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Music

Peter Beste nous parle de son livre Houston Rap

Et de comment il a transformé un simple livre de photos en un véritable portrait anthropologique.

Comme vous le savez déjà, après neuf ans de travail Peter Beste vient enfin de publier Houston Rap, un livre qui mêle photos et témoignages glanés dans la patrie des Geto Boys. On a téléphoné à Peter pour qu'il nous parle de Houston, de la représentation de la culture hip-hop par les médias, du Black Power, et de ce que la scène black metal norvégienne a en commun avec l'univers du rap texan.

Le père de DJ Screw, 2009

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Noisey : Salut Peter. Je me souviens avoir vu des photos de Houston Rap il y a des années de ça. C'était un projet à très long terme non ?
Peter Beste : On a pris beaucoup de temps oui. J'ai commencé à prendre des photos en 2004, et j'y réfléchissais déjà depuis 2000. Le livre devait sortir il y a quelques années mais il y a eu plein d'incidents qui ont retardé la publication. Et ce n'est pas plus mal parce que ça nous a permis d'étudier cette communauté plus en profondeur, et avec du recul, je suis finalement bien content qu'on ait eu tout ce temps supplémentaire. Le livre aurait été plus superficiel s'il était sorti plus tôt. Là, on a pu aborder des choses concrètes et publier un livre vraiment unique.

South Park, 2005

C'était difficile de gagner la confiance des gens que tu photographiais ? Est-ce une des raisons qui ont retardé la publication ?
Non. J'ai vraiment eu de la chance parce qu'on m'a tout de suite présenté aux bonnes personnes, à des mecs comme Dope E du groupe The Terrorists, K-Rino ou les membres de Street Military. Tous ces types sont extrêmement respectés dans les quartiers et ont pu m'emmener partout, ils ont joué le rôle de médiateurs. Comment est-ce que le projet a évolué ?
Au fur et à mesure qu'on avançait, c'est passé d'un genre de who's who du rap de Houston au portrait anthropologique d'un lieu et d'une époque qui ont beaucoup compté dans l'histoire des États-Unis. On a abordé des sujets plus intéressants, comme la spiritualité, les quartiers décimés par le gouvernement, la gentrification et plein de trucs plus personnels.

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Martin Luther King Boulevard, South Park, 2006 Ce n'est plus à proprement parler un livre sur le rap.
J'ai grandi en écoutant beaucoup de rap de Houston. Au début des années 90, j'ai été vraiment soufflé par les premiers groupes de Rap-A-Lot comme les Geto Boys ou Ganxsta N-I-P. Des années plus tard, en m'intéressant à la photographie, je me suis rendu compte que ce serait un sujet parfait pour moi, donc j'ai décidé de suivre ces obcurs personnages et de les prendre en photo dans leurs environnement naturel. Voilà l'objectif initial, mais avec le temps - et en me familiarisant de plus en plus avec ces gars - on a commencé à poser les bonnes questions et à s'éloigner des stéréotypes et des conneries typiques abordées par les médias rap mainstream. Tout ce que tu peux trouver dans le livre - les meufs, les voitures, le matérialisme excessif - fait sans aucun doute partie de la communauté, mais ça va plus loin que ça. Comme nous le savons, les médias se focalisent priotirairement sur ces aspects. Nous, on a fini par transformer tout ça en une enquête à la fois sociologique et anthropologique témoignant de la richesse de la culture du Sud des Ètats-Unis. Si l'on excepte les Get Boys, il est clair que Houston a été extrêmement négligée. Il faut savoir qu'à l'époque, si tu n'étais pas de New York ou L.A., tu étais plus ou moins ignoré par la communauté rap. Du coup, tout ces rappeurs ont dû développer leurs propres styles musicaux, leurs propres circuits de distribution - et même leurs propres drogues comme le sizzurp (sirop de codéine). Ils n'avaient pas de majors derrière eux pour leur dire comment se comporter, comment sonner. Bien sûr, cette clandestinité n'était pas une volonté, mais avec le temps, c'est devenu quelque chose de positif. Ils ont réalisé qu'au lieu de signer sur un gros label et de se faire 50 centimes par CD vendu, ils pouvaient produire et manufacturer eux-mêmes leurs albums, les vendre en se servant de leurs réseaux et se faire 7 ou 8 dollars par disque tout en conservant leur indépendance.

