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Attention : Poids Lourds !

À l'occasion de la sortie de leur album « Frontières », Arnaud Rebotini et Christian Zanési nous ont parlé techno et death-metal, tradition et avant-garde, Throbbing Gristle et Motörhead.

Photo - Philippe Levy

Attention : Poids Lourds ! Dans le coin droit du ring, short et chaussettes noirse, l'impressionnant Arnaud Rebotini, icône d'une musique électronique française désormais en manque de têtes de gondole. Black Strobe ou Zend Avesta, c'est lui. Histoire d'aggraver son cas, Rebotini est un dingue d'indus et de Throbbing Gristle. Coin gauche, l'intrigant Christian Zanési, directeur adjoint du GRM et chercheur de sons permanent. Un malade en quête permanente de rédemption par le son. Le GRM ? Non, il ne s'agit pas d'une opération consistant à faire passer un scanner à un épi de maïs, mais bien du Groupe de Recherches Musicales, structure à l'avant-garde de l'avant-garde depuis 1958. Au centre, leur premier album commun, Frontières, où la techno se mêle à l'électroacoustique, où la musique industrielle rencontre des fantômes numériques. Rien d'étonannt donc à ce que nos deux combattants sortent aussi bien les noms de Throbbing Gristle ou David Bowie que ceux de Motörhead et Herbie Hancock pour en parler.

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Noisey : Vous voilà réunis pour un disque de musique électronique assez radical.
Christian Zanési : Je perçois pas du tout cette radicalité. D'autant que je n'ai jamais aimé la hiérarchie des genres. Je parle essentiellement de la musique en termes de fonction.

Arnaud Rebotini : Cet album, c'est de la variété par rapport à ce que produit généralement le GRM ! Au départ Arnaud, c'est le côté jouet des synthés qui t'a poussé à choisir la musique électronique plutôt que le rock et la guitare ?
Arnaud : Quand tu vois Herbie Hancock devant un synthé, tu penses à tout sauf à un jouet. Tu vois qu'il y a une réelle maîtrise et un apprentissage beaucoup plus important que chez certains guitaristes. Ça dépend de qui on parle bien sûr. Ce qui m'a intéressé, c'est d'abord les sons. De passer d'un monde acoustique qu'on connaissait à ces sons qui imitent maladroitement des sons existants. Ça rajoute un voile métaphorique supplémentaire à la musique. Quelque chose de plus froid, mais aussi de plus funky par moments, car les sons peuvent être très courts, très impactants. Ca peut aussi rendre les grooves et les syncopes hyper funky. Ce mélange m'a attiré, et aussi l'affranchissement de l'apprentissage d'une technique instrumentale, et surtout d'un groupe. T'es plus saoûlé par le batteur qui vient pas à la répet' parce que sa meuf a perdu son chat et qu'il a passé l'après-midi à le chercher. Les débuts des petits groupes de rock, c'est souvent ce genre de galère. Là, t'arrives chez toi, tu te mets une boîte à rythmes, un synthé et BAM !, c'est parti.

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Christian : Il y a aussi un côté ligne claire avec les sons électroniques. Kraftwerk en a été le prototype. Ce n'était pas une musique composée de tâches, mais d'une ligne claire.

Vu de l'extérieur, votre duo ressemble à une improbable association de malfaiteurs. Vos univers semblent éloignés à première vue.
Arnaud : À l'époque où je faisais de la promo pour Zend Avesta, en 2000, je parlais pas mal de musique contemporaine. Au cours d'une émission sur France Musique, j'avais parlé du GRM comme des inventeurs de la musique industrielle. Pour moi, Throbbing Gristle ou Nurse With Wound ont juste réinventé quelque chose qui existait 30 ans avant au GRM. J'avais ajouté être hyper fan de Christian Zanési. Il l'a appris, puis on s'est rencontré. Le GRM cherchait alors à s'ouvrir sur une électronique plus « populaire », éloignée du créneau « musiques savantes ». Ils m'ont commandé des œuvres de musique acousmatique. J'en ai réalisé deux, puis on s'est perdus de vue. Le hasard a fait le reste. Lors d'un festival, nous étions programmés l'un à la suite de l'autre. Au moment des balances, on a « jammé », moi aux synthés, Christian avec son ordi. Et on a fini par réaliser une création pour Beaubourg en 2012. Puis cet album, sur lequel on a pu bosser dès qu'on a trouvé un peu de temps. Christian, tu as travaillé avec des grands de la musique concrète comme Pierre Schaeffer ou Luc Ferrari.
Christian : J'ai toujours eu les oreilles ouvertes. Je n'ai jamais versé dans l'élitisme ou la posture. Fin des années 90, j'ai pris conscience que dans la musique électronique, il y avait des inventions très intéressantes. J'étais fan de Kraftwerk depuis longtemps, je les avais vus en concert dans les années 70. C'était une musique différente de celle du GRM. Ma rencontre avec Arnaud a été une occasion d'explorer ce domaine. J'ai aussi joué avec Mika Vainio, Christian Fennesz ou avec des musiciens de jazz. Arno est un grand musicien électronique qui possède une grande maitrise des synthétiseurs. L'intensité de son travail en studio pour trouver la bonne texture, la bonne couleur, est assez semblable à celle du GRM. On a des cultures assez proches.

