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Music

Faites vous une raison : les Red Hot Chili Peppers sont toujours un putain de bon groupe

Ils ne sortiront peut-être plus jamais un autre « Mother’s Milk » mais ils restent imbattables sur scène. On est allés le vérifier le week-end dernier à Québec.

Photos utilisées avec l'aimable autorisation du Festival d'été de Québec

Chad Smith attaque sa caisse claire, Flea commence à dérouler une ligne sur un rythme simple mais bouillonnant, autour duquel tourbillonne Josh Klinghoffer, des décharges spasmodiques de bruit blanc s’échappant de temps à autres de sa guitare baryton. Les Red Hot Chili Peppers n’ont besoin que de 90 secondes pour se mettre en place, avant que Klinghoffer n’envoie, seul, l’intro de « Can’t Stop », les yeux fermés, à deux doigts de l’orgasme. Anthony Kiedis saute sur le devant de la scène, enroule son avant-bras autour du pied de micro et s’engouffre dans le premier couplet. Les 80 000 spectateurs massés sur les Plaines d’Abraham, à Québec, deviennent fous à lier.

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On retrouve là-dedans tout ce que les détracteurs des Red Hot Chili Peppers trouvent ridicule et inutile. Les attitudes de showman que certains voient comme un simple spectacle masturbatoire ; les textes absurdes débordant de ces références purement californiennes qui foutent beaucoup de monde mal à l’aise ; les coups de pieds en l’air et les sauts à pieds joints qui provoquent ricanements et souffles exaspérés. Rien que du remplissage, aux yeux de ceux qui à l’époque connaissaient les paroles de « By The Way » par cœur, mais qui maintenant évitent le sujet en riant dès qu’on leur parle du groupe.

Mais cette attitude est beaucoup trop facile. Ce soir, au Festival d’été de Québec, ils ont passé 90 minutes à faire ce qu’ils ont fait tout au long de ces vingt dernières années : gueuler, sauter dans tous les sens, chanter, hurler, danser, arborer un grand sourire et kiffer chaque putain seconde ici-bas. Et sur scène, là où est leur vraie place, l’ambiance n’a rien de risible ; elle serait plutôt toxique, dans le plus pur sens du terme – elle supprime vos inhibitions, vous donne le sourire, et abuse de prend contrôle sur le moindre de vos mouvements. Et, sur à peu près tous les plans, ça fonctionne à merveille.

« Can’t Stop » est un premier morceau judicieux, et pas seulement pour son riff étrange, minimal et insistant. Il est vrai qu’Anthony Kiedis touche à l’essence de l’absurde dans ses textes ; et ses phrases ne tiennent pas toujours debout. Mais c’est un chanteur et auteur sous-estimé, un vocaliste rythmique qui use de son larynx plutôt que des basses. Ses paroles sont condmanées à s'imposer, quelque soit leur degré d’absurdité. Il est impossible de trouver une meilleure ligne rythmique sur le couplet de « Can’t Stop » que celle que créent les phrases « Go write your message on the pavement / Burn so bright, I wonder what the wave meant. » (« Va écrire ton message sur le trottoir / Une flamme si forte, je me demande ce que la vague voulait dire »). Il a su trouver le fil conducteur du morceau, en extraire l’essence, et se caler sur le rythme qui le mettrait le mieux en valeur.

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Ce soir, 80 000 personnes, dont la plupart ont un accent français-canadien à couper au couteau, chantent « Come back strong with 50 bellydancers » comme s’ils avaient attendu toute leur vie de pouvoir le crier en public. Les Red Hot Chili Peppers sont un grand groupe de stade. Ils ont cette capacité à surprendre la foule et à l'emmener là où elle ne pensait jamais aller.

Et ce n’est pas non plus comme si l'absurdité dominait toute leur œuvre. Les paroles de « Californication » sont si lugubrement post-modernes qu’elles feraient ronronner des étudiants de master s’ils tombaient dessus dans un roman de Bret Easton Ellis. Ouais, on a marché sur la lune, mais Kubrick a fait mieux, « tout est fait dans une cave à Hollywood ». Et de toute façon, tout n’est plus que marchandise, tout est à vendre, « Hollywood vend de la Californication ». Ici, Kiedis fait moins dans l’absurde que dans la prise de note, ajoutant de petits événements à moitié insignifiants les uns aux autres pour créer un ensemble cohérent. Il fait la même chose dans « Scar Tissue », en compilant de brefs moments d’idylle amoureuse et de beauté, pour les assembler ensuite et voir ce qu’il en sort.

C’est vrai, sa voix fait parfois défaut, ce soir. « Otherside », en particulier, en souffre, lorsque son oreillette le lâche. Mais un champ entier couvert de gens est là pour soutenir ce refrain cabossé, noyant tout le reste, atténuant la perte d’un demi-ton. Et quand tout roule, sa voix conserve cette perpétuelle étrangeté. Il y a peu de groupes du niveau stade dont le chanteur est à ce point unique qu’il est irremplaçable. Axl Rose en a récemment fait les frais…

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Ceci dit, ce qui fait que les Red Hot Chili Peppers sont un vrai grand groupe de scène ne tient pas à leur frontman, mais au fait que chacun de ses membres exerce une étrange fascination sur le public. On a beaucoup parlé du statut de Klinghoffer, en tant que doublure de John Frusciante, formé pour jouer ces chansons, ayant appris les particularités de son falsetto et repris les trilles de guitare qui caractérisent les moments forts du groupe. Mais même s’il a beaucoup gardé du style de son prédécesseur, il se comporte différemment sur scène, plus innocent et irréfléchi quand il se laisse aller, moins grevé par cette noirceur que Frusciante savait injecter avec tant de beauté dans son travail.

Flea, de son côté, demeure un génial bouffon, en mouvement constant, faisant la grimace, prenant la pose, entrant en transe à force de mouvements effrénés sur son manche. Comme Smith, qui a raccourci ses solos de batterie, il sait exactement jusqu’où aller dans ses improvisations. Il impressionne sur « By The Way », évidemment ; il est capable de jouer très vite. Mais c’est sur des morceaux comme « Under The Bridge » qu’il brille particulièrement, en retrait derrière la guitare de Kinghoffer, extirpant du morceau jusqu’à la dernière goutte de regret.

Ce qui soulève à nouveau la question de leur complaisance avec eux-mêmes. Quelle sorte de complaisance peut donner naissance à un tel niveau de cohésion, notamment à cette pure alchimie existant entre Flea et Klinghoffer ? à quel genre de narcissisme a-t’on à faire lorsqu’un groupe ne place que trois chansons de leur dernier album – « Dark Necessities », « The Getaway » et « Go Robot » - dans son set ? Quelle sorte d’arrogance pousse les Red Hot Chili Peppers à finir leur concert avec « Under The Bridge » et « By The Way », avant de revenir et faire « Around The World » et « Give It Away » en rappel, le genre de trucs dont les fans n’osent même pas rêver ?

Non, les Red Hot Chili Peppers ne sont pas complaisants avec eux-mêmes. Ils ne sont pas puérils, en tout cas ils ne le sont plus, et – 32 ans après leur premier album – leur set n’a quasiment pas un pet de gras en trop. C’est un groupe qu’on doit critiquer pour ses échecs – Stadium Arcadium était très moyen, des chansons comme « Purple Stain » sont complétement débiles – mais qu’on doit aussi vénérer pour toutes ses réussites. Et il y en a trop pour qu’elles soient ignorées. Alex Robert Ross est sur Twitter.