. Ce qui m’a le plus impressionné chez lui, c’est son côté compétiteur. Conscient qu’on était des petits jeunes qui démarraient dans l’organisation de concerts, il répétait qu’il était sûr à 100 % qu’on n’avait jamais assisté à un show comme celui-là. Quand je lui ai demandé avec qui il voulait bosser, il m'a répondu qu’il y avait quelques gars mais que la plupart ne voulaient pas car ils avaient peur. Il avait ajouté : 'J’ai fait une chanson avec untel mais je l’ai défoncé sur son propre morceau donc tu sais que ça ne sortira jamais.' »

« Pour rester sur les concerts, reprend Maxime, je me souviens d’une date marquante à New Haven dans le Connecticut où Sean Price était headliner - mais ça s’était décalé, comme souvent. Il est arrivé sur scène à 23h45 et les organisateurs, très stricts sur le planning, l’ont coupé à minuit. Il a alors eu le temps de motiver le public à poursuivre le show sur le parking tout en taxant un CD à son DJ. La foule a suivi et il a fait une grosse demi-heure en rappant au volant de sa caisse avec les sons dans l’autoradio. Les gens doivent garder un souvenir inoubliable de ce concert. C’est le genre d’anecdote qui fait ressortir son côté réglo : le public a payé, lui a été payé et c’est impossible à ses yeux de bouger après quinze minutes de live ». « Pour la promo de l'album Jesus Price Superstar, on avait une journée presse dans un bus rempli d’alcool. Les journalistes arrivaient donc un peu chauds pour questionner Sean, qui n’aimait pas le concept d’interview. Il y avait un journaliste français et Sean me demande qui est le rappeur qui cartonne en France. Je lui réponds Booba. Il n’a pas arrêté par la suite de me demander de le rencontrer pour un featuring. Ça faisait marrer tout le monde parce qu’il n’arrêtait pas, chaque fois qu’on se voyait, de me demander des nouvelles de Booba. Le truc aussi c’est que quand il a une blague sur une personne et qu’il la revoit dix ans après, il ressort la même phase. Bref, Sean Price était un mec extraordinaire, s'il n’avait pas existé, il aurait fallu le créer. » Oui à la résurrection. Flamen Keuj ne rate jamais une occasion de citer Nietzsche. Il est sur Twitter - @Avertisseurs