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Music

Les Satan Jokers seront toujours les Fils du Métal

Reggae, Hell's Angels, drogues, meufs envahissantes : rien n'a réussi à arrêter les pionniers du heavy metal français.

Piliers du heavy metal français aux côtés des infernaux Trust et des complètements neurotiques Warning, les Satan Jokers ont traversé les décennies avec morgue et nonchalance depuis leur formation, au début des années 80. Menés par le batteur / chanteur Renaud Hantson, épaulé aujourd'hui par son psychiatre (et addictologue) Laurent Karila pour l'écriture des paroles, le groupe a connu un nombre indécent de hauts et de bas. Effraction dans les charts nationaux, tournée, séparation… J'ai pas entièrement compris tous leurs posts Facebook, mais il y a un truc dont je suis sûr : les Satan Jokers, c'est exactement comme Billy Sole dans Predator. Des mecs qui ont pataugé dans une merde plus épaisse que la polenta de ma grand-mère, qui ont vu leurs potes mourir dans leurs bras, et qui ont traversé tout ça les yeux plissés, sans un mot, avant de chercher à vous provoquer en combat singulier pour vous faire chier une dernière fois. Pour essayer de comprendre quelque chose à ce groupe mythique, et pour en savoir plus sur le paranormal, le Palace et l'addiction au sexe, il ne me restait qu'une seule solution : rencontrer Renaud Hantson et Laurent Karila autour d'une corbeille de pain sec.

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Noisey : Déjà, dites-moi comment vous avez découvert la musique - et ce qui vous a poussé à vous diriger vers le hard rock et le heavy metal plutôt qu’autre chose.
Renaud Hantson : J’ai commencé la musique, j’avais 6 ans. J’ai fait un peu de conservatoire de 9 ans à 11 ans, histoire de voir. J’ai tout de suite écouté Led Zep, Grand Funk Railroad, Deep Purple, Black Sabbath, Humble Pie. Mon background, c’est ça. Pour Laurent, qui a dix ans de moins, c’est différent.
Laurent Karila : Moi, c’est Kiss, Maiden, Scorpions, Satan Jokers quand j’étais gosse, Mötley Crüe, et toute la vague du hair metal : Cinderella, Poison… Et puis j’ai évolué avec le temps. Mais j’écoute du metal, que du metal, toujours du metal.

Pourtant, j’ai lu que tu aimais le reggae.
Ouais, c’est vrai, j’ai eu une phase reggae à 30 piges. J’étais en Guadeloupe avec ma femme, je conduisais sur une route superbe, il faisait beau, et j’ai vu Bob Marley dans le ciel. C’était pas une hallucination, c’était un espèce de truc divin, je suis pas fou. Et je me suis mis à écouter du reggae.

Renaud, le nom Satan Jokers vient de ceux de deux gangs de bikers californiens. Comment t’as fait pour baigner dans une culture ricaine en habitant à Paris ?
Renaud : Ben, j’étais fasciné par ça. J’ai lu le bouquin Hell’s Angels d’Hunter S. Thompson. J’ai fait la contraction des Satan Slaves et des Gypsy Jokers, deux bandes des sixties. Ils étaient potes, rivaux, c’était un peu compliqué. Je m’attendais pas à être ami un jour avec l’un des principaux Hell’s Angels parisiens, à jouer pour eux de temps en temps, même, et à ce qu'on développe un respect mutuel. Quand t’aimes le rock, irrémédiablement, la culture est anglo-saxonne. J’ai beaucoup de mal avec ce que j’entends en France. Je me sens pas dans mon pays, tu vois ce que je veux dire. Même quand je fais de la pop, c’est pas la même démarche que les trucs que t’entends à la radio - d’ailleurs c’est pour ça que j'y passe plus. On peut plus douter aujourd’hui que Renaud Hantson, c’est un mec dont la culture est franchement rock et hard rock. Même quand je fais de la pop, ça se rapproche de U2, d’un truc un peu couillu, comme Phil Lynott quand il faisait des morceaux poppy, que… Enfin je ne vais pas citer de noms, mais voilà.

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Ah si, vas-y !
Bah, tous mes clones. Calo, Obispo… Tous les mecs qui font la même musique que moi mais en franchement variété. Enfin je les aime beaucoup quand même.

