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25 ans après sa sortie, le premier album d'A Tribe Called Quest reste un des disques les plus importants de son époque

À l'occasion de la réédition de « People’s Instinctive Travels And The Paths Of Rhythm » et de la reformation du groupe, on est allés revisiter l'année 1990 avec Phife Dawg.

1990 fut une année de transition pour toute la planète. Trois ans après le fameux speech de Ronald Reagan, le Mur de Berlin tombait enfin, et la Guerre Froide arrivait à son terme. Saddam Hussein envahissait le Koweït, nous entraînant dans le premier conflit télévisé de l'Histoire : la Guerre du Golfe. Les Simpsons et Seinfeld débutaient aussi cette année-là. En France, Bernard Tapie rachetait Adidas alors que la dernière mine de charbon en activitié fermait dans le Nord Pas de Calais.

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Dans le hip-hop, deux albums cruciaux allaient voir le jour : Fear Of A Black Planet de Public Enemy et AmeriKKKa’s Most Wanted de Ice Cube, deux disques qui abordaient frontalement les problèmes de l'époque : le racisme, la politique intérieure et les injustices socio-économiques. De l'autre côté du spectre rap, s'agitaient les nettement plus futiles MC Hammer (dont le morceau « U Can’t Touch This » remporta le Grammy de la meilleure performance solo en 1991) et Vanilla Ice (dont le tube « Ice Ice Baby » fut également nominé). Et entre les deux, sur une note complètement différente, ni commerciale, ni politique, on trouvait le collectif Native Tongues, composé de gens comme Queen Latifah, De La Soul et les Jungle Brothers.

Les Native Tongues abritaient également un jeune groupe totalement à part, dont les membres étaient natifs du Queens et de Brooklyn : A Tribe Called Quest. Le 10 avril 1990, le groupe sortait son premier album sur Jive Records, People’s Instinctive Travels And The Paths Of Rhythm. Comprenant une poignée de hits instantanés tels que « Can I Kick It? », « Bonita Applebum » et « I Left My Wallet In El Segundo », le disque marquait les débuts d'un des groupes les plus appréciés et idéalisés de l'histoire du hip-hop. Il sera suivi de 5 albums (parmi lesquels les classiques The Low End Theory et Midnight Marauders), d'un split, de plusieurs reformations et d'un documentaire en 2011.

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Pour le 25e anniversaire de la sortie de People’s Instinctive Travels And The Paths Of Rhythm, le groupe a décidé de rééditer l'album avec, en bonus, trois remix de Pharrell Williams, CeeLo Green et J. Cole. Pour l'occasion, ATCQ s'est également reformé vendredi dernier chez Jimmy Fallon pour un « Can I Kick It? » survolté. On a profité de tout ça pour monter à bord de la machine à remonter le temps en compagnie de Phife Dawg, le rappeur de St. Albans aujourd'hui âgé de 44 ans.

Noisey : Comment était ta vie en 1990 ?
Phife Dawg : J’allais sur mes 20 ans. Je vivais toujours chez ma grand-mère, je galopais dans les rues comme un débile [Rires], je ne suivais pas vraiment le bon chemin. Je n’ai pas vraiment participé à ce premier album. Je ne suis présent que sur 4 des 15 morceaux. Q-Tip avait écrit tous les lyrics. Tribe c’était surtout le groupe de Q-Tip et Ali. Jarobi et moi avions prévu de monter un groupe ensemble mais il a ensuite décidé de retourner à la fac étudier les arts culinaires. On faisait partie de l’équipe, mais on n’était pas vraiment considérés comme des membres à part entière. Je n'ai vraiment signé avec A Tribe Called Quest qu'au moment de The Low End Theory.

Comment s’est faite cette transition ?
Ça m’a pris un petit moment pour devenir mature. Quand j’ai réalisé que j’étais capable d’aider financièrement mes parents et ma grand-mère, je me suis rendu compte de la réalité. Doucement mais sûrement, je suis devenu un adulte responsable. Certaines personnes sont plus lentes que d’autres, mais j’imagine que j’étais juste têtu.

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À quel point tu étais têtu ?
Je n’étais pas un mauvais gamin, le genre fouteur de merde - rien de tout ça. Mais je ne respectais pas certains trucs élémentaires comme être à l’heure, considérer les gens avec décence et respect, ne pas faire aux autres ce que tu n’aimerais pas qu’ils te fassent, ce genre de choses. Tout le monde n’habitait pas à Linden Boulevard ou dans la 192e. Tout le monde n’était pas du quartier. J’ai dû grandir avec ça en tête. J’ai dû me plier au business. Je ne devais plus uniquement penser à moi, mais aussi aux 3 autres personnes qui faisaient partie du groupe.