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Sur ce projet, Christian a travaillé sur ordinateur, et Arnaud avec ses synthétiseurs. Vu vos âges, on aurait imaginé l'inverse.
Christian : Attention, l'ordinateur n'est qu'un outil, ce n'est pas le générateur. J'utilise bien sûr beaucoup de sons informatiques mais aussi des sons enregistrés avec des micros des années 60, 70, 80 ou 90. La grande évolution des musiques électroacoustiques depuis les années 50, c'est qu'à un moment donné, on a pu mettre le studio sur scène grâce à l'évolution technologique. L'ordinateur, c'est super pratique. Quand Cabaret Voltaire a joué dans les années 70, ils emmenaient des magnétophones sur scène, etc. C'était très lourd à mettre en place. Je mets aussi mes outils de studio sur scène, comme Arnaud avec ses synthés, sauf qu'ils sont dans mon ordinateur.

Arnaud : Au GRM, ils ont bien sûr toujours été dans la recherche et l'avant-garde, mais ils avancent avec la technologie. Ma démarche est différente. Même si je reste dans une certaine avant-garde technologique, j'utilise des outils numériques et je préfère des sources assez vintage.

Ce disque sort sur ton label, Blackstrobe records. Il n'y avait personne d'autre pour le faire ?
Arnaud : J'ai monté ce label pour sortir mes disques. Je sors très peu d'autres artistes pour l'instant mais je vais y venir. Je réfléchis sur deux ou trois signatures. J'ai monté ce label parce qu'on avait la possibilité d'avoir un deal hyper avantageux et très performant avec !K7 pour distribuer les disques. Vu la musique que je propose, je trouve ça très bien d'être totalement indépendant plutôt que d'être sur des labels à droite à gauche. Et puis j'ai déjà connu ça avec Zend Avesta chez Universal. À ce propos, t'as jamais songé à réactiver Zend Avesta ?
Arnaud : Ce que cherchent les majors aujourd'hui ne correspond plus à ce que je fais. Et en matière de musique électronique, à part Warp et Mute, je ne vois pas trop quel label pourrait m'apporter un truc de plus que ce que je peux faire seul. Avec H5, j'ai un très bon graphiste qui a déjà fait ses preuves. Je conçois l'objet du début à la fin, je le vends. Ça fait quelques années maintenant, on va arriver à la vingtième sortie du label. Je suis de plus en plus productif. Et ça va continuer.

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Discutons un peu des morceaux du disque. « Approche et Accumulations » me fait pas mal penser à Jean-Michel Jarre.
Arnaud : Tu trouves ? C'est moins mélodique quand même. Je trouve ce titre très Détroit, avec une petite séquence, l'harmonie. La rythmique n'est pas très techno, elle a un côté plus Kraftwerk, surtout à la fin. On a aussi les sons de Christian, des boucles qui se transforment tout au long du morceau. Kraftwerk, je les entends surtout dans « 12345678 ».
Arnaud : Je trouve que c'est encore plus industriel. C'est plus Throbbing Gristle avec un petit emprunt à Philip Glass, puisque ce truc de comptage est présent dans Einstein On The beach.

Christian : Ça commence aussi avec des sons très musique concrète.

Arnaud : Musique concrète old-school. GRMC !

Christian : GRMC, l'ancêtre du GRM. En promo, les musiciens électroniques ont souvent besoin d'expliquer leur musique instrumentale en l'intellectualisant. Ce qui n'est pas forcément le cas dans la pop ou dans le rock. Faut-il être forcément cérébral pour faire de la bonne musique électronique ?
Arnaud : Pour faire de la techno en club, il vaut mieux être bas du front. Si tu réfléchis trop, t'as tout faux. Mais pour faire de la bonne musique rock ou électronique, je crois qu'il faut être intelligent. Et garder l'envie d'être parfois un peu bas du front. Est-ce que les mecs de Poison Idea sont idiots ou intelligents ? J'en sais rien mais ils font une musique assez basique. Il y a aussi la question de la place. Dans le rock, tu trouves des mecs qui ont voué leur vie à un seul style. Lemmy de Motörhead, il est intelligent ou bas du front ? On peut se poser la question puisqu'il a passé sa vie à faire le même disque.