Comment t’en es arrivé à fréquenter les Hell’s Angels ? Ils faisaient partie du public de Satan Jokers ?
Même pas, c’est une rencontre via le batteur de Furious Zoo, Joe Steinmann, qui est un biker. Joe savait que j’avais cette fascination pour la culture motarde, et il m’a invité chez lui un soir. C’est comme ça que j’ai rencontré l’une des figures de proue du club, un mec qui m’a fait jouer ensuite pour le HAMC. On joue même demain soir chez eux. On va faire une cagnotte pour les mecs qui sont au trou en ce moment. Et niveau films ? À l’époque, vous étiez sapés comme Manowar. Vous étiez branchés Heroic Fantasy ?
Pierre Guiraud, le premier chanteur, était à fond dedans. Moi, à l’époque, je voulais pas lâcher les baguettes donc je chantais 40 % des parties vocales, j’écrivais l’essentiel des mélodies, mais notre chanteur, lui, était très… « bariolé » , à la Vince Neil, souliers rouges, moule burnes, tout le temps torse poil parce qu’il était balèze, les cheveux à la Rahan… On était moins dans ce délire qu’un groupe comme Sortilège, mais on aimait ça quand même. On était surtout branchés Indiens, en fait. Pour nous, les États-Unis sont une terre volée aux Indiens. On kiffait ça.

Pas du tout d’occultisme et de satanisme, alors ?

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Ah, ça c’est une légende. Je pourrais me la jouer, te raconter des craques. Mais on a jamais fait de spiritisme, c’est une connerie, j’ai dit ça un jour dans les années 80, je m’amuse pas à m'asseoir autour d’une table pour me faire flipper, du genre « Woh, c'était quoi ce bruit ? Je me casse » . Par contre, je crois aux phénomènes paranormaux, comme plein de gens. Tu sais, je porte un chapelet, je suis pas baptisé, je vais pas à l’église, mais je crois qu’il y a une force supérieure. Et je pense qu’elle me protège. J’ai rencontré Monseigneur Jacques Gaillot, on a parlé des anges gardiens, il m’a dit : tes anges gardiens, c’est des gens qui sont autour de toi, pas des gens qui sont morts. Moi, je me suis infligé beaucoup de mal. Le singe, il est toujours sur mon épaule, et c’est très compliqué à gérer, parce que j’ai vingt ans d’addictions. Malgré tout, Satan Jokers n’est pas un groupe satanique. J’aurais plutôt tendance à prier Dieu qu’une force maléfique.

Est-ce qu’à l’époque, vous aviez des contacts avec d’autres groupes ? Vous vous sentiez pas un peu seuls ?
On était isolés, parce qu’on faisait ce qu’on appelle de la « fusion metal » et qu’on était globalement un peu plus musiciens que la moyenne. On métissait les genres. On était un peu plus finauds, un peu plus intellos - et un peu plus barrés que le reste. Mais on restait des voyous, des tordus. C’était sexe, drogue et rock’n’roll. Le bassiste en est mort, d’ailleurs. Mais on avait des potes, on s’entendait bien avec les mecs de Sortilège, avec les mecs de BlasphèmeAttentat Rock, aussi, à un degré moindre. On les croisait sur la route. J’ai fini par rencontrer Bernie et Vivi. Nono je le connaissais déjà depuis un moment… Rendons à César ce qui est à César : J’ai voulu faire du hard rock en français parce que j’ai entendu « L’élite » de Trust.

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Vous étiez rivaux ?
Il y avait forcément de la concurrence, mais tu sais, c’est con un groupe. Chacun a l’impression de faire la meilleure musique du monde. Sauf que pour nous, c’est vrai. [Rires] Sex Opéra, c’est une bombe.

Vous avez été signés sur Phonogram, distribués par Vertigo - qui était quand même le label de Black Sabbath. C’est plutôt pas mal.
Oui mais alors autant le dire tout de suite : ça n’a servi à rien. Parce qu’on est dans un putain de pays qui s’appelle la France, et c’est vraiment pas le pays du rock’n’roll. Qu’on soit sur le label de Def Leppard, Bon Jovi ou qui tu veux, ça ne change rien. D’ailleurs, Phonogram - devenu Universal aujourd’hui - n’a toujours pas réédité le troisième album de Satan Jokers. C’est-à-dire que c’est un scandale, c’est à pisser de rire. Enfin je m'en fous, je les ai niqué, j’ai mis des versions lives de ces morceaux sur le best-of en 2005.