Quel genre de choses tu faisais pour te marrer à l’époque ?
J’allais en club, voir des concerts, des matchs des Knicks. L’endroit où on a enregistré notre premier album était à deux rues du Madison Square Garden. Et le reste de nos disques a été produit au Battery, qui est également tout proche du Madison Square Garden.

Tu allais dans quelles salles ?
Le Ritz, c’était LE spot. Le Webster Hall. Il y en avait plein, ce club appelé le Mars où ils organisaient aussi des concerts. Moi et ma bande de potes de lycée du Queens, on allait régulièrement à la patinoire dans le New Jersey, chaque mardi soir, religieusement. T’étais sûr de me trouver là tous les mardi, sauf quand on avait une sessions studio évidemment. C’était un lieu pour patiner, toutes les meufs trainaient là-bas. On y allait coûte que coûte. On ne montait pas sur la glace, on était juste là pour draguer. Si j’avais patiné, j'aurais été ridicule.

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Tu te sapais comment à cette période ?
J’ai toujours été un mec à jeans et à Timberland. Un gars du New Jersey, quoi. J’avais tous les maillots que tu pouvais imaginer. Je portais une grosse parka en hiver, un blouson Starter quand c’était le printemps, ça a toujours été mon mot d’ordre.

Même si tu n’étais pas très présent au début du groupe, tu te souviens un peu de ces premières sessions en studio ?
Ce dont je me rappelle, c’est cette pièce où les Jungle Brothers enregistraient. Dans une autre pièce, il y avait De La Soul, dans une autre plus loin, Queen Latifah. Même si Tribe n’enregistrait pas, on venait quand même pour chiller. C’était une bonne période pour se forger, apprendre les ficelles du boulot, être créatif. On se marrait, on déconnait, on s’affairait dans la cabine. C’était vraiment une famille. Native Tongues n’était pas seulement un blase, c’était une vraie famille.

Il y a des morceaux dont tu te souviens particulièrement ?
Quand Q-Tip a fait « Footsteps ». On a tous eu la même réaction : « Wow, ce titre est taré ! » Aujourd’hui encore, je suis dégoûté qu’on ne l’ait pas sorti en single. Mais il devait y avoir une raison à ça, comme pour tout.

À l’époque où votre disque est sorti, Sinead O’Connor, Janet Jackson, Paula Abdul, Michael Bolton et Aerosmith, pour en nommer quelques uns, squattaient le top des charts. Tu pensais quoi de la musique populaire ?
J’étais à fond sur Janet Jackson. J’aimais bien Sinead O’Connor. Je pense que c’était une bonne période pour la musique en général. On faisait du hip-hop, mais on n’était pas bloqués et fermés au reste. Surtout Jarobi, il chantait tout et n’importe quoi. Ce morceau, « Walk Like An Egyptian », on le chantonnait tout le temps [Rires].

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« Ice Ice Baby » et « U Can’t Touch This » sont aussi des morceaux qui datent de 1990. Vous aviez un avis tranché là-dessus ?
No comment. Quand je matais la vidéo de MC Hammer, c’était uniquement pour les meufs qui dansaient en spandex, tu me suis ?

C’était une démarche consciente de faire de la musique qui contestait ce que la culture populaire considérait comme « hip-hop » ou « rap » à l’époque ?
On était juste nous-mêmes, mais chacun voulait clairement tracer sa propre voie. Hammer était probablement autant lui-même que nous. Il était bourré d’énergie. C’était pareil pour nous.

Vous pensiez quoi de ce que faisait LL Cool J ? Il a sorti Mamma Said Knock You Out cinq mois après People’s Instinctive Travels.
LL Cool J est une légende. Je n’avais aucun problème avec ce qu’il faisait dans les années 90. Il a eu son moment de gloire, maintenant c’est un grand acteur, et c’est toujours un putain de MC quand il s’y met. J’ai grandi avec LL ; on vient du même quartier. Je savais qu’il allait devenir énorme, mais je n’imaginais pas à quel point.

Il y a eu un moment où vous avez senti que les labels voulaient vous faire prendre un virage plus commercial ?
Pas vraiment. J’imagine que les gens de Jive Records s’étaient bien rendus compte qu’on avait notre propre créneau. Ils nous laissaient respirer. Une fois le single « El Segundo » sorti, on leur a dit, « Voilà ce qu’est Tribe ». Et ils nous ont laissé faire notre truc. On n’a jamais eu à se battre contre eux pour ces raisons-là après ça.

