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Music

Playlist Imposée : Mensch

Le duo nous parle de son deuxième album, « Tarifa », via une playlist imposée où se croisent Midlake, Ghostpoet, Perez, Nick Cave, Diana Ross et O.T.H.

Photo - Sarah Bastin

Une poignée de disques infectieux, des prestations live flamboyantes, quelques collaborations de haut vol : Vale Poher fait partie depuis 2005 des figures les plus criminellement ignorées de la scène indépendante française. Fin 2009, sans label, plantée par sa batteuse la veille d'un concert, elle réadapte son set en quelques jours avec sa bassiste (Carine Di Vita, autre trimarde de l'ombre croisée notamment dans le sillage de Spade & Archer et du label Jarring Effects) à l'aide d'une vieille boîte à rythmes. Le concert aura finalement lieu et l'urgence de la situation soudera définitivement les deux Lyonnaises, qui relancent la machine sous le nom de Mensch. Un maxi élastique et décharné plus tard, le groupe s'impose définitivement avec un premier album loin des piperies electro-rock et des crossovers laborieux, mise à jour athlétique du

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Grab That Gun

des canadiens de The Organ, qui vaudra à Mensch de rencontrer un succès aussi inattendu que rassurant.

Après un disque de remixes sur lequel se bousculaient Yan Wagner et Mansfield.TYA, Vale et Carine sont revenues cet été, sans faire de bruit, toujours sur

Tsunami-Addiction

, avec

Tarifa

, deuxième album qui remet définitivement les compteurs à zéro : un disque à la fois direct, dépouillé et lumineux, que le groupe a composé au fin fond de l'Andalousie, face à l'Afrique, se débarrassant de tout poids superflu pour se réinventer tranquillement sous le cagnard, enquillant au passage un nombre invraisemblable de tubes au groove mutant (« Push Me Away », « Cosmopolitain », « The Great Escape »). On est allés en discuter avec elles via une playlist imposée où se croisent Midlake, Ghostpoet, Perez, Nick Cave, Diana Ross et O.T.H.

Noisey : Le premier morceau s’intitule « Saudade », je vais donc vous demander un morceau ou un disque qui vous inspire une mélancolie un peu particulière, presque étrange, comme la saudade lusitanienne, justement.

Vale Poher :

Le dernier album de Midlake,

Antiphon

. C’est un disque que j’ai beaucoup écouté au moment de sa sortie, il y a deux ans, durant l’hiver. C’était une période assez particulière… Après, je ne suis pas forcément touchée par la musique triste ou mélancolique, c’est plus un truc de souvenirs.

Carine Di Vita :

Je dirais Portishead, sans vraiment chosir un titre ou un disque en particulier. C’est vraiment un groupe qui arrive à créer une ambiance assez unique, à la fois terriblement triste et assez inquiétante, totalement à part. Il y a Tindersticks aussi qui me fait un effet assez similaire, même si là c’est surtout à cause de la voix de Stuart Staples.

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Comme disait Vale, même si on parle souvent de post-punk ou de cold-wave pour décrire votre son, on ne vous sent pas forcément très « dark » comme groupe. Et c’est encore plus évident sur Tarifa, qui marque vraiment une énorme progression par rapport à votre premier album. C’est venu naturellement ou bien vous vous êtes un peu fait violence pour ce disque ?

Carine :

Il faut dire que la transition entre ce que faisait Vale en solo et Mensch, ça n’a pas été simple. De toute seule elle passait à deux, il fallu m’intégrer moi dans le projet, avec ce que je suis, mon expérience, la façon dont je joue.

Vale : J’ai dû complètement changer ma façon de penser. Je n’étais plus tout seule, on devenait une entité. Après, je suis quelqu’un qui aime bien se remettre en question. Quand j’arrive à quelque chose dont je suis satisfaite, j’aime bien tout détruire pour sortir de ma zone de confort et ré-inventer le truc, voire aller vers complètement autre chose. Et Mensch pour le coup, c’était totalement nouveau. Jouer avec une section rythmique, ça ne m’était jamais arrivé, par exemple. Le premier album a été fait dans l’urgence, sans trop se poser de questions. Et on en est très contentes parce qu’on s’est beaucoup amusées à le faire. Mais pour le deuxième, on ne voulait pas faire une redite du premier en mieux produit, plus fignolé. On voulait vraiment aller vers autre chose. Et je pense que Tarifa représente exactement ce vers quoi on voulait aller dès le départ, mais qu’on n’avait pas forcément réussi à atteindre, parce qu’on n’était pas encore assez expérimentées, parce que le projet était encore un peu jeune. Qu’est-ce qui vous a permis de passer le cap entre les deux ?
Carine : Le temps, tout simplement. C’est ce qui nous a permis d’apprendre à jouer ensemble, d’apprendre à composer à deux.