Vous aviez pas pu faire de tournée, juste deux dates, dont une au Palace, qui était plutôt un club…
Un club disco ! Une catastrophe ! Une erreur absolue de Phonogram ! En plus la publicité c’était : « Si t’es en manque de Hard Rock, viens t’éclater au Palace! » . En voyant ça, mon éditeur de l’époque m’a dit : « Non mais déjà, de quel droit vous me tutoyez ? Et puis ensuite, c’est le temple du disco, et vous, vous êtes les fils du métal » . Et en fait, ça a fait un carton, il y a eu 1700 personnes, c’était blindé. Mais voilà, les maisons de disques ont parfois des idées étranges. Parce que tu te doutes bien que c’est pas une idée du groupe, hein.

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C’est de notoriété publique que le Palace était un gros repère de camés. Ça a participé à ta découverte de la drogue ?
Nan, pas du tout. C’est venu bien plus tard. Laurent Bernat, le bassiste, était déjà dans l’héroïne. Je me suis défoncé sur l’album Trop Fou Pour Toi en 84, c’était ma première rencontre avec la cocaïne et l’alcool, on était à une bouteille de Chivas chacun par soir. Tout ce que ça a donné au bout d’un mois de studio c’est une bonne mononucléose, donc j’ai fait : « Ok, basta » . Je savais pas que deux ans après la mort de Michel Berger, je partirais en vrille pour quasiment vingt années.

La cocaïne est réputée pour avoir foutu en l’air le hard rock dans les années 80, notamment des groupes comme Judas Priest… J’ai l’impression que le piège dans lequel ils sont tombés, c’est celui de la prise de drogue comme un truc créatif, un stimulant pour produire plus. C’était ton cas ?
La cocaïne par rapport à la création, moi ça ne m’intéresse pas. C’était pas du tout dans ce cadre là que je l’utilisais. J’y voyais une connotation sexuelle. Le sexaholic de Sex Opéra, ça pourrait être moi, parce qu’il mélange des drogues stimulantes, comme la coke, le GBH, bla bla bla, il tise, il prend tout ce qui peut lui booster le bas du ventre. La bonne coke, elle te booste le bas du ventre. Ça te fait une bite de gosse, mais ça te donne envie de niquer. Forcément tu niques super mal, mais tu niques 48 heures. C’est n’importe quoi. Et si en plus t’as le malheur d’avoir une partenaire qui est branchée dans le même délire que toi, t’en sors pas. Et mon problème, c’est que les femmes de ma vie étaient en symbiose avec moi, de ce côté-là. Je pense que ça serait intéressant d’avoir l’avis de Laurent, avec qui j’ai fait une thérapie « fraternelle » - pas une thérapie au sens traditionnel du terme, c’est-à-dire qu’on bouffait des sushis et on travaillait sur des albums de Satan Jokers, et en même temps, il me donnait les clés pour m’en sortir. J’ai fait 1 an et demi à Villejuif, je me faisais chier à prendre ma caisse à chaque fois, je mettais des plombes pour y aller, c’était l’horreur, alors qu’au départ je faisais ça à 200 mètres de chez moi! Mais j’ai lâché le mec direct pour aller voir Laurent. Bref. Un addict, il est son propre problème, c’est-à-dire qu’à partir du moment où il a les clés, c’est qu’une prise de conscience - et de décision. Si le mec est décidé, il va aller au bout du chemin. Si tu aimes encore un peu la drogue, c’est mort. Tu es leurré, tu essayes de trouver les effets de la première fois. Laurent : Je suis d’accord avec Renaud, c’est vraiment un leurre. C’est pas parce que tu prends des produits que tu créés mieux. Tu prends Nikki Sixx, Tony Iommi, James Hetfield… Tout ceux qui ont arrêté créent toujours aussi bien, voire même encore plus.

