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ORTIES reviennent vous filer de l'urticaire

« Tous les mecs se vendent à un moment, à part PNL pour l'instant. Dans le rap il n'y a pas de valeur – après, il n’y a jamais eu de valeurs chez Tryo non plus. »

Photo - Melchior Tersen

En 2012, les jumelles d'ORTIES sortaient de nulle part pour pilonner ce qu'il restait du rap hexagonal et de la bienséance avec l'album Sextape et ses titres phares, « Plus putes que toutes les putes », « Ghetto Goth » ou « Paris Pourri ». Après une relative période de silence, le dark rave duo (comme nous le présente Discogs) revient fêter l'été 2016 avec « SEXEDROGUEHORREUR », premier extrait de leur album à paraître qui s'intitulera Nouvelle Chanson Française et dont Kincy assure elle-même les productions, accompagnée de l'ex-Taxi Girl, Mirwais. Le but de Kincy et Antha est simple : dépoussiérer une chanson française devenue depuis longtemps simple écho des déboires de la nouvelle bourgeoisie et poursuivre la tradition du texte de leurs aînés. Avouez que c'est plutôt louable. On a voulu aller plus loin qu'Internet et rencontrer le duo pour débattre de l'absence des filles dans le rap et parler du paysage musical français d’hier et d’aujourd’hui, de Véronique Sanson à Niska, en passant par PNL et Christophe.

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Noisey : Ça faisait 3 ans que vous n'aviez rien sorti, depuis Sextape. Vous étiez passées où ?
Kincy : On a repris tout à zéro. On a passé beaucoup de temps à ré-initialiser notre projet, je me suis mise à la production. J'ai produit tout l'album, chose qu'avant je ne faisais pas. On ne voulait plus travailler avec des mecs qui nous faisaient des beats, le but était de gagner en indépendance artistique, d'arriver à tout faire soi-même. En fait, on a passé ces deux dernières années en studio.

Antha : Il y a aussi eu une pause, j'ai passé mon diplôme aux Beaux-Arts. On avait déjà rencontré Mirwais, puis on a laissé plusieurs mois s'écouler. On a mis le groupe de côté pendant une courte période pour que je puisse passer le diplôme, et repartir sur de nouvelles bases et une nouvelle équipe. Justement vous comptez bosser dans l’art ? C’est pas un milieu trop infernal ?
Kincy : La musique ou l'Art sont nos uniques buts. Notre projet est artistique. On n'est pas des gosses de riches, on vient du 91, nos parents sont artistes eux-mêmes et pas friqués du tout, mais on se débrouille. Comme tout le monde.

Antha : Qu'est ce qui est plus infernal, se faire une place dans l'Art ou bosser comme un esclave à la caisse de Carrefour ou McDo ? Je crois que cette vie est infernale en général, tout est très difficile au fond. Je préfère me lever le matin avec mes rêves dans la tête, ça donne énormément de force : la création, le fait de rêver un projet et de le réaliser ensuite, c'est juste magnifique.

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Votre projet, dès le départ, était relativement racoleur. C’était le meilleur moyen de se faire remarquer ? Est-ce que vous avez des objectifs en termes de carrière ?
Kincy : C'est une option intéressante aujourd'hui, mais on ne s'y est jamais senti obligé, on a toujours fait ce qu'on avait à faire, c'est tout. Sincèrement. La carrière se construit sur la durée, on veut sortir nos sons, y imprimer notre époque, continuer au maximum dans un élan de liberté. Depuis 2012, vous avez collaboré avec Mickey Mossman (du groupe rap Démocrates D), Christophe ou encore Mirwais : pourquoi vous ne bossez qu'avec des vieux ?
Kincy : Mossman c'était à nos débuts, pour notre première démo.

Antha : Il nous avait repéré sur MySpace. Ensuite, on enregistrait chez lui à Aulnay-sous-Bois, c'était assez ghetto. Ils sont tous plus vieux que nous oui, c'est malheureux parce qu'il y a une espèce de concurrence chez les mecs qui sont jeunes. Les mecs de notre âge qui font des prods, au début ça se passe bien et au fur et à mesure, ça se dégrade très vite parce qu'il y a un esprit de compétition entre jeunes loups.

Kincy : Les mecs plus vieux ont des rapports plus apaisés, ils ont déjà réussi et prouvé - ou pas - ce qu'ils valaient.

Antha : Il faut dire que les collabs qui durent très longtemps se finissent généralement mal. C'est difficile de travailler avec des gens. Sur un ou deux titres ça va, mais dès que tu commences à faire beaucoup plus… Y’a des jeunes avec qui vous aimeriez collaborer quand même en ce moment ?
Antha : Il y a eu beaucoup de jeunes gens avec qui nous avons déjà collaboré, ils n'étaient pas spécialement connus donc c'est sans doute pour ça que les gens ont l'impression qu'on ne collabore qu'avec des « vieux ».

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Kincy :

Sur

Sextape

on n'a travaillé qu'avec de jeunes producteurs, comme Butter Bullets par exemple. Dans le passé nous avons aussi fait un feat avec Alkpote. Dev Hynes de Blood Orange nous a envoyé des prods à un moment, et on était super enthousiastes, si ça n'a pas pu aboutir c'est un problème de studio, à l'époque on n'avait plus aucune thunes pour enregistrer les tracks, mais la suite reste à venir. NEUS a remixé « La Boum », et travaille actuellement sur un nouveau remix d'ORTIES. Donc non, il n'y a pas que des « gens plus âgés ».

Vous avez défendu les Pussy Riot il y a quelques années, et dans le morceau « Bruno » vous reprenez « Vanessa » de Doc Gynéco, mais du point de vue de la fameuse Vanessa. Étrangement, vous n'avez jamais collaboré avec des femmes. Comment ça se fait ?
Antha : C'est un truc qui nous manque à cette heure-ci, ouais. Ce serait cool d'avoir une fille, même sur l'album.

Kincy : Les Pussy Riot je n'ai jamais écouté un seul de leur titre, c'était vraiment pour défendre la liberté d'expression.

Antha : Ce qui est chiant, c'est que tu t'habitues. C'est comme le foot. On est dans un monde d'hommes. Où qu'on aille, on ne trouve que des mecs : en maison de disques, ce sont mecs, au foot à la télé, ce sont des mecs, pareil pour l'entraîneur et le public. Encore maintenant, il y a très peu de femmes dans la musique. Des meufs comme nous, on n'en trouve pas et c'est peut-être aussi pour ça qu'on n'a pas pu faire de featurings.

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Kincy : Quand tu ne fais pas de feats, l'idée d'en faire un devient un truc super précieux et donc un peu sacré, ça ne peut arriver que par un gros coup de coeur. En tout cas je ne sais pas si j'aimerais spécialement prendre une meuf qui rappe. On ne veut pas multiplier les featurings, on cherche quelqu'un de spécial, mec comme meuf.

Antha :

Mais pour les mecs, on a déjà des idées. C'est malheureux, mais c'est tout simplement parce qu'il y a plus de mecs représentés.

Vous vous présentez comme un groupe féministe ? Certaines chanteuses ou musiciennes n’aiment pas assumer ce terme, de peur de se poser en militantes.

Antha :

Il faut faire attention avec ce terme. On est avant tout un groupe de musique, on fait de l'art : ensuite, il nous est évident de prendre position. Mais c'est tellement naturel, avant même de connaître le mot « féministe », nous le prônions déjà. Est-ce qu'on dit à un rockeur qu'il est « masculiniste » ? Je veux dire par là qu'au fond ça arrange tout le monde de dire « elles sont féministes