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Music

Play This Only at Night : « Phantasm » et le rap

De Gangsta Pat à Mobb Deep en passant par Kool Shen et Gucci Mane, le rap voue un fanatisme sans bornes à la bande originale du film d'horreur de Don Coscarelli.

Le rap et les films d'horreur, une histoire qui commence à dater. Quoi de mieux pour instaurer une ambiance sombre et oppressante que des bons vieux samples angoissants de synthé piqués à Carpenter ou Alan Howarth, hein ? Le Dirty South en a même fait sa marque de fabrique en propageant leur style de gangsta rap méga-glauque plus connu sous l'appellation horrorcore : atmosphère sordide, paroles brutales, flows macabres, et l’impression à chaque refrain de voir Jason surgir pour trancher la gorge d'une étudiante frivole. Ni pitié, ni subtilité. Les sorties successives des films Halloween en 1978 et Phantasm en 1979 ont certainement marqué des générations de gamins qui allaient plus tard s’adonner au rap, car ce sont les thèmes qui ont été le plus repris dans le genre.

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Le premier, composé par John Carpenter, a été adapté par des tas de pointures : à commencer par le psychopathe de Houston, Gangsta NIP (« Horror Movie Rap »), et Ice-T (« The Tower »), tous deux datant de 1991. L’année suivante, ce sera au tour de Gangsta Pat (« Creep Wit A Nigga ») puis plus tard TRU avec leur street-hit « Hoody Hoo » sans oublier évidemment « Murder Ink » de Dre sur Chronic 2001. Vous l’avez compris, la liste est infinie.

Certains ont tenté de se la jouer plus originale en la matière, comme les Geto Boys par exemple, qui ont samplé Child's Play (Jeu d’enfant, film oublié de 1988) sur le morceau « Chuckie » (surnom donné à Buschwick Bill, le nain cyclope du groupe, devenu schizophrène et paranoïaque après s'être tiré une balle dans l'œil en tentant de mettre fin à ses jours). C’est également le cas de Prodigy de Mobb Deep qui reprend carrément le thème de Blacula (1972) sur « Return of The Mack » ou de Project Pat, le patron de Memphis, qui sample à la fois The Boogeyman (Spectre, 1980) et le gamin de Shining sur « Redrum ». Sans parler de Necro, adepte des deux disciplines, qui reprend City of the Living Dead (Frayeurs de Lucio Fulci, 1980) sur « The Dispensation of Life And Death ». Le mec a toujours bon goût, et adore le faire savoir.

Il y a des tonnes d’autres exemples, on vous les épargnera pour se concentrer sur le sujet principal, le fanatisme que voue le rap au film Phantasm. Réalisé par Don Coscarelli avec un budget ridicule et sorti dans un quasi-anonymat en 1979, le thème principal du film, composé par Fred Myrow et Malcolm Seagrave, est l’un des plus envoûtants, cauchemardesques et surnaturels jamais créé. Sa bande-originale a d’ailleurs été rééditée récemment par Mondo Records, alors un conseil, ruez vous dessus avant qu'il ne soit trop tard !

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DOUG E FRESH - « Play This Only At Night » (1986)
Dès 1986, Doug E. Fresh & The Get Fresh Crew sont les premiers à sampler le thème du film pour faire plonger l'ambiance des clubs hip-hop désormais un peu trop fun dans un univers fantasmagorique. Flow smooth et menaçant, nappes de synthé pesantes, solo de guitare planant digne de Pink Floyd, l'ambiance est là. À balancer la nuit tombée, vous êtes prévenus.

GANGSTA PAT feat. PSYCHO - « The OJ Murder Story » (1995)
« We goin' to take you on the subject of this O.J. Case
I know y'all thinkin' y'all know who did this shit
Well, y'all got it all wrong
Yo Gangsta Pat ! Why don't ya let em' know what really happened ? »
Du Memphis rap glauque classique. Tiré de son meilleur album, Deadly Verses, Pat nous plonge tout droit dans une spirale de brutalité dont il est quasiment impossible de s'échapper, excepté à bord d'un drap blanc. Pat nous hypnotise afin de nous présenter sa version des faits concernant l’affaire OJ Simpson. Pendant qu'il faisait le tour de la Californie en caisse, le mec tombe sur une blondasse blanche prénommée Nicole. La suite vous la connaissez. Gangsta Pat, lancé dans une hystérie meurtrière, fruit de son imagination, viole, détruit, tue, et s’échappe, finissant par se poser devant les infos pour contempler son œuvre et conclure : « Innocent 'til proven guilty / And I'm out / I'll see you in Hell mothafuckas ! »

SKINNY PIMP feat GANGSTA BOO & KOOPSTA KNICCA - « I Dont Luv Em » (1996)
Son lo-fi digne des plus grands disques underground du Dirty South, Skinny Pimp est ici accompagné de ses homies de Memphis, tous anciennement membres de Three Six Mafia, Gangsta Boo et Koopsta Knicca. Ils balancent leurs couplets comme les sphères métalliques des couloirs de la morgue de Phantasm, tu ne sais jamais vraiment où ils se trouvent, s’ils proviennent de ton imagination ou s’ils te foncent droit dessus à toute vitesse pour s'incruster dans ton crâne et te retourner la cervelle. « I Dont Luv Em » est définitivement une des chansons les plus représentatives du film au niveau de l'ambiance hypnotique et malsaine présente tout au long du film. La mélodie sous reverb' donne une nouvelle dimension au thème original, notamment pendant le couplet de Koopsta Knicca et son flow lancinant bourré de maléfice. À l'écoute de ce morceau, on imagine bien le croque-mort gigantesque sortir de son corbillard à la tombée de la nuit, nous fixer d'un regard intense, pour nous annoncer notre mort prochaine.