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Vale :

Le live aussi, parce que pour moi il y avait vraiment un challenge technique. Jouer avec une boîte à rythmes ça ne pardonne pas. Tu dois être précise, fluide.

On passe au deuxième titre, « Cosmopolitain », qui est votre premier morceau chanté en français. Du coup, je vais vous demander, justement, un disque ou titre chanté en français.

Vale :

« Le Rôdeur » de Perez. Je l’écoute pas mal en ce moment.

Carine : O.T.H. On n’en parle jamais, mais c’est vraiment un groupe avec des textes géniaux. Comment il vous est venu ce titre ?
Vale : On ne s’est pas du tout imposé le truc. On avait la mélodie, j’essayais de poser ma voix dessus et à un moment je me suis juste dit : « Mais pourquoi je m’acharne à chanter en anglais ? » J’avais un texte en français qui traînait depuis un moment, j’ai essayé et ça a collé. C’était pas plus compliqué que ça. C’est marrant, parce que du coup les gens citent des références complètement à part pour ce titre, ils vont dire que ça sonne comme Étienne Daho ou bien des trucs de touching pop comme Little Nemo, alors qu’il est identique au reste de l’album. S’il avait été chanté en anglais, personne n’aurait tiqué.
Vale : Exactement. Carine, elle n’aime pas trop le chant en français. Du coup, quand j’ai essayé avec mon texte, je lui ai dit : « Si tu n’aimes pas, tu le dis tout de suite ». Mais elle ne voyait aucune différence pour le coup. Troisième titre, « Push Me Away », là je vais vous demander de me donner un titre ou un disque qui vous pousse en avant, qui vous motive à faire plus ou mieux.
Vale : Il y en a tellement ! [Rires] Mais je dirais Arcade Fire. J’aime pas forcément tout ce qu’ils font, mais j’aime bien leur démarche. On les attend d’un côté, ils vont de l’autre. On a l’impression qu’ils font vraiment ce qu’ils ont envie de faire. Et c’est vraiment un groupe incroyable sur scène.

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Carine :

David Bowie, en toute simplicité. [

Rires

]

On passe à « The Great Escape ». Je vais cette fois vous demander un titre ou un disque qui vous permet de vous évader justement, qui vous sort de votre monde habituel.

Vale :

L’album de The XX. Qu’on pourrait trouver assez proche de ce qu’on fait avec Mensch, mais pour moi c’est totalement autre chose, un truc très irréel.

Carine : Je dirais Ghostpoet. Là pour le coup c’est très différent, même si j’écoute beaucoup de hip-hop. J’adore ses disques.

Vale :

Cela dit, on recommence tout juste à écouter des trucs, là. On sort de l’album, on n’a vraiment été concentrées que sur ça. Il aurait fallu faire cette interview dans 2 ou 3 semaines en fait. [

Rires

]

Le cinquième morceau, c’est « Tarifa », qui est aussi le titre du disque. C’est le nom d’une ville en Andalousie ou vous avez composé les morceaux de l’album.

Vale :

Je suis partie en vacances là-bas pendant un petit moment et je suis tombée complètement amoureuse de la région. Et quand je suis revenue à Paris, je ne composais plus du tout de la même façon. On avait commencé à caler quelques morceaux avec Carine avant mon départ et ça sonnait très garage, très rock, plus encore que le premier album. Mais je ne me retrouvais plus du tout dedans. Du coup, j’ai proposé à Carine de partir là-bas avec moi pour qu’elle comprenne. On est donc parties toutes les deux à Tarifa pendant une semaine, avec tout notre matos pour tout reprendre à zéro. On ne savait pas trop dans quoi on s’aventurait, mais on s’est dit qu’au pire, ça nous ferait une semaine de vacances et puis voilà. [

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Rires

] Mais ça a marché.

Vous savez exactement qu’est-ce qui a transformé votre son et votre manière de composer comme ça, là-bas ?

Carine :

La lumière. L’ambiance. La perspective.

Vale : On voulait s’éloigner de notre étiquette « dark ». Les gens nous percevaient comme ça alors qu’on ne l’est pas du tout. On avait envie de choses aérées, avec plus de lumière, d’espace. On voulait respirer. À la fois dans notre musique, mais aussi dans nos vies perso. Tout s’est rejoint, du coup.

