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Music

Rogers Waters a toujours la niaque

À 72 ans, le fondateur de Pink Floyd veut profiter des années qu'il lui reste pour casser les murs qui se dressent entre les hommes.

36 ans après la sortie de The Wall de Pink Floyd, Roger Waters reste aussi caustique qu’à l’époque. Du haut de ses 72 ans, le leader d'un des groupes les plus importants de l’histoire du rock a toujours tenté d’exprimer à travers ses paroles le deuil de soi et la désillusion. Pour mieux avancer.

Avec le film de 1982 et ce qui relève du show scénique le plus élaboré de l’histoire du rock, The Wall s’est enraciné dans la culture-pop au-delà du simple disque et a même dépassé le concept original. Sorti en septembre dernier, le documentaire Roger Waters the Wall ne porte pas forcément bien son titre sans que ce soit nécessairement un mal. Ok, le doc aborde largement la tournée WatersThe Wall live, à travers des images léchées de Sean Evans, mais tandis qu’Evans met en œuvre de gros moyens en termes de réalisation et de production, la force du documentaire réside dans la vulnérabilité désarmante de Waters lorsqu’il se confronte au passé et à ses propres souvenirs qui se sont depuis longtemps entremêlés au canevas textuel de ses morceaux. Seulement le documentaire comme l’album en soi, ne sont pas seulement introspectifs – ce dont Waters est coutumier. Ce qui relevait auparavant d’une dissection presque voyeuriste de la psyche de l’artiste est devenu une véritable mise-en-scène de son contexte social, culturel et politique.

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Dans des interviews récentes pour la promo du docu, la nature renfermée de Waters est revenue au galop même si le dédain altier d’antan a laissé place à une certaine urgence. Tandis que Waters s’est longtemps plu à mettre en lumière ses démons personnels (notamment avec The Wall), il exprime désormais une angoisse face à la façon dont l’histoire se répète. On ne va pas non plus dire qu’il s’est engagé dans la sphère socio-politique, mais quand même ! C’est un pas dans cette direction pour celui qui s’est longtemps défié des actions coercitives des gouvernements. Cela dit, il a aussi toujours soutenu les ONG de défense des droits de l’homme.

Fan obsessionnel de Pink Floyd depuis toujours, je n’avais jamais envisagé Waters comme un leader positif. Les albums qu'il a écrit quand il faisait partie du groupes, sans être non plus des sommets de tragédie, n’étaient pas non plus particulièrement joyeux. Le mépris de Waters pour l’intolérance et l’ignorance, notamment au sein des médias, me rendait aussi excité que stressé au moment de l’appeler au téléphone.

Malgré mes craintes, Waters ne m’a pas traité de « branleur » ou d’« idiot » durant toute la diurée de notre entretien. J’en ai presque été déçu. Il a été d’un calme désarmant. Tandis que les critiques ne cessent de le qualifier de créateur mégalo et que ces fans l’adulent par millions, Waters reste définitivement porteur d’une vision qui dépasse la rock-star torturée ou le petit-garçon en manque de père. La phrase « N’abandonne pas sans te battre » [« Hey You » dans The Wall] ne sonne désormais plus comme une complainte intérieure mais comme un appel à agir et un message d’espoir pour la paix.

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Noisey : Parmi tous tes disques, ceux de Pink Floyd comme tes sorties solo, tu considères The Wall comme une œuvre encore ouverte, pas terminée ?
Roger Waters : Hey, c’est une bonne question, intéressant. Eh bien je pense que l’histoire est terminée oui. Je crois qu’on l’a développé autant que possible grâce au film. Mais cela dit, je réfléchis depuis 20 ans à une adaptation sous la forme d’une comédie musicale à petite échelle dans un lieu restreint. Il se pourrait que ça se fasse. Je travaille avec Lee Hall, on a fait quelques ateliers. J’ai également monté une boîte de prod avec Eric Fellner de Working Title, donc ça pourrait se concrétiser sous peu. En ce qui concerne le live cependant, je n’ai aucune raison de vouloir prolonger cette histoire. Peut-être redonner un gros concert live ? On verra. Nous avons gardé certains éléments du décor juste au cas où nous arriverions à convaincre les États-Unis et Israël de donner aux Palestiniens un peu de liberté et d’en finir avec la muraille qui les sépare. Si jamais ça venait à se produire, je promets que j’irai là-bas donner une dernière représentation de The Wall en l’honneur des Palestiniens, Israéliens et ce serait une magnifique victoire de l’empathie sur l’animosité.