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Duke des Herschelwood Hardheadz, South Park, 2006 Ça me rappelle ces vieux labels soul des années 60, qui faisaient tout eux-mêmes, en marge de la Motown.
Ouais, je respecte énormément cette éthique DIY. Je viens du punk rock, donc c'est un truc que j'admire et dans lequel je me retrouve complètement. Tu as aussi photographié l'âge d'or de la scène Grime à Londres, avant qu'elle ne fasse son apparition dans les médias. Tu vois des similarités entre le grime et le rap de Houston ?
Eh bien, j'ai eu un laps de temps beaucoup plus court quand j'ai travaillé sur le grime, mais oui, les deux scènes ont des points communs. J'ai commencé en 2005 à Londres et je n'ai pas pu aller autant au fond des choses qu'à Houston mais les deux scènes ont une éthique similaire, cette façon de créer quelque chose d'unique simplement en racontant des histoires de quartier ou des trucs qui te sont arrivés. Le gros point commun reste cet énorme réseau interne de radio pirates, de production et de distribution - à la manière des cassettes de DJ Screw. Le réseau DIY initié par Screw est vraiment comparable aux radios qui diffusaient du grime à Londres.

Z-Ro, Missouri City, 2006 J'imagine qu'on retrouve moins de points communs entre les rappeurs de Houston et les musiciens de True Norwegian Black Metal.
Ce qui est ironique c'est que j'ai grandi à Houston mais que je me suis senti bien plus dans mon élément - du moins physiquement - à l'autre du bout du monde, en Norvège. Et là encore, on peut trouver des trucs en commun entre les deux scènes : elles représentent des sous-cultures musicales en marge, avec leurs propres sens éthique et esthétique, avec leurs propres règles. C'est globalement la même chose. Évidemment, ces modèles éthiques sont différents. Je ne pourrais en aucune façon les associer. Les problèmes auxquels j'ai été confronté en allant à leur rencontre étaient les mêmes - j'ai dû gagner leur respect au fur et à mesure. Et j'ai réussi en gardant une attitude humble, en prenant d'abord quelques photos, puis en revenant quelques mois plus tard pour leur montrer le magazine dans lequel elles avaient été publiées. Ils étaient toujours contents du résultat. Nos relations se sont poursuivies et mon travail a pris de l'ampleur.

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South Park, 2008 Tu parlais tout à l'heure de certaines images de ton livre, qui sont compatibles avec la vision mainstream du style de vie hip-hop, mais elles sont fortement contrastés par des clichés illustrant la pauvreté et les difficultés de la vie de tous les jours. Ta vision du rap a-t-elle changé quand tu as vu ces deux mondes s'entrechoquer ?
Un de mes buts principaux, avec les deux projets, était de montrer d'abord la façade de ces communautés et de la contraster avec des éléments plus réels et humains, qui se révèlent quand on creuse un peu - que ce soit pour les types du metal avec leur maquillage ou les rappeurs dans leurs voitures hors de prix avec des filles et des flingues. Pour beaucoup de ces types, c'est l'image qu'ils projettent. Pour cinquante photos prises, je réussissais à en obtenir une qui faisait tomber cette façace, et laissait paraître quelque chose de plus réel et personnel. Et ce sont ces images qui communiqueront le plus de choses aux gens. Si ce n'était pas aussi profond, je n'aurais pas passé autant de temps sur ce projet. C'est la même chose pour la Norvège, si on avait vu uniquement des mecs tenant des croix retournées dans des forêts, tout le monde aurait vite trouvé ça chiant. Avec chaque culture, plus tu creuses dans leurs propres histoires, leurs systèmes de croyances, leurs familles, plus tu auras un résultat universel. Et la frontière est souvent mince entre la façade et la vraie personnalité d'un sujet. Je n'avais pas non plus de recette pré-établie pour arriver à ce résultat. Le fait d'avoir un bon éditeur, Johan Kugelberg, a beaucoup aidé. Il a su nous faire prendre du recul, à Lance Scott Walker et moi, pour que nous puissions avoir le regard le plus large possible et choisir les photos et les textes les plus parlants. On était tellement immergés dans le truc que c'était devenu difficile de faire le tri.

Dope E des Terrorists, Third Ward, 2004

Quelques personnes présentes dans le livre font la promotion du Black Power ou de philosophies similaires. Est-ce que ça a créé des difficultés supplémentaires niveau confiance et accessiblité ?
La plupart des types qui suivent cette philosophie ne font pas de ta couleur de peau une menace, ils sont capables de voir que nos intentions étaient honnêtes et qu'on comprenait les causes qu'ils défendaient. Par exemple, Dope E des Terrorists - le mec qui tient le fusil au dessus du panneau Black Panther - est devenu un de nos meilleurs amis à Houston, et il nous a ouvert beaucoup de portes. Je pense que l'essence même de leur mouvement est une rébellion contre le terme « homme blanc » qui n'a pas grand chose à voir avec la couleur de peau, mais qui désigne plutôt un système d'oppression. C'est un truc que je n'avais pas vraiment compris au début du projet.