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Je suis pas spécialement d’accord.
Renaud : Tout Black Sabbath est bancal ! Le dernier album est pas top, mais c’est pas parce qu’il a arrêté de se défoncer. Il était en plein cancer, mec. Il faut déjà avoir les couilles de le finir, l’album.
Laurent : Ça favorise pas la créativité, il y a des études qui l’ont montré. Ton cerveau est pas plus développé. C’est un leurre cognitif.
Renaud : J'ai enregistré déchiré, j'ai réécouté le lendemain : c’est de la merde. Cherche pas.
Laurent : Dans les années soixante, ils pensaient tous ça, avec les hallucinogènes, le LSD, les Quaaludes etc… Mais c’était juste un effet de défonce, en fait. T’as tellement l’impression que ta pensée est déformée, que tu crois que tu vas trouver des trucs, entendre des nouveaux sons, mais c’est de l’ordre du micro phénomène. Renaud : Mais d’un côté, tu as raison. Les Beach Boys en sont le meilleur exemple. Sauf que le mec est jamais redescendu. Ça veut dire quoi, qu'il faut payer de sa vie pour faire un album génial ? C’est abstrait, c'est du délire. On peut pas cautionner ça, nous. J'ai connu tellement de faux-pas depuis la thérapie, tellement de rechutes où tu te dis : « Putain, je me suis collé une sacré merde sur le dos » . Oui, bien sûr que Hendrix était un peu déf…
Laurent : Mais il est mort. Kurt Cobain pareil, Amy Winehouse pareil. Tous ces gens-là avaient une touche un peu folle, créatrice. Mais ils sont vites débordés par les produits.
Renaud : Ne jamais sous-estimer l’adversaire. La drogue est plus forte que toi.
Laurent : Actuellement, t’as aucun artiste qui se défonce comme dans les années soixante et soixante-dix. C’est fini, cette époque-là.

Justement, à propos d’époque révolue, Satan Jokers a splitté en 1985 avant de se reformer en 2009, et de jouer au Hellfest. Est-ce que tu as l’impression que ça marche mieux qu’à l’époque ?
Renaud : C’est compliqué. Le marché du disque est moribond. Mais si tu me demandes si on fait des meilleurs albums, la réponse est oui. Même si Les Fils du Métal était un album brillant, je pense que Sex Opéra le dépasse sans problème. Et je pense que le quatuor actuel est le meilleur line-up que Satan Jokers ait connu. Cela dit, autant on était too soon en 83, autant aujourd’hui, c’est peut-être un peu trop tard. Et puis la crise arrive sur le marché de la scène, tu comprends vite quel avenir ça laisse entrevoir. On est vraiment des passionnés. Si c’était pas le cas, Karila et moi on produirait pas des disques à quasiment un an d’intervalle, tu vois ce que je veux dire ? Je pense qu’il n'y a pas un groupe qui ait été plus productif que Satan Jokers depuis 2008.
Laurent : Et j’ai déjà une idée pour le prochain.

Le milieu metal français a beaucoup changé depuis tes débuts ?
Renaud : Pour moi, il y a les mêmes jalousies, les mêmes cons, et en même temps il y a plus d’endroits pour jouer. Mais c’est toujours aussi compliqué de tourner. C’est super ambigu.
Laurent : Moi, j’ai le point de vue d’un fan de metal, je bosse aussi avec Hard Force, tout ça… Il y a des gros groupes avec qui j’ai une amitié très forte : Mass Hysteria, Loudblast… Et puis il y a des groupes de deuxième, troisième catégorie, et il y a vachement de jalousies de leur côté. Des gens qui n’ont pas de contrat mais que les réseaux sociaux mettent en avant. On assiste a une espèce de starification. Et ça, ça me fait rigoler.
Renaud : Dans les années 80, c’était pareil, pas besoin d’Internet. Il y avait que des mange-merdes et des langues de pute. C’était redoutable. Mais les rumeurs, tu les apprenais par le bouche à oreille, pas sur Facebook.

Donc il y a pas plus d’opportunités aujourd'hui qu'à l'époque ?
Il y a plus de salles. Mais tu sais, une entreprise de production de spectacle, par définition, ils cherchent à engranger du blé. Alors avant qu’ils se décident à investir… Il y a quelques exceptions qui confirment la règle. Gojira a bien fait son truc. Ils se sont endettés assez gravement, mais ils sont au bout de leur rêve. Il y a eu Trust, Téléphone, et là dans le metal, il y a Gojira, qui sont loin devant. Pas tant dans les chiffres de vente - qui sont pas énormes - mais niveau tournée, surtout.

Et Cobra, vous connaissez ?
Non.
Laurent : Ils ont joué au Hellfest, je crois. Ils utilisent l’expression « Fils du métal » .
Renaud : Alors on les adore.
Laurent : On les aime plus que tout! Et je peux les prendre en thérapie gratos, si ils ont envie. Donnie Ka est sur Twitter - @shjjjtlizard