Certes. Mais il me semble que l’album est parti d’une introspection et d’une peinture de tes obsessions pour devenir quelque-chose de beaucoup plus large, et avec une portée plus sociale et universaliste
Absolument. Bien vu [rires]. C’est tout à fait ça. Tout est parti de cette idée de créer un spectacle centré autour de la construction d’un mur sur scène, avec un show rock où le groupe se verrait peu à peu coupé du public par la cloison. Ca venait de mon aversion pour le public quand j’étais jeune, à la fin des années 70. Tout ce qui s’est développé par-dessus vient du fait que ce simple « truc » théâtral offre une myriade d’interprétations, et aujourd’hui, 42 ou 43 ans plus tard, la mienne comme celle de Sean Evans se sont articulées pour donner le film de la tournée et ça nousa conduit à tenir des propos à portée politique. Notre message ? Nous n’avons pas su écouter les avertissements d’Eisenhower, ceux qu’on entend durant « Bring the Boys Back Home », ses semonces au complexe militaro-industriel. Toi, moi, tout le monde, nous vivons dans une société où nos libertés sont menacées par une somme de facteurs que nous n’avons peut-être pas le temps de passer en revue maintenant, mais c’est bien le cas. Parce que nous n’avons pas voulu écouter Eisenhower. À partir de là, nos droits comme nos pouvoirs, pourtant bien formulés par la constitution sont grignotés et je suis sûr que tu voudrais que je cesse d’ergoter sur la question, mais je le fais quand même… Bref, tout ce qui peut encourager les gens, y compris ce film, est pertinent. Il nous faut une révolution. Pas sanglante, mais une transformation parce que la pente vers la tyrannie devient de plus glissante et raide. À chaque minute.

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Tu as toujours développé des thématiques autour de l’enfance, de la perte et de la peur. Tu penses avoir enfin trouvé une catharsis avec ce film ?
[Rires]… Achever ce projet présente des vertus cathartiques en effet et j’ai été touché quand j’ai entendu, au cours des projections, des gens pleurer ou que j’ai vu des personnes émues par des passages du live. Il y a un moment du concert, pendant « Vera » où je chante devant un rideau noir tandis que tout le monde regarde les images d’une petite fille qui a la surprise de voir son père rentrer de la guerre, un superbe extrait qu’on a trouvé sur une chaîne d’actualité de l’état du Washington je crois. Quand je regarde le public, je vois des gens qui pleurent en voyant ça, et j’ai alors l’immense honneur de chanter « Does anybody else in here feel the way I do ? » qui sont les derniers mots du morceau. C’est toujours un passage qui me serre la gorge mais aussi un grand privilège car j’ai le bonheur de constater que, 30 ans plus tard, encore plus de gens partagent mon ressenti. La guerre du Vietnam nous a traumatisés et on s’est torturés là-dessus, à raison d’ailleurs, puis sur les problèmes économiques de la fin des années 60 puis il y a eu une période de calme relatif. Alors on a passé 30 à 40 ans à jouer aux jeux-vidéos et à nourrir une obsession pour le fessier de Kim Kardashian.

Je pense qu’on est en train de sortir de ça, plus ou moins. Je sens désormais qu’un souffle a repris, du moins à New York où je vis et peut-être sur chaque côte des États-Unis. Et j’espère voir cet esprit se propager au Sud et au Midwest. Il s’agit d’une envie de redonner du sens à ce que la Constitution des États-Unis d’Amérique projetait pour nous, bien qu’elle ait été rédigée par des Pères Fondateurs non sans défauts ni esclaves : redonner du sens à la raison-même pour laquelle notre système de vote a été mis en place. Ces Pères Fondateurs avaient peur de voir les gens foutre en l’air le pouvoir qu’on leur donnait, mais aujourd’hui, on l’a au contraire totalement laissé filer qu'il faut s’employer à redéfinir notre système pour le faire fonctionner au lieu de persister dans cette hérésie. En tant que pays le plus riche et le plus puissant militairement, les États-Unis devraient assurer une forme de supervision qui ne se résumerait pas à piller et violer les territoires, en volant le pétrole et en s’appropriant tout ou en établissant 135 millions de bases et toutes ces merdes qui relèvent de l’absurdité impérialiste la plus totale. C’est vraiment l’occasion de reprendre les choses en main et de faire quelque chose d’exemplaire. Je suis peu engagé donc je me contenterai juste de dire que la dernière chose dont on a besoin, c’est de Donald Trump et de ses conneries. C’est vraiment le degré zéro de la pensée politique, et je sais que vous en êtes tous conscients mais ça n’enlève pas que c’est vraiment le degré zéro de la pensée que de prendre ce bouffon au sérieux, car c’est un bouffon. Facile pour nous de le voir quand on vit à New York City, Los Angeles ou Seattle, mais il faut savoir que dans le Sud, les Américains peuvent être tentés d’y croire.

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Oh, je sais bien. J’habite le Sud. [Rires]
Oh, désolé. Je ne voulais pas prêcher la paroisse maudite. [Rires]

Pas de problème. Tu n’as pas tort et ça fait réfléchir quand tu es entouré d’un nombre étourdissant de gens avec des convictions diamétralement (et parfois violemment) opposées aux tiennes, qu’il s’agisse de politique ou de marque de cigarettes…
[Rires - il parodie la Bible] Eh bien croissez, multipliez, et remplissez la terre, parce que le monde se développe lui aussi, ce qui me comble de joie. Le combat va être difficile mais nous sommes légion, et plein d’énergie. J’espère qu’on va reprendre le pouvoir et qu’on pourra finalement freiner l’emprise du complexe militaro-industriel et de tous les néo-conservateurs et partisans de ce régime inhumain. On verra !

