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Music

Playlist imposée : Jessica 93

À l'occasion de la sortie de son nouvel album Rise, on a passé Geoff Laporte au filtre de la playlist imposée, de Cat Power à Whitehouse, en passant par Plastobéton, Nirvana et Dead Can Dance.

Photo - William Soulet-Lacalmontie Sur Who Cares, son disque précédent, Geoff Laporte -le type derrière Jessica 93- donnait l'impression d'être loin, loin, très loin. Vous commenciez à l'écouter qu'il était déjà à des millions de kilomètres, filant à toute vitesse dans un RER volant trainant derrière lui les interminables boucles de ces morceaux complètement fous qui donnaient l'impression de ne jamais pouvoir s'arrêter et que vous auriez pu écouter des jours et des jours durant sans jamais vous lasser - ce que vous avez sans doute fait, d'ailleurs. Sur Rise, son nouvel album, c'est comme si Geoff Laporte -le type derrière Jessica 93- était arrivé à un point bien précis en très haute altitude et qu'il s'était arrêté pour se laisser flotter un instant au coeur de la brume électrique et invoquer une puissance d'outre-monde représentée par des divinités mécaniques bardées de chrome, après quoi il aurait contemplé la ville à ses pieds, une ville gigantesque, s'étendant à perte de vue, et qu'il se serait laissé tomber droit dessus, bardé de 8000 méga-tonnes de Semtex. Radioscopie d'un des disques et des artistes les plus sincères et passionnés de ces dernières années au travers d'une playlist imposée, de Cat Power à Whitehouse, en passant par Plastobéton, Nirvana et Dead Can Dance.

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Noisey : Le premier morceau de l’album s’intitule « Now », je vais donc te demander un disque ou un titre très présent dans ta vie en ce moment.

Geoff Laporte :

Sans hésiter, « Cross Bones Style » de Catpower. J’écoute ce morceau en boucle depuis quelques jours. En fait, la construction est mortelle, le rythme est tout bidon, mais elle a plusieurs tricks qu’elle place au long de la chanson, des changements d’accords hyper subtils, des petites notes qu’elle ajoute, et elle module ses refrains et ses couplets en fonction de ces changements, ce qui fait que le morceau n’arrête pas d’évoluer et je trouve ça fabuleux. En plus, il y a un passage dedans où elle dit « Hater, I have your diamonds », ça colle bien avec ce que je vis en ce moment avec tous ces gens qui découvrent Jessica 93 et qui déversent leur haine et leur incompréhension sur les réseaux sociaux [

Rires

] Un autre truc, c’est que

Moon Pix

, l’album dont est extrait « Cross Bones Style », je l’avais découvert via pote qui m’avait prêté son cd. C’est un truc qui a complètement disparu de se prêter des disques et ça m’a fait réaliser à quel point ça me manquait.

Le deuxième titre, c’est « Asylum ». Cette fois, je vais te demander un disque ou un titre dans lequel tu retrouves une face sombre ou un peu tordue de ta personnalité.

Là, aussi, sans trop hésiter, « Remember The Time » de Plastobéton [

génial synth-punk de Metz dans lequel on trouve, entre autres Guillaume Marietta de Feeling Of Love et Nafi de Scorpion Violente / Noir Boy George / A.H. Kraken / The Dreams

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]. C’est un morceau qui parle de rupture mais d’une façon très crue, très réaliste et honnête. Je l’ai écouté en boucle à un moment où, justement, je venais de me faire larguer [

Rires

] Il illustre bien ce que tu traverses quand tu dois te détacher de quelqu’un, et j’adore la manière dont il en parle. C’est parfait. C’est tellement ça. À un moment il dit qu’il a déjà oublié son odeur, qu’il s’est déjà défait de pas mal de choses, mais il le dit d’une façon qui te fait comprendre qu’en fait le truc est loin d’être résolu, en fait. Qu’il se force à le croire.

Nafi est super bon en paroles, que ce soit avec Plastobéton ou Noir Boy George. J’imagine que c’est quelqu’un dont tu te sens très proche, et pas seulement parce qu’il figure sur la pochette de Rise.

[

Rires

] Ouais, carrément. On ne se connaît pas depuis hyper longtemps, cela dit. On se croisait à des concerts, vite fait. Et puis on a fait une tournée ensemble en janvier dernier, moi avec Jessica 93, lui avec Noir Boy George. C’est là qu’on a pris cette photo qui a servi de pochette à

Rise

. C’est la seule photo qu’on a faite tous les deux d’ailleurs. Mais ouais, quoiqu’il fasse, ça me parle. C’est un génie. De A.H. Kraken à Noir Boy George, il n’y a rien à jeter.

Avec la sortie Rise, il y a tout un nouveau public qui te découvre. Le truc à la fois marrant et fatiguant, c’est que dans le positif comme dans le négatif, des tas de gens bloquent sur le côté gothique/cold-wave. Cela dit, un truc intéressant tout de même que certaines personnes voient dans ta musique un genre de cold-wave débarrassée de tout le côté pathétique et pleurnichard, de toutes les postures, ce qui est assez vrai au final, même si pour toi le goth ou le death-rock c’est quelque chose de totalement inconscient au final.

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Mais complètement ! Généralement quand tu formes un groupe ou que tu te lances dans un projet, tu as une idée plus ou moins précise en tête. De la façon dont tu veux sonner, de ce vers quoi tu veux aller… Là avec Jessica 93 et Missfist [

un autre projet de Geoff

] c’est la seule fois où je me suis lancé dans quelque chose sans réfléchir, sans rien définir. Et ça m’a emmené vers ce son là, mais progressivement. Si tu écoutes le tout premier album, ça ne sonne pas du tout pareil. Tout est venu de la formation en solo, du truc autour des pédales, des boucles.

Dans ta musique, on entend de toute façon un mélange de plein de choses.

Moi, la musique que j’écoute à la base, c’est le grunge, l’indie-rock 90’s, le shoegaze, des trucs comme ça. C’est ça en gros mes influences. Après, je sais pas, les gens bloquent peut être sur le tempo, le son de la boîte à rythmes. On me parle souvent de Godflesh par exemple. Bon, moi j’ai découvert ce groupe il y a un mois, parce que ma copine avait chopé un disque. Et effectivement, le son de la boîte à rythmes est similaire. Mais niveau voix par contre, on est complètement dans autre chose. Tu avais écouté mon premier groupe, Natural Moustik ? Bon ben tu vois, là on était plus proches de Godflesh que de Sisters Of Mercy pour le coup. [

Rires

]

Finalement, t’as un peu le même souci que Frustration, qui à leurs débuts étaient systématiquement comparés à Joy Division et sur lesquels aujourd’hui plus personne n’ose la ramener.
Moi, ce qui m’étonne c’est le nombre de groupes qui sont cités dans les chroniques du disque ou les commentaires sur internet, et le fait que j’en connaisse pas un seul ! Hormis Cure et un ou deux trucs de Sisters Of Mercy, j’ai jamais écouté ces trucs-là. Ah, il y a Trisomie 21 aussi. J’adore « The Last Song ». Je le joue tout le temps en DJ set.

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Tu le fais de plus en plus ça, c’est nouveau ?

Ouais, mais j’aime bien. Après je suis très DJ-tube-des-90’s. Je fais le genre de DJ set que j’aimerais entendre dans une soirée avec des potes. Je peux balancer un Offspring en plein milieu du truc, ce genre de choses. [

Rires

]

On retourne au disque : troisième titre, « Karmic Debt », donc là je vais te demander un disque ou un artiste envers lequel tu as une dette artistique et/ou éthique.

Nirvana. Si je n’avais pas entendu « In Bloom » au milieu des années 90, je n’en serais pas là. En fait, j’ai découvert Nirvana après la mort de Kurt Cobain. Je connaissais « Smells Like Teen Spirit », bien sûr, parce que ça passait tout le temps à la télé, mais je ne m’y étais jamais intéressé. Moi, j’étais à fond dans le rap, et puis à un moment ça a commencé à me saouler, et j’ai commencé à écouter quelques trucs rock, mais ça prenait pas. J’écoutais des trucs comme Iron Maiden et je me disais « putain, les blancs savent vraiment pas faire de musique, c’est infernal » [

Rires

]

Et puis un samedi matin en cours, j’ai demandé à un camarade de classe qui avait plein de disques s’il avait des trucs de Nirvana. Et il avait justement sur lui une cassette avec

Nevermind

sur la face A. Mais il avait changé l’ordre des morceaux, du coup le premier morceau que j’ai entendu, c’était « In Bloom », pas « Smells Like Teen Spirit ». Et ça m’a complètement scotché. Si l’album avait été copié dans l’ordre, ça ne serait peut être pas arrivé. J’aurais entendu « Smells Like Teen Spirit » et je me serais dit « ah ouais, c’est ce truc là » et j’aurais sans doute arrêté la cassette. Mais là, whooa. C’était dingue. Moi qui venait du rap, je trouvais que là, pour une fois, il y avait un vrai groove, avec la basse hyper en avant, le beat hyper carré…

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Je dois énormément à ce disque, parce que c’est grâce à lui que j’ai appris à jouer de tous mes instruments : batterie, guitare, basse. Ça a été mon mode d’emploi, tout simplement. Et j’ai découvert énormément de choses via le groupe, en lisant les interviews par exemple, où ils citaient tout le temps d’autres groupes. D’un coup, je passais de 2-3 références ultra-évidentes (Metallica, Guns N’ Roses, Red Hot Chili Peppers) à tout un monde sous-terrain.

Quatrième titre, « White Noise », donc assez logiquement, je vais te demander un disque ou un morceau de bruit pur.

Je me suis mis à écouter un peu de noise très récemment. J’ai bloqué sur le

Thank Your Lucky Stars

de Whitenoise. Je savais pas que Steve Albini avait enregistré des trucs avec eux. Ce disque, entre autres. C’est ma copine qui m’a fait découvrir ça. Elle écoutait ça sur son portable, sans enceintes ni rien [

Rires

]. J’avais rencontré un anglais en tournée qui m’avait pas mal parlé d’eux, du coup j’ai un peu tout remis en place. J’ai écouté plusieurs trucs d’eux, mais c’est vraiment

Thank Your Lucky Stars

que j’ai retenu.

Le cinquième morceau s’appelle « Surmatants ». C’est le nom d’une série de danse macabres peintes par Bernt Notke au XVème Siècle.

Oui, j’ai pu en voir une à Tallinn en Estonie. Elle est exposé dans l’église Saint-Nicolas. Il n’en reste qu’une partie, mais c’est impressionnant. C’est un des trucs à voir à Tallinn, qui est une toute petite ville. Il y a le musée de la torture aussi. [

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Rires

]

Je vais donc te demander un titre ou un album qui justement t’ait fait l’effet d’un tableau, un disque qui t’inspire, dans lequel tu t’immerges complètement.

Eh bien justement, ça a un rapport avec Tallinn. Dans la vieille ville, tu as des bars médiévaux partout, des types habillés en moines, en mendiants [

Rires

]. Et un jour, en me promenant dans la vieille ville, j’ai entendu un air moyen-âgeux que Dead Can Dance a repris sur

Aion,

«

Saltarello ». Et ça, pour le coup, ça me fait vraiment l’effet d’un tableau. J’ai toujours été attiré par le Moyen-Âge et j’ai très vite accroché sur leur musique, que j’ai découvert pile au même moment que Nirvana, avec la compilation

A Passage In Time

. Mon disque préféré d'eux, c'est

The Serpent's Egg

.

Avant-dernier morceau, « Inertia ». Cette fois, je vais te demander un artiste que tu apprécies parce que justement, il ne change pas.
Peut être les Melvins. Même si depuis quelques disques ça tourne un peu en rond, ça reste un groupe qui m’a rarement déçu. Sur scène, il paraît qu’ils sont assez relous. Qui est-ce qui a eu des problèmes avec eux sur leur date au Trabendo il y a quelques temps, d’ailleurs ?

Ah, JB dDamage ! Il a slammé et s’est fait vider aussi sec. [Rires] J’étais en vacances au moment du concert, mais j’ai reçu un texto genre « Mec, je viens de me faire dégager par les Melvins. » [Rires] Bon, je crois qu’il a réussi à rentrer de nouveau dans la salle après, mais c’était tendu apparemment.
Ouais, j’avais vu ça sur Arte [Rires]. En fait moi je suis un gros fan des Melvins jusqu’à l’arrivée de Big Business. Après, ça m’intéresse moins. Ils ont fait durer la blague un peu trop longtemps avec cette collaboration, je trouve.

Huitième et dernier titre, « Uranus », donc logiquement, je vais te demander un disque ou un titre qui t’envoie loin, sur une autre planète.
Ça c’est un truc qui m’a toujours passionné. Je crois que j’ai du voir tous les documentaires qu’il y a sur YouTube sur l’espace, la NASA… Les enregistrements des sons provenant des différentes planètes aussi. Tu écoutes ça à fond, la nuit, c’est complètement flippant. Mais pour citer un disque qui me fait vraiment décoller, je dirais la compilation de Abner Jay sortie sur Mississippi Records, True Story Of Abner Jay.

Tu avais justement repris sa version de « St James Infirmary Blues » sur la face B de Poison. Entre ça et tes covers de Cure et Nirvana, j’ai l’impression que c’est un exercice qui te plaît assez.
Oui, carrément. J’aimerais vraiment en faire un disque entier, d’ailleurs. Et pas seulement des reprises de trucs connus, mais aussi des groupes de mon entourage. Après il faut que je puisse les jouer live. Du coup, je les modifie vachement. Là, par exemple, j’ai bossé une reprise de Dead Can Dance que j’ai resserré sur un seul riff de basse par exemple. Rise, le nouvel album de Jessica 93 est disponible depuis une dizaine de jours sur Music Fear Satan et Teenage Menopause. La release party aura lieu le 13 décembre prochain au Point Éphémère. Tous les détails sont sur le flyer ci-dessus et sur l'event Facebook. Lelo Jimmy Batista est le rédacteur en chef de Noisey France. Le seul endroit d'où il s'est fait vider c'est d'un bar de nuit gay d'extrême-droite qui se trouvait juste à côté de la Gare de l'Est, mais ça, c'est une autre histoire. Il est sur Twitter - @lelojbatista