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Music

Pourquoi le disco a-t-il provoqué tant de haine dans les années 70 ?

Et pourquoi son influence est-elle à ce point ignorée aujourd'hui ?

« Ce qui me gave le plus avec le disco, c'est que je n'ai jamais réussi à trouver un costume trois-pièces blanc qui m'aille bien dans les boutiques de prêt-à-porter », plaisante l'ancien DJ radio Steve Dahl, devant la caméra d'une chaîne de télé locale le 12 juillet 1979 - une date désormais inscrite dans l'histoire de la musique comme la Disco Demolition Night (la Nuit de la Démolition du Disco). « Et puis je déteste la piña colada, je suis allergique aux bijoux dorés, je suis radin et je n'aime donc pas dépenser du fric en factures d'électricité alors qu'il faut passer des heures à se faire un brushing… Ce n'est pas du tout écolo. » Steve Dahhl travaillait dans une station de radio locale avant d'être viré. Le motif de son licenciement ? Le disco. Ce genre musical était en train de devenir le nouveau son en vogue : des hymnes groovy et taillés pour le dancefloor que la majorité écrasante des auditeurs préféraient désormais au rock, dont Steve Dahl était l'ardent défenseur sur les ondes. Plutôt que d'encaisser le coup sans broncher - par exemple en s'enfermant dans sa cave pour écouter Black Sabbath et Led Zeppelin en boucle - l'animateur déchu, après avoir taxé la disco de « maladie », a proposé au promoteur de l'équipe des White Sox de Chicago d'y mettre le feu, littéralement, au milieu d'un stade de base-ball.

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C'est donc entre deux matchs des White Sox au Comiskey Park que Steve Dahl a demandé à ses auditeurs de le rejoindre au centre du terrain pour réduire en cendre des vinyles disco. Alors que les matches rassemblaient habituellement 15 000 spectateurs, on en comptait plus de 50 000 ce soir-là. Aux cris de « Disco sucks ! », Steve a enjoint des milliers de personnes à craquer des allumettes dans des caisses remplies de chansons funky. La police anti-émeutes est intervenue pour interrompre l'événement. « Je vais vous montrer comment on détruit un album disco », a expliqué Steve Dahl à un journaliste. Puis il a pris un vinyle, l'a frappé trois fois contre son crâne jusqu'à ce que la galette de plastique se brise en morceaux. Sacrée façon de traiter un genre qui exerçait pourtant une influence positive dans la communauté musicale. Le disco symbolisait à lui seul week-end : tempo rapide et ambiance festive, paillettes, boules à facettes, et chorégraphies bien huilées. Le genre remonte aux années 60. Il s'adressait à tous les noctambules qui voulaient faire la fête, sans distinction de race, genre, âge ou sexualité. Mieux : les nouveaux-venus étaient encouragés à mettre l'accent sur l'excentricité dès leur entrée en club, afin de se démarquer (un exemple au hasard : Bianca Jagger montée sur un vrai cheval blanc à l'intérieur du légendaire Studio 54 de New York). La communauté disco valorisait justement le fait d'être un outsider, à grand renfort de basses slappées, de violons et de cowbell, comme une célébration radieuse des rebuts de la société. La disco marchait main dans la main avec les drapeaux couleur arc-en-ciel de la gay pride, et acceptait aussi bien les femmes que les hommes. Les soupirs érotiques de Donna Summer sur « Love To Love You Baby » transpiraient la libération sexuelle. Et aux premières loges de la disco, se trouvaient le plus souvent des femmes, dont les paroles et le chant abordaient un thème récurrent, celui de réchapper à son adversaire. « At first I was afraid, I was petrified » (D'abord j'avais peur, j'étais pétrifiée), chantait Gloria Gaynor dans « I Will Survive ». Quarante ans plus tard, les paroles du « Dancing On My Own » de Robyn y font écho : « I'm just gonna dance all night, I'm all messed-up I'm so out of line. » [Je vais seulement danser toute la nuit, je suis complètement paumée, je fais n'importe quoi].

Certains ont taxé d'imbécilité crasse le mouvement Death To Disco, organisé par des fans de rock. D'autres y ont vu une sinistre tentative de nettoyage ethnique des charts, puisque la disco trouve ses origines dans les communautés Noires, Latinos et gay. Malgré un début de chant du cygne au début des années 80, l'extravagante boule à facettes n'a jamais cessé de scintiller. Le funk des Jackson 5 et les riffs de Chic ont été récupérés par David Bowie (« Let's Dance »), Rod Stewart (« Da Ya Think I'm Sexy? »), Blondie (« Heart Of Glass »), et Electric Light Orchestra. Le « Miss You » des Rolling Stones est devenu l'un des plus grands moments de métissage de la disco. Les Wings, les Eagles, KISS et Queen s'y sont frottés eux aussi. Encore aujourd'hui, on entend aisément l'influence du disco sur des genres et groupes aussi variés que l'electro-rock de DFA 1979 et LCD Soundsystem, la pop de Lady Gaga, l'intégralité du Random Access Memories de Daft Punk, en passant par l'interprétation de « Uptown Funk » par Bruno Mars au Super Bowl 2016, ou l'énorme tube de The Weeknd, « I Can't Feel My Face ». En cherchant bien, on trouve aussi de la disco sur le premier album de Shamir, et c'est aussi le genre qui sous-tend toute la carrière de Scissor Sisters. Et n'oublions pas que sans la disco des années 70, le meilleur album de Madonna (Confessions on a Dance Floor, tout est dit) n'aurait jamais existé, même en rêve. La contribution du disco dans la culture pop est évidente - et pourtant il faut encore le préciser, tant le genre reste considéré comme un plaisir coupable. Le early hip-hop utilisait des vieux disques de disco. Et que dire de la house, de la synth-pop, ou même de la techno ? Le disco a ouvert la voie. La place du disco, comme réaction au rock mainstream, a toujours été misérablement sous-estimée. Nile Rodgers n'a toujours pas été intronisé au Rock and Roll Hall Of Fame, alors qu'il a produit « Material Girl » de Madonna, et inspiré des tas de gens, de Johnny Marr à Duran Duran. Il faut croire que le genre qui a servi de bande-son aux combats des populations marginalisées doit rester dans l'ombre du passé. Mais les freaks seront toujours chics, et si ça vous pose un problème, sachez que vous ne serez pas sur la guestlist. Eve Barlow est sur Twitter. Cet article a été réalisé dans le cadre d'un partenariat avec CANAL pour le lancement de la série VINYL réalisée par Martin Scorcese. Plus d'infos sur le site.