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Music

Punk rock et Teen Movies : chronique d'une union sans issue

De l'explosion de The Offspring au succès d' « American Pie », comment punk rock et Teen Movies se sont unis au milieu des années 90 pour le meilleur et (surtout) pour le pire.

Blink-182 dans

American Pie

De 1999 à 2004, le cinéma américain nous a gavé de teen movies surfant éhontéement sur la vague provoquée par le tsunami

American Pie

. Et si que les années 80 étaient représentées par John Hugues et les sonorités pop rock et new wave, cette nouvelle mouvance allait, elle, emprunter des sentiers tout juste pré-établis par un punk rock en pleine mutation.

Pas nécessaire de se refaire un historique complet du punk rock américain des années 80 et 90, il suffit d'observer le changement de cap soudain de certains des groupes les plus célèbres du circuit, alors en pleine ébullition, et de prendre comme repère la date de sortie d'

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American Pie

, en 1999. Un an plus tôt, alors que The Offspring avait déjà explosé les ventes d'albums avec

Smash

en 1994, suivi en 1997 par

Ixnay on the Ombre

(succès moindre, mais tout de même 5 millions d'exemplaires vendus), le quatuor californien sort

Americana

. Derrière ce qui semble motivé par l'envie de retrouver le succès de

Smash

, s'opère un tournant pour le groupe qui après avoir connu le succès sur les ondes radios allait dès lors pulluler sur les tubes cathodiques par pelletés d'encarts publicitaires ou de clips vidéos. Une médiatisation qui s'amplifie à toutes les sphères : magazines, émissions TV…

Si les clips d'

Ixnay on the Ombre

étaient réalisés par David Yow, leader de The Jesus Lizard, ou Dexter Holland lui-même, les tubesques « Pretty Fly » et « Why Don't You Get A Job » d'

Americana

sont mis en image par McG, futur réalisateur du film

Charlie's Angels

, dôté d'un talent certain pour dépeindre une Amérique ensoleillée dans ce quelle a de plus affriolant et de plus superficiel. L'année suivante, Blink 182 sort

Enema of the State

, immense succès prédit par l'album

Dude Ranch

deux ans auparavant qui cartonnait déjà avec des titres comme « Damnit » et « Josie », et qui marqua leur départ du label Grilled Cheese Records vers MCA.

Le schéma est le même pour les deux groupes, une production plus radiophonique et des clips funs mais aseptisés, conçus pour être diffusés en boucle. S'en suit une flopée de groupes américains ou canadiens qui clameront l'influence de The Offspring, Green Day et Rancid. Leurs noms ? Sum 41, AFI ou encore Good Charlotte. Si leurs modèles pouvaient encore prétendre à un peu de crédibilité vis à vis de la scène punk, c'était peine perdue pour eux.Quand

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American Pie

débarque, il inaugure un renouveau du teen movie. Il faut retourner au cœur des années 80 pour observer tel succès, et on en revient logiquement aux réalisations et productions de John Hughes. Le public ciblé reste le même mais la note d'intention diffère. John Hughes parle de la transition vers l'âge adulte, de la recherche de son identité et surtout des perpétuels questionnements qui hantent cette période de la vie. Ferris Bueller ne séche pas une journée de cours pour se remettre d'une cuite et partir à la recherche de sa caisse avec son meilleur pote mais plutôt pour se demander qu'est ce qu'il pourrait justement faire de cette journée synonyme de liberté.

La nouvelle vague du teen movie traite ces idées de manière plus volatile, préférant les suggérer pour mieux les dynamiter à coup de blagues potaches. En résumé, un constat similaire à l'évolution du punk des années 80 vers ce qui sera rapidement nommé le punk à roulettes. La perte de vision sociale de ce renouveau cinématographique est un reproche accolé à ces long-métrages, de la même manière qu'à certaines formations musicales. Une différence demeure cependant, le teen movie des années 80 n'a jamais fait appel à la musique punk alors considérée comme marginale pour certains, démodée pour d'autres ou simplement trop politique. En s'inscrivant comme pilier musical du genre à l'aube des années 2000, bon nombre de punk rockeurs venaient de se mettre à dos une frange du public.Comparé aux années 80 et sa pléthore de film pour ados, le début des années 90 tire un peu la tronche. L'un des rares à se faire remarquer est

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Dazed & Confused

de Richard Linklater aujourd'hui devenue culte pour bon nombre de cinéphiles (dont

Quentin Tarantino

), et qui apparaît alors comme le chant du cygne à la mouvance instaurée par John Hughes. Plus discrets, certains réalisateurs comme Larry Clark ou Gregg Araki proposent aussi leurs visions de l’adolescence avec

Kids

ou

The Doom Generation

. Plus auteuristes, plus réflectifs, ils sont le versant underground et noir de ce qu'abordait John Hughes, et leurs réalisations sont de fait moins aptes à remplir les salles.