Carine :

En tout cas, une fois sur place, j’ai immédiatement compris pourquoi Vale avait changé en revenant de là-bas.

Comment t’es-tu retrouvée là-bas ? Par hasard ?

Vale :

Oui, complètement. Je voulais m’éloigner de Paris, aller le plus loin possible, donc j’ai pris une carte et j’ai choisi Tarifa. C’est un détroit, face à l’Afrique, ça me paraissait assez intriguant comme endroit. Il y a des gens qui vont là-bas et qui ne reviennent plus jamais.

Du coup, je vais juste vous demander un titre ou un disque que vous avez écouté quand vous étiez là-bas.

Carine :

Ah, il faut qu’on te parle d’un morceau de Diana Ross avec une intro de batterie complètement… [

Rires

]

Vale : Oui, « I’m Coming Out » avec Nile Rogers. On a tellement rigolé avec ce morceau. L’intro de batterie est tellement absurde, ça part dans tout les sens, tu te demandes où est la logique. On l’écoutait minimum une fois par jour en se demandant « pourquoi on s’emmerde à programmer la boîte à rythmes ? » [Rires] Sinon on a aussi beaucoup écouté l’album de John Talabot. Ça, ça a été le gros disque de cette période-là, pour nous. On passe à « After Love ». Cette fois, je vais vous demander un titre ou un disque de rupture.
Vale : « Le Grand Sommeil » d’Etienne Daho. Je sais pas pourquoi. Association d’idées, « au fond du trou », « au fond du lit » [Rires] Carine : Je sèche. Toute la musique ne parle quasiment que de ça… En plus là le premier truc qui me vient là, c’est un morceau de Thiéfaine, c’est horrible.

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Vale :

Ah non, pitié. Je préfère encore que tu cites Scorpions, franchement.

Avant-dernier titre : « More Is More », donc logiquement un disque ou un morceau que vous adorez mais sur lequel il y a des tas d’effets, de production, de trucs clinquants.

Carine :

Michael Jackson ! C’est une de nos grosses références communes.

Vale :

Ou bien le Elvis dernière période. Mais Michael Jackson c’est vraiment un truc sur lequel on est d’accord.

La production justement, c’est un truc sur lequel vous passez beaucoup de temps ? Parce que sur Tarifa, ce côté très dépouillé, je le trouve à la fois hyper naturel et en même temps on sent que c’est travaillé au millimètre, c’est vraiment très réussi.

Carine :

Oui, clairement. C’est une quête, vraiment. Ce truc à la fois juste, précis, minimaliste.

Vale :

Après, c’est épuré mais il y a quand même beaucoup de choses. Le truc difficile, justement, c’est de les rendre discrètes, pour que tout ait l’air clair, fluide. Un bon exemple dans le genre, c’est Metronomy. Tu écoutes leurs disques, tu as l’impression qu’il n’y a rien, c’est ultra-dépouillé. Et pourtant c’est hyper complexe et très bien travaillé. Pareil avec The XX. C’est vraiment des trucs qui nous ont inspirés à ce niveau.

Et en live, ça va se traduire comment du coup ? J’imagine que vous avez revu votre son également sur scène.

Vale :

On est en train de bosser dessus, mais effectivement, ce ne sera plus du tout pareil.

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Carine :

On sera plus dans le groove que l’énergie. Et c’est pas du tout simple, parce que quand t’es sur scène, avec les gens qui te portent, tu as tendance à bourriner, plutôt.

Le dernier morceau de l’album, c’est « Dusk », donc je vais vous demander un disque de nuit, parfait pour la tombée du jour.

Vale Poher :

Push The Sky Away

de Nick Cave.

Carine : N’importe quel Coltrane. Ça colle parfaitement avec ces moments-là, à cette sensation d’apaisement qui accompagne le crépuscule. T’écoutes pas Coltrane en plein cagnard. [Rires] Tarifa, par contre, il est vraiment taillé pour le grand jour.
Carine : Ah oui, c’est un disque d’été. Même la pochette renvoie vers ça. C’est ce qu’on voulait.

Vale : On a d’ailleurs eu du mal à le finir, les dernières sessions ont eu lieu en plein hiver et c’était compliqué de retrouver le même état d’esprit. Les prises de chant étaient meilleures quand il faisait beau, par exemple. [Rires] Dès qu’on s’éloignait de la lumière, ça ne collait plus. Mensch sera en concert à Paris avec Claude Violante ce mercredi 21 octobre aux Bains Douches. On a évidemment des places à vous faire gagner ici. Lelo Jimmy Batista est sur Twitter.