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Music

Il n'y a que deux groupes indie au Caire et PanSTARRS est l'un d'entre eux

Ils jouent de la synthwave chantée en arabe, construisent leurs propres pédales d'effets et tentent d'exister au sein de la minuscule scène égyptienne.

Vous rêvez de troquer votre Fender Jazz Bass contre la Travis Bean numéro 666 ?

Votre prochaine tournée européenne des squats d’artistes approche et vous n’en avez rien à foutre ?

Vous souhaitez être déchu de votre nationalité et quitter le territoire depuis que Shakaponk sont devenus Chevaliers des Arts et des Lettres ?

Le dispositif des SMAC vous irrite ? Vous voulez retrouver la rage ? Alors barrez-vous au Caire jouer dans le meilleur groupe de cold wave egyptien avec Youssef Abouzeid aka PanSTARRS ! Il cherche un bassiste, fabrique ses pédales et attends qu’un jour on lui file un visa pour partir en tournée défendre son nouvel EP,

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Ghaby Ghaby Ghaby

. On a passé un moment avec lui pour en savoir un peu plus sur son annonce.

Noisey : Quand as-tu commencé à jouer de la musique ?

Youssef Abouzeid :

J'ai commencé à jouer de la basse quand j'étais au lycée, je devais avoir 17 ans… J'ai 24 ans, donc c'est assez récent, finalement. Et je n'écoutais pas les trucs que j'écoute maintenant, comme Sonic Youth ou Joy Division. J'ai commencé à écouter de l'indie-rock il y a seulement 3 ou 4 ans. J'ai vraiment tout découvert d'un coup. Cet apprentissage intensif et rapide a influencé la manière dont je fais de la musique aujourd'hui.

En écoutant ton EP Ghaby Ghaby Ghaby, j'ai eu l'impression que ta musique avait pris un tournant moins pop, plus cold et minimalist que sur ton premier disque, Nothingness. Que s'est-il passé entre temps ?

Nothingness

était mon premier EP. C'était ma première expérience niveau composition et enregistrement. J'étais inspiré par des lignes de guitare et des progressions minimales. Après j'ai découvert le shoegaze et j'ai composé mon deuxième EP

Yestoday

, dans un autre style. La formule de mon premier EP ne m'offrait plus assez d'espace, ça a changé naturellement, plus de structures, nouveaux sons, nouvelles idées pour la voix… J'ai progressé avec le temps. Si tu veux,

Nothingness

était un enfant,

Yestoday,

un adolescent qui se masturbe tout le temps, et

Ghaby Ghaby Ghaby

plutôt un gars de 20 ans qui a perdu sa virginité et expérimente de nouveaux trucs [

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Rires

].

Tu utilises de plus en plus souvent l'arabe dans PanSTARRS, et ton dernier EP est chanté intégralement dans ta langue natale. Pourquoi ?

Tu entends mon accent quand je te parle anglais ? Pas terrible, hein ? [

Rires

]. Et je ne trouve pas que ça colle avec ma musique. Du coup, je chante en arabe sur le dernier EP, mais ce n'est pas vraiment nouveau, ça m'étais déjà arrivé avant, sur des trucs non publiés, restés dans les cartons. Pour moi, c'est une évolution logique. Et tu sais, je viens du Moyen-Orient, et je veux que mon art soit raccord avec ça. Ça donne du sens, ça fait sens tout court. Ce serait incohérent si je faisais sonner ma musique comme un truc créé en Angleterre.

Perso j'ai vécu à Istanbul, et là- bas, très peu de groupes utilisent le turc, sauf les meilleurs groupes d'indie. Je trouve ça dommage.

Je pense que c'est un challenge pour les gens qui ne vivent ni en Europe, ni aux États-unis, d'essayer faire sonner un texte dans leur langue natale. C'est difficile. Tu dois créer quelque chose de poétique. Si tu créé en anglais, de manière forcée, sans spontanéité, ça ne marchera pas. L'inspiration doit venir de manière naturelle. Pour moi, c'est en arabe.

Mais ta musique sonne plus occidentale qu'orientale.

Ouais. Honnêtement je trouve que la culture, l'état d'esprit, les idées politiques, la force de l'Orient et du Moyen-Orient, sont entrain de disparaître. Le contexte n'offre pas assez de liberté pour permettre à la culture et à la création de se renouveler.

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Mais pourquoi ? À cause de la censure, des politiciens ? De l'obscurantisme ? De la guerre ?

Non. Parce que rien n'a jamais vraiment évolué, ça n'est jamais allé nulle part. Prenons le oud ou le tabla par exemple. Comment ces instruments ont-ils évolué ? Ils n'ont pas évolué. Des gens ont essayé de mettre de la disto sur du oud, ou de mettre des tablas sur de la disco, mais ça ne sonne pas, c'est bidon.