Pour en revenir à ton approche de la composition mais pas seulement pour The Wall, le fait de prendre de l’âge t’a-t-il fait prendre du recul par rapport à tout ce que tu as fait ? Penses-tu être resté ce petit garçon dont on entendait la voix chez Pink Floyd ?
Non, je ne le suis plus. [Rires] Non non. Sans quoi je serais un vieux type infantile. Mais je ne suis même pas vieux ! J’ai seulement 72 ans bordel et je sens que j’ai encore la niaque, comme on dit en Angleterre. Cela dit, à 72 ans on se rend compte que l’aiguille a toujours tourné, ce dont j’avais déjà conscience à 27 ou 28 ans quand j’ai écrit «Ticking away the moments that make up a dull day. » Je venais alors de réaliser que la vie n’était pas une répétition et que tu n’avais droit qu’à la représentation finale. Donc autant en profiter un maximum. Aujourd'hui, à 72 ans, les trois-quarts de mon temps sur terre sont épuisés et je veux vraiment tirer un maximum du délai qu'il me reste pour me consacrer à l’amitié, à l'amour, mais aussi pour abattre le maximum de murs qui ont pu me séparer des autres. De même que j’aimerais encourager les leaders religieux et les nationalistes ainsi que nos journalistes, Donald Trump et tous les xénophobes, à s’engager dans cette direction avec moi. Si on ne le fait pas, on est foutus.

En parlant des albums qui ont précédé The Wall, comme on en avait déjà discuté, les thèmes n’étaient pas nouveaux en soi, mais la forme que vous leur donniez était spectaculaire. Vois-tu aujourd’hui The Wall comme une sorte d’apogée de toutes ces expériences : de la perte de Syd Barrett aux tensions intestines du groupe ? Une sorte d’apogée de la frustration ?
Je dirais que c’est une étape du voyage. J’ai fait un disque, Amused to Death, qui m’a semblé très important il y a plusieurs années et je travaille en ce moment-même sur un nouvel album. Mais pour en revenir à Syd, j’ai joué à Washington D.C., il y a trois semaines, avec des amis vétérans blessés de l’Hopital de Walter Reed, et j’ai joué « Shine on You, Crazy Diamond ». Si tu vas sur mon site ou sur ma page Facebook, il y a une vidéo en noir & blanc que Sean a monté : on y voit mes amis, et Tom Morello. L’un de mecs a marché sur une mine et il joue maintenant de la guitare mieux que jamais. Celui qui l’accompagne au chant est Tim Donnelly, et même si c’est un titre que j’ai écrit pour Syd et l’amour que je lui porte, ça n’en exprime pas moins combien il est important de profiter un maximum de la vie tant qu’on en a la capacité physique et mentale mais aussi qu'il est important de prendre des décisions avant d’être aculés par l’âge ou la maladie, parce que ça arrivera tôt ou tard. Du coup, je ne prends pas le temps qu’il me reste à vivre à la légère.

L’activisme politique a toujours été passionnel pour toi ou c'est quelque chose vers lequel le monde t’a poussé ?
Rien qui n’ait vraiment été déclencheur. J’ai hérité de ça au moment où je suis devenu conscient. L’impression d’avoir la responsabilité d’aimer autant que possible, à l’exemple de mon père qui est passé de l’objecteur de conscience chrétien à un combattant du nazisme avant de mourir en héros. Quand tu vois ce genre de sacrifice, plus particulièrement de la part de ton père, l’engagement devient inévitable. J’étais enfant la première fois que j’y ai été exposé, mais il m’a fallu des années et des années pour pouvoir l’endosser. Dans le film, il y a ce moment où je parle de cet homme qui m’aurait dit « Votre père aurait été fier de vous » [Long silence]

On peut faire une pause si tu veux.
Non, non. Mais je ne peux même pas te raconter ça sans ressentir cette grosse boule dans la gorge. Je ne peux même pas prononcer ces mots tant ils me tiennent à cœur. La mort d’un parent est un fardeau mais c’est aussi une grâce. Parce que c’est une chance d’avoir un modèle aussi puissant. Quand les gens me demandent pourquoi je fais ci ou ça, même si je déteste l’admettre, je réponds toujours que c'est parce que je n’ai pas le choix [Rires]. Ça ne veut pas dire que je suis un automate qui avance dans les pas humanitaires de mon père et de ma mère, mais je leur suis très reconnaissant d’avoir été ces figures exemplaires qui m’ont appris tout ce qu’on devrait enseigner aux enfants : que les êtres humains sont tous égaux sous le soleil, qu’ils ont des droits et autres, qu’on devrait tous pouvoir pratiquer la religion qui nous convient et notre liberté de parole, que tout ça est essentiel. C’est ce qu’il faut enseigner à nos enfants Jonathan. On est responsables d'eux et du monde. Jonathan Dick vit en Alabama. Suivez-le sur Twitter.