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Pas mal d'articles écrits sur ATCQ mettaient en avant le terme « afrocentrisme ». C’était un truc important pour vous ou vous étiez juste là pour rapper ?
Jusqu’à un certain point, c’était important - ma mère m’avait élevé dans cette culture. On célébrait Kwanzaa et des choses de cette nature. Mais je n’étais pas autant là-dedans que Q-Tip l’était. Je savais cependant comment en adapter certains éléments. Je voulais juste rapper, comme tu l’as dit. Après ça m’intéressait, mais les fringues qu’on a un jour décidé de porter, moins. Les dashikis c’était pas trop mon truc. Même si avec le recul c’était cool, les fringues multicolores ne me branchaient pas trop !

**Tu te souviens de la première fois où tu as vu un album de *A Tribe Called Quest chez un disquaire ?***
Ouais, c’était dans un shop du Queens où je traînais souvent, The Music Factory, sur Jamaica Avenue. Mr. Walt des Beatminerz (producteurs de la Boot Camp Click), le grand frère de DJ Evil Dee, y bossait, c’est ce que je comptais faire avant de rejoindre officiellement A Tribe Called Quest d’ailleurs, je voulais tellement bosser dans la musique. Ce jour-là, j’ai regardé à deux fois parce que je ne me souvenais plus de la date de sortie exacte de l’album. J’étais content de le voir, au milieu de ces autres disques que je voulais acheter.

Il y avait quoi d’autre dans le bac ?
Strictly Business de EPMD, le premier Big Daddy Kane, Long Live The Kane, Goin’ Off de Biz Markie, Criminal Minded et By All Means Necessary de Boogie Down Production. C’était mes groupes et MC’s préférés. Se retrouver parmi eux était plutôt cool.

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Quand A Tribe Called Quest s’est mis à bien marcher, vous parliez à la jeunesse ? Vous aviez un impact sur cette culture ?
On parlait clairement à la jeunesse, et à ceux qui voulaient nous écouter. Ce n’était pas juste le cas de Tribe, tout le monde dans le hip-hop considérait la musique comme un mouvement de jeunes.

Dans « Can I Kick It », tu citais le maire Dinkins. Tes couplets étaient toujours moins « lourds » que ceux de Q-Tip, qu’est ce qui t’a poussé dans ce morceau à parler de ce politicien précis ? C’est parce qu’il était le premier maire noir de New York City ?
Il a été important, c’est sûr. Il représentait l’état de New York. C’était aussi important que quand Obama est devenu président. Les maires noirs aux Etats-Unis se comptaient sur les doigts d’une main. Tu avais Andrew Young à Atlanta, Harold Washington à Chicago, Kwame Kilpatric puis Dave Bing à Detroit, ça n’arrivait pas souvent. Donc c’était important. Tout ce dont je me souviens en grandissant c’est qu’ Ed Koch gouvernait New York.

Koch te semblait déconnecté ?
C’est comme ça qu’on le voyait, ouais. Ensuite, après Giulani, c’était cool de voir un maire Noir.

Pour toi, quels étaient les problèmes importants des jeunes Noirs new-yorkais à l’époque ?
C’était la même chose qu’aujourd’hui. La brutalité policière. On ne peut pas avoir une jolie voiture sans qu’on soit suivis et arrêtés sur le bord de la route. Rien n’a vraiment changé, ça a même empiré.

C’est devenu pire ou juste plus visible ?
C’est clairement plus visible oui, mais c’est aussi devenu pire. Les violences policières, la tension raciale, le profilage racial, ça ne mène à rien.

En lisant de vieilles chroniques de People’s Instinctive Travels, la plupart des critiques vous accordaient une certaine originalité, Rolling Stone eux, vous prédisaient une diffusion en radio universitaire au mieux, mais doutaient de votre longévité. Tu ris jaune quand t’entends ça aujourd’hui ?
Pas vraiment, au final, ce ne sont que des opinions. Si c’est ce que ressentait la personne qui l'a écrit, cool, peu importe. Ils le font encore aujourd’hui. Aucun problème avec ça.

L’édition spéciale 25 ans de People’s Instinctive Travels and the Paths of Rhythm est disponible.

Le prochain EP de Phife Dawg, Give Thanks, sortira début 2016.

Derek Scancarelli est sur Twitter.