Le genre somnolait donc au box office, et

American Pie

allait le réveiller de manière similaire à

Scream

pour le cinéma d'horreur trois ans plus tôt : une parodie du genre rapidement prise à contre sens par ses successeurs. Au sein du teen movie et de l'horreur, le cynisme triomphe, préférant singer les codes plutôt que de les ré-inventer. Ainsi, les classiques scènes de fêtes à l'américaine sont encore présentes, tout comme les nerds et l'omniprésence de la sexualité, mais de manière bien plus prétexte à la blague ou au bon tranchage de gorge qu'à la mise en perspective de l'adolescence dans les deux cas. Avec un humour influencé par la comédie US de l'époque, ces nouveaux teen movies reprennent les formules qui marchent tel la surenchère du cinéma des frères Farrely qui viennent de cartonner avec

Mary À Tout Prix

. Et pour illustrer et rythmer tout ça, il fallait une musique.

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De son côté, le punk rock connaît lui aussi des mutations et une crise d'identité qui crée très vite des distinctions entre les groupes, plus souvent critiqués en raison leurs ventes pharamineuses qu'à cause de la qualité de leur musique. The Offspring avait fait grimper les compteurs très haut avec

Smash

qui devint le plus gros succès pour un groupe signé sur un label indépendant, Epitaph - tenu par Brett Gurewitz, guitariste de Bad Religion, qui n'hésitera pas à incendier les membres de The Offspring lors de leur départ vers une major. Sauf que l'histoire, la vraie, est un peu plus complexe que l'unique volonté des californiens de signer un gros contrat bien juteux avec Columbia.

Quand

Smash

surprend le milieu punk par son succès en 1994,

Brett Gurewitz

comprend qu'il tient une poule aux œufs d'or dans son écurie. Dans une lettre écrite en 1996, le leader de The Offspring, Dexter Holland explique que « le dernier contrat qu'il (Brett Gurewitz) nous proposa nous posait de gros problèmes. Il explique que nous ne pouvions pas faire de reprises. Il déclarait que Ron ne pouvait pas jouer dans son autre groupe. Il indiquait qu'il pouvait utiliser notre musique sur toutes les compilations qu'il souhaitait. Une version du contrat comportait même une clause qui permettait à Brett de souscrire une assurance vie sur ma personne, donc si je mourrais il en tirait profit. C'est là que nous avons vraiment réalisé que nous n'étions que de l'argent pour lui. » Avant de conclure : « Nous n'enregistrerons pas pour un gars qui est bien pire qu'une grosse major. Nous allons faire ce que nous voulons faire. » Cet incident symbolise bien la fracture qui vient de s'établir au sein de la scène, entre désir de ne pas lâcher la doctrine DIY, de maintenir une réputation et l’appât du gain provoqué par l'essor du punk rock.

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Il est peu dire que Epitaph sera au cœur de cette évolution, tout comme avec Bad Religion quand ces derniers ouvrent les portes du mainstream avec l'album

Recipe for Hate

en 1993, rapidement racheté et ré-édité par Atlantic Records tout juste après sa sortie sur Epitaph. La raison invoquée au départ du groupe vers Atlantic ? Epitaph explique ne plus pouvoir assurer le pressage d'un si grand nombre de galettes. S'en suit la phase MTV de Bad Religion avec des titres emblématiques comme « American Jesus » ou « Infected », et quelques sous en plus investis dans le marketing. Bad Religion ne grimpera pas davantage les marches de la célébrité, peu enclin à brider son discours. Le rapport conflictuel des groupes et des labels fut capital et les décisions qui s'en suivirent guidèrent certains groupes vers une explosion médiatique qui s'adressait à un tout nouveau public, via la télévision, les magazines, et bien évidemment le cinéma.