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(Skinny Pimp a aussi samplé la B.O. de Phantasm sur le morceau « Skinny But Dangerous », tiré de la tape du même nom. Comme quoi, ça marche à tous les coups.)

MASTER P – « Pass Me Da Green » (1997)
Une intro qui annonce la couleur : ça parle de blunts, de blunts et de blunts. Le thème s'instaure peu à peu, ça tousse, ça tire des lattes et le beat tabasse. Les basses poussées au maximum dans la Caddy, G-Funk en fond, lignes de synthé démoniaques, Master P nous pond le tube idéal pour ambiancer les soirées enfumées de la Nouvelle-Orléans.

MOBB DEEP – « The After Hours G.O.D. Part 3 » (1997)
Face B du single « G.O.D. Part 3 » provenant du second album culte du duo de Queensbridge, Hell On Earth, la production de ce remix par DJ Mighty Mi et Reef reprend entièrement le titre de Fred Myrow et Malcolm Seagrave, rien à foutre, remplaçant celui tiré du Parrain dans la version originale, et ajoutant Crystal Johnson à la fin pour des choeurs mélancoliques en vogue à l'époque. Et je dois avouer que cette version est encore plus puissante que l'originale, le ton sinistre collant parfaitement à l'ambiance générale des morceaux de Mobb Deep, parce que c'est toujours la guerre dans la rue et que personne n'est à l'abri. La vie dans la cité est un cauchemar et ce remix en est la bande-son officielle.

T-ROCK – « War Zone » (2003)
Sorti tout droit des quartiers pourris d'Atlanta, DJ Paul et Three Six Mafia ont rapidement pris sous leur aile le jeune T-Rock, 17 ans à peine, collaborant avec eux ainsi que d'autres grands noms de Memphis tels que Project Pat, Indo G ou Gangsta Boo. Un début prometteur et une évolution rapide dans l'exécution du flow, plus direct, incisif, avec des paroles réalistes qui sentent le danger et le ghetto à plein nez. Avec ce titre tiré de son quatrième album, Rock Solid/4:20, qui l'a fait sortir de l'underground et exploser les scores niveau ventes, « War Zone » emprunte plusieurs passages de la bande-originale de Phantasm : un pour l'intro, un autre pour le refrain, et enfin le thème principal pour les couplets. Un excellent morceau, pour un rappeur beaucoup trop sous estimé.

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KOOL SHEN feat. ZOXEA – « Change de style » (2004)
Et ouais, même en France, le film de Don Coscarelli n’a laissé personne indifférent. Kool Shen a pour une fois une instru digne de ce nom en solo, après une bonne poignée de chansons médiocres voire embarrassantes… Accompagné de son vieux pote Zoxea du crew IV My People et ancien membre des Sages Poètes de la Rue, le niveau est au rendez-vous, honnêtement, ça rappelle la bonne époque de Supreme NTM, avec un beat sombre qui tape fort, les flow qu’il faut, et un refrain ping-pong. Allez mec, t'as toujours le bon style malgré les années.

GUCCI MANE – « What It's Gonna Be » (2012)
Drumma Boy a produit la chanson en s'inspirant du thème de Phantasm certes, mais en le jouant à sa façon, c’est à dire beaucoup plus rapidement. La sonorité est donc différente mais la mélodie totalement reconnaissable. Pour moi, c'est un des titres les plus puissants du Gucci. Catchy, entêtant, axé dancefloor, comme la plupart de ses morceaux, avec un refrain accrocheur et un flow posé et travaillé. Et toujours ses lyrics habituels auxs punchlines complètement improbables.

MOBB DEEP - « There That Go » / MR CHALLISH – « Money »
Si vous connaissez un peu le travail de production de Alchemist, vous savez qu'il ne joue jamais la carte de la facilité. Et ces deux morceaux, signés Mobb Deep et Mr Challish (jeune MC de Queensbridge), tirés de ses diverses mixtapes, ne font pas exception à la règle. Alchemist a complètement retravaillé chaque partie de la bande-son de Phantasm pour finir par obtenir l'instru parfaite, collant à son identité musicale, celle d’un blanc bec californien venu faire carrière à NY, qui s’est fait à la force du pouce et de l’index. On sait depuis longtemps que ce type est un petit génie, qui après avoir été lui-même rappeur dans The Whooliganz, s'est fait connaître au milieu des 90's grâce à ses prods léchées pour Dilated Peoples ou Mobb Deep. Avec ces deux titres, Alchemist est celui qui s'éloigne le plus de l'ambiance originelle de Phantasm, pour donner une leçon aux producteurs nuls : voilà comment on fait les gars, et le résultat terrasse clairement tout le reste de cette liste

Et pour finir par un gros hors-sujet qui tâche, je vous laisse le plaisir d'écouter ce chef d'oeuvre d'Entombed, lié lui aussi au film : « Left Hand Path Outro ».