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Un peu comme les Ramones.
Arnaud : Oui, mais eux ont plus évolué. Même Phil Spector a bossé avec eux. Lemmy, c'est différent. À chaque fois, le disque sonnait un peu plus gros mais ça restait pareil. Comme AC/DC. Est-ce qu'il faut être extrêmement intelligent pour se dire « voilà, c'est mon truc, c'est ma place, et je la garde à vie » ? J'admire profondément cette attitude, car je suis incapable d'en tenir une, de place. Je peux faire Black Strobe, un truc avec Christian, de la techno, des lives plus bruts que mes disques, donc voilà… Je sais pas trop quoi te répondre, mais pour réussir une œuvre, il faut être intelligent. Je ne crois pas trop aux choses qui arrivent par hasard.

Christian : La question, c'est surtout : a-t-on besoin de formuler par des mots les choses qu'on fait ? Ce qui compte, c'est l'instinct, l'intuition. Et le sens de la musicalité. Certains ne savent pas dire ce qu'ils font, mais possèdent un instinct incroyable pour faire. Si on veut faire de l'art sur l'art, c'est différent. J'avais entendu David Bowie expliquer qu'il avait emmené l'avant-garde dans la pop. On peut bien sûr réfléchir et apporter ensuite ces décalages. Même si dans le cas de Bowie, je suis convaincu qu'il a d'abord fait sa musique et qu'il a ensuite réfléchi pour l'habiller de mots.

Arnaud : Bowie, c'est dans l'emballage qu'il est avant-gardiste. Sa musique est hyper pop et assez basique, au début en tout cas. Après il y a la période Eno. Là, il prend carrément les disques d'Eno et il chante dessus parce qu'il sent bien que c'est de l'avant-garde.

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Christian : Comme il vendait beaucoup, on pense que c'est de la com' mais je ne crois pas. Il arrive qu'on comprend ce qu'on fait au fur et à mesure. Dans la musique de Bowie, tu as quand même des ruptures très intéressantes.

Arnaud : Oui, mais pas plus que dans la pop anglaise de l'époque je trouve. Dans Sergent Pepper's des Beatles, t'avais déjà des trucs un peu barrés d'un côté et des tubes de l'autre.

Dans une autre vie tu étais disquaire chez Rough Trade. Y-avait-il un bac GRM ?
Arnaud : Non, mais à cette époque là, Universal avait réédité Messe pour le temps présent de Pierre Henry avec toute une série de remixes. On faisait beaucoup de vinyles et il y avait des trucs expérimentaux, mais c'était pas encore l'époque des rééditions comme maintenant. Aujourd'hui, Mego réédite des classiques de musique concrète. On ne trouvait pas ça, nous on avait plutôt des labels comme Pansonic.

Ça a eu une influence importante sur ta musique ?
Arnaud : J'écoutais que ce genre de trucs. Que des machins super barrés. Au milieu des 90's, j'étais pas trop dans la techno dancefloor.

Christian : Même les trucs Detroit ?

Arnaud : Si, mais des choses plus sombres. J'ai toujours eu un rapport « je t'aime moi non plus » avec le dancefloor. Je ne danse plus, mais je l'ai fait quand je sortais énormément en club. Un peu au Boy aux débuts, et dans les soirées Hacienda à la Loco où il y avait Dave Haslam, Laurent Garnier qui jouaient. C'était mon époque danseur. Que penses-tu de la musique électronique actuelle ?
Arnaud : Tu trouves plein de choses hyper bien, plein de jeunes avec des vieux synthés. C'est un peu le grand truc des synthés analos. On me pose tout le temps des questions par mail sur ce qu'il faut acheter ou éviter. D'un point de vue créatif, la période est par contre assez plate. On enchaîne surtout des cycles de revival. Et je crains que ça dure parce que le concept est là, fort. Et puis qu'y-a-t-il de mieux pour aller danser toute la nuit que de la house ou de la techno ? Quand les gens sont usés par un style, une variante vient prendre le relais mais globalement on ne traverse pas une période hyper excitante. Et il n'y a aucune rupture générationnelle. On n'a plus ce discours des jeunes contre les anciens, des rockers contre les synthés du début des années 80. La musique ne serait donc plus un marqueur social ?
Arnaud : Social, si. La musique électronique, c'est quelque chose d'assez bourgeois. Mais un marqueur générationnel certainement pas. Dans le metal, les vieux groupes ne sont plus de vieux ringards. Dans les années 90, tous les groupes de death metal qui avaient 5 ou 10 ans étaient tous des gros ringards, voire pire. Dans la musique électronique, c'est la même évolution.

Albert Potiron sera bientôt un gros ringard sur Twitter.