1994 fut une année exceptionnelle pour certains de ces groupes. Green Day et The Offspring réalisent des millions de ventes avec

Dookie

et

Smash

et Nofx connaît son plus gros hit avec

Punk in Drublic

. Le punk rock est à la mode mais on l'a bien compris, faire du punk et signer chez une major est l'insulte suprême aux yeux de certains, et plus qu'une question de pognon, c'est la manière dont les groupes vont perdre le contrôle de leur image qui va poser problème. Le cinéma puise dans ce que cette musique a de plus cool, et de 1998 à 2004, Blink 182 sera le trio de jeunes attardés à la cool, The Offspring les californiens aux lunettes de soleil, et Sum 41 les petits jeunots excités.

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À ce titre, les canadiens de Sum 41 sont clairement des ados de la génération

American Pie

, tous âgés de 18 ou 19 ans à l'époque. Le groupe s'inscrit dès ses débuts dans le délire teen movie en vogue, le clip de « Makes No Difference » présent sur leur premier EP

Half hour of Power

qui sort en 2000 pourrait être un extrait de n'importe lequel de ces films. L'industrie du cinéma et de la musique ne s'y sont pas trompés, au point de faire de cette musique un facteur clé des films en question, créant par là-même la nouvelle étiquette publicitaire de ces musiciens. Les groupes s'affolaient, sans savoir qu'ils venaient de signer pour une période de succès en CDD.

Autre évidence, ce punk rock mélodique, et plus globalement le pop punk, s'affilie d'emblée à ces long-métrages par ses paroles, qu'il s'agisse de Blink 182, Good Charlotte ou New Found Glory. Déceptions amoureuses, beuveries entre potes et conneries à la pelle, les paroles versent dans le no futur version gueule de bois autour de la piscine familiale plutôt que dans la révolte sociale. Le groupe emblématique de cette mouvance reste Blink 182 qui apparaît dans les bandes originales des deux premiers

American Pie

, en plus d'un caméo.

Ils débarquent sur le devant de la scène musicale quelques années après Green Day et The Offspring qui avaient fait leur preuve dans le milieu punk, l'un pour ses concerts au CBGB, l'autre pour deux albums appréciés du public avant leur médiatisation. Mais Tom, Mark et Scott (rapidement remplacé par Travis Barker) n'ont rien de tout ça. Allures de beau gosses préférant manger leurs crottes de nez que réviser leur chimie, ils sont à eux trois l'incarnation des Jim, Stiffler et Pause Caca d'

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American Pie

. La suite de leur carrière, les hauts et les bas, sont souvent l'écho de la popularité de ce cinéma.

Cette sollicitation pour les écrans, le groupe la connaît dès 1998 quand leurs morceaux se retrouvent dans quelques-unes des péloches les plus punk du moment :

Les Razmoket

,

Sacré Père Noël

,

Tomcats

et

Loser

. Pour The Offspring, plus anciens et au songwriting plus diversifié, les titres iront aussi vers le teen movie pur jus (

American Pie 2

,

Loser

,

Orange County

) mais aussi ses excroissances horrifiques comme

La Main qui tue

, un film dans lequel Dexter Holland se fait scalper alors que le groupe reprend « I Wanna Be Sedated » des Ramones, ou

The Faculty

, l'un des derniers fait d'arme intéressant de Robert Rodriguez.

Concernant les scenarios des films, l'histoire se répète inévitablement : de jeunes nerds connaissent déboires, péripéties et joies - sauf que le traitement à l'écran diffère de la décennie précédente. Le discours critique, voir philosophique, des années 80 est gommé au profit de comédies où l'adolescent n'est plus un personnage en proie aux doutes mais un gamin peu finaud et agité de la braguette. Le fantasme du nerd n'est plus la fille rêvée mais la bimbo idéalisée, idée que John Hughes abordait déjà à sa façon dans

Une Créature de Rêve

.

Étonnamment,

American Pie

fut jugé assez osé dans une Amérique en pleine montée de puritanisme après le scandale Monica Lowinsky. Des journalistes iront jusqu'à

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interviewer le casting féminin sur l'aspect soit disant politiquement incorrect du film

, reléguant d'office sa musique à du punk en carton en terme d'idéologie. Le reproche même qui a été fait au punk rock de Blink 182 ou de Sum 41, à savoir une imagerie alléchante pour le jeune ado mais où toute once du discours des générations précédentes s'était évaporé.

Depuis, ces groupes ont disparus ou évolués, mais aucun d'entre eux n'a jamais renié appartenir ou avoir appartenu à la scène punk. Pour eux, cela signifiait simplement être fun, faire les cons et se la mettre comme il faut.

Deryck Whibley peut vous en parler

. Là où John Hughes traitait l’adolescence au premier degré, les productions du début des années 2000 retournent le genre sans ménagement en appliquant une bonne couche de second degré permanent. Sous couvert de la comédie, plus rien n'est à prendre au sérieux, on s'en branle. Les lyrics punk suivent la cadence.

Certains groupes sont parvenus à l'entre deux, à savoir conserver une popularité au sein du milieu, tout en engrangeant de l'argent, mais pas trop, car encore une fois l'argument qui inculpe certaines formations, sans appel possible, est la signature chez une major ou le trop plein de blé. Des gens comme Nofx , Bad Religion ou Pennywise ont aussi essuyés les critiques mais restent associés à une culture punk plus traditionnelle et n’apparaissent jamais dans les bandes originales des teen movies post-

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American Pie

. Bad Religion ne se délesta pas de ses réflexions critiques après son passage chez Atlantic, Nofx restera fidèle à sa sauce tout en dénigrant MTV tandis que Pennywise ne signera jamais ailleurs que chez Epitaph.

Comme pour le slasher post-

Scream

, ce renouveau s’essoufflera rapidement en raison de son manque d'ambitions. Les codes tournent en rond, et après le troisième

American Pie

, les suite non-officielles sortent directement en vidéo. Les baggys et planches de skate sont reléguées au placard et dès 2003 les groupes se retrouvent dans l'impasse. Le revers de la médaille s'impose à beaucoup d'entre eux. Cette année là Blink sort son album éponyme, succès critique et commercial mais qui sera aussi la fin de l'apogée du groupe et les premières embrouilles entre les membres. The Offspring signe

Splinter

, album d'une demi heure où le groupe s'en sort tout en montrant très clairement qu'il ne sait plus dans quelle direction aller, entre un morceau comme « Hit That », calibré pour les radios, ou un véritable hymne punk avec le titre « Da Hui », ajouté au départ de leur batteur/ cogneur Ron Welty. En 2004, Sum 41 lui aussi met fin à sa période 100 % punk rock avec l'album

Chuck

. Une mode venait de s'éteindre est le punk rock faisait partie des victimes. Un constat bien cynique.

Green Day est un peu à part. Quand il explose avec

Dookie

en 1994, le groupe est, avec The Offspring, la grosse pointure commerciale de la scène punk. Mais si ses concurrents supportent plutôt bien leur soudaine notoriété, Green Day semble un peu plus dépassé. Leur album suivant,

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Insomniac

, qui sort en 1995 est bien plus contrasté et les sujet tendent vers l'anxiété, les doutes, … Le succès de

Dookie

n'est pas réitéré et le ne sera plus non plus avec

Nimrod

ou

Warning

. Cela n’empêche pas de retrouver leur musique dans

American Pie 2

mais de manière plus anecdotique, sans réellement symboliser ce courant.

Peu affiliés à la mode des teen movies et plus vraiment dans le coup, Green Day ne sortiront plus rien avant 2004 et leur retour fracassant avec

American Idiot

qui flinguera l'argent de poche de millions d'ados. En 1999, Billie Joe Amstrong revient sur le ralliement du groupe à une major à l'époque de

Dookie

: « Je ne pouvais pas revenir vers la scène punk, nous étions soit le plus gros succès mondial, soit le plus gros échec … La seule chose que je pouvais faire était de monter sur mon vélo et aller de l'avant. » Avec

American Idiot

, ils prennent à contre pied leur propre créneau, un punk rock qui n'attire plus, avec un opéra rock désireux d'être pris au sérieux tout en s'attaquant au gouvernement Bush, premier fournisseur de lyrics des groupes punk de l'époque.

Si

American Pie

n'est pas forcément un mauvais film, tout comme

Scream

est loin d'être le pire film d'horreur que l'on ait eu à se mettre sous la dent, ce sont bien les suites et le nombre impressionnants de copies qui sortirent les années suivantes qui posent problème. Quant à la musique, le constat est similaire, si les précurseurs n'ont pas à rougir, la plupart des groupes formés en pleine mouvance teen movie (Good Charlotte, Simple Plan) lâcheront le punk rock au bout de deux albums. Cette période aura eu le même effet sur les deux registres, le film d'ados et le punk rock, biaisant souvent leur perception et les adoubant d'une connotation péjorative aux yeux du public. Nous sommes en 2004, le teen movie perd en intérêt et crédibilité, tout comme le punk rock qui essuie les plâtres. Onze ans plus tard, on se demande encore comment Simple Plan a pû vendre autant d'albums.

Nicolas Milin est sur Twitter.