Comment est la scène locale en Egypte ?
Le truc de l'Egypte, c'est qu'il y a plein de choses qui n'ont jamais été faites. Il y a par exemple nos pédales d'effes DIY. On a monté une petite boîte avec un copain, on fabrique des pédales d'effets, et on a fait le lancement de notre premier modèle fin 2015. On est les seuls à faire ça dans le moyen-orient ! On voudrait en faire un business. Ce sera un shop en ligne, pas de boutique physique. Ça s'appelle : بــــدَّالات النــــــمر - NMR Pedals. Nous avons l'impression d'écrire sur une page blanche, d'avoir un terrain de jeu énorme. PanSTARR est genre un des deux groupes d'indie-rock du Caire. C'est cool. Tu as la sensation que tu as un auditoire énorme, que tu peux influencer un tas de gens. Mais en fait que dalle, ça ne mène nulle part. La scène est minuscule. Le fait est que la scène musicale du Caire est composé de 30-40 personnes. Je joue avec eux, ils m'influencent, je partage la scène avec eux. Ca nous a fait devenir super proche. Donc oui, il y a une scène. J'y appartient. Il y a évidemment d'autres musiciens, des centaines, mais il appartiennent à des groupes pourris, des trucs de reprises, d'entertainment. C'est de la merde. Quand tu dis 30-40 personnes, tu veux parler seulement de la scène post-punk/cold wave, ou alors de tout le monde ?
Non ! La je parle de ceux qui font de la Techno, du Hip Hop, de l'Indus, de l'Indie Rock. Je veux parler des gens qui font de la musique indie. On se regroupe tous dans un lieu au Caire : Vent. C'est un lieu ou il y a des concerts. C'est la qu'on s'est rencontrés, et que notre communauté a commencé à se former. C'est une salle de concert et un bar. C'est un des deux endroits pour faire de la zik au Caire. Et encore, le deuxième lieu fait jouer des groupes de reprises et des trucs de divertissement. Vent est le seul endroit qui a les balls de mettre des gars de ma scène, des gars comme moi, sur scène. Et les montrer aux gens. En terme de communauté, en terme de scène musicale, c'est génial. Ils ont ouvert les portes aux gens qui étaient vraiment intéressés par la « bonne » musique, par la création. Ils ont permis aux gens de se rencontrer, de se souder. Tout ça, dans un pays ou le discernement entre art et « entertainment » n'existe pas. Les mecs qui jouent dans des groupes de reprises ne savent même pas qu'ils font de l'entertainement, ils pensent qu'ils font de l'art. C'est triste, très triste. Et il y a du public aux concerts ?
Oui, les gens viennent. Mais le problème reste le manque de structures dans le pays. Pour te donner une idée, il n'y a seulement que deux vraies de concert, une ici et une à Alexandrie, un seul label – et encore, il est pas top – et on est les seuls à construire des pédales. Tu sais qui sont tes followers sur internet ? Principalement des egyptiens ou alors tu arrives à toucher du monde à l'étranger ?
Pour les deux premiers EP, il s'agissait surtout de gens de l'étranger. Pour mon 2ème EP j'ai été aidé par le label français Anywave, ils m'ont soutenu. Et j'ai aussi été sur une compilation de leur label.

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Comment vous êtes vous trouvé avec Anywave ?
Ils m'ont contacté via Soundcloud, ils ont été les premières personnes de l'étranger à me contacter. Ils m'ont dit : « on aime ta musique, faisons un truc ensemble ». Ils m'ont aidé à me connecter à plein de gens de l'étranger. La plupart de mes écoutes viennent de France.

De quoi parlent les textes de ton dernier EP ?
La plupart des paroles parlent de l'ouverture d'esprit – ou du manque d'ouverture d'esprit – , des gens, des goûts de merde, car maintenant je suis persuadé aussi qu'on peut avoir un avis sur les goûts. Pour moi, il y a des goûts intelligents et des goûts stupides. Je parle aussi de la sexualité des gens en Egypte. Ce n'est ni triste ni joyeux. Dans la 3ème chanson, je parle à une femme. Je lui dis de s'approcher, de venir nue, et de ne pas avoir peur. Ça veut à la fois dire quelque chose et rien en même temps. C'est la meilleure explication que je peux te donner [Rires]. T'as pas peur de te faire emmerder par la censure, de te faire embrouiller si tes paroles parlent de sexe ?
C'est la que ça devient intéressant d'avoir peu de followers en Egypte ! Et de ne pas jouer dans des lieux qui sont susceptibles d'être surveillés par les autorités. Je fais même plus de concerts en ce moment. Mais si j'avais fais toutes ces choses plus intensivement, tourner, essayer de me faire connaître plus largement en Egypte, alors ouais, j'aurais certainement eu des problèmes. Si vous n'êtes vraiment que 30 ou 40 musiciens, les autorités ne savent pas que vous existez de toute façon, non ?
Oui et non. Tout ça grossit. Tu sais depuis le début de l'interview je me plains et je te dis que c'est la merde, que c'est compliqué, mais le fait est que tout ça prend de l'importance. Les autorités en ont pas grand chose à foutre mais ils le savent, ils le sentent venir. Est-ce que la situation politique - en Egypte, au Moyen Orient, mais aussi dans le reste du monde - influence ton art ?
Bien sûr. Si je sens que le système devient plus faible, je ne vais pas descendre dans la rue pour protester. J'ai plutôt la sensation que il y a soudain un espace qui est créé pour créer un truc, pour attaquer le système de la façon la plus détournée et indirecte. C'est une opportunité de faire des trucs, de faire de l'art. D'ouvrir l'esprit des gens, de les sensibiliser à différentes formes d'art. Vous êtes combien dans PanSTARRS ?
J'ai commencé seul, et avec le temps un bassiste et un batteur m'ont rejoint pour faire des concerts. Tu joues seulement en Egypte ou tu as déjà tourné à l'étranger aussi ?
Seulement en Egypte. Mais j'ai été invité en 2015 à Culture Collide, le festival de Filter Magazine. C'est à Los Angeles. Mais tu sais quoi, j'ai jamais eu le putain de visa. J'ai du me débattre à l'ambassade américaine, mais ils voulaient pas. J'ai insisté mais des mecs m'ont attrapé et m'ont foutu dehors. C'était vraiment un sale moment. Je venais d'être diplomé mais je n'avais pas encore de job. Alors ils ont du penser que j'essayais de me barrer d'Egypte pour émigrer aux Etats-Unis… Tu penses que tu pourrais venir tourner en France ou tu aurais les mêmes problèmes ?
Maintenant que j'ai un boulot à plein temps dans ma branche, je pense qu'il est envisageable que je puisse récupérer un visa. Mais bon je suis bien, bien fauché, comme tout le monde ici. Pour developper ta musique, tu penses rester au Caire ou bouger dans une autre ville ?
Je voudrais vraiment sortir d'Egypte, et essayer de rester et comprendre d'autres scène locales dans d'autres pays, rencontrer de nouveaux musiciens et vivre de nouvelles choses. Je le ferai quand j'aurais les moyens, maintenant j'ai un job à temps complet, j'ai mon truc de pédales d'effets, j'essaye de mettre de coté. Si un jour j'ai la chance de bouger, rencontrer des nouvelles personnes, de faire des concerts, alors ce serait vraiment génial. Est-ce qu'il se passe un truc pour la musique indie en dehors des grandes villes ?
Non c'est seulement au Caire et à Alexandrie. Le seul autre bon groupe d'indie rock est à Alexandrie. Il y a aussi un underground à Alexandrie, mais il est encore plus petit que celui du Caire. Donc t'imagines à quel point c'est confidentiel ? Au niveau matos, vous galèrez pas trop pour vous procurer des instruments ou du backline ? Y'a des magasins au Caire ? Ou alors tu commandes des trucs sur le web et on te les livre chez toi ?
C'est l'enfer pour trouver une gratte. Le gouvernement taxe à mort les produits d'importation. Une guitare Fender qui vaut 1000$ aux US, elle en vaudra 1500$ en France et 2000$ en Egypte. Et il n'y a pas de revendeur officiel de chez Fender. La plupart des grattes utilisées par les gens en Egypte sont des copies chinoises ou coréennes. C'est pareil pour les synthés, les pédales, les enceintes… C'est ça vivre en Egypte. Si t'as pas de thunes, tu vas devoir relever un paquet de challenges qui vont booster ta créativité. Plus les outils que tu utilises seront pourris, plus ton matos sera cheap ou de mauvaise qualité, plus tu deviendras créatif. Faut voir le bon coté des choses !

Et maintenant tu fabrique ton propre backline, c'est le truc le plus cool et le moins cher !
Yeah ! On vient de fabriquer notre premier modèle : une pédale de fuzz avec un oscillateur !

Mais ou est-ce que tu achètes les composants ?
La plupart se trouvent en Egypte, comme dans n'importe quel pays. Ceux manquant arrivent de Chine. Ce sont des schémas et des montages très simples. Je ne comprends pas pourquoi personne au Moyen-Orient n'y a pensé avant. Tout le monde continue à s'enflammer quand Digitech ou Monkey Effect sort une nouvelle pédale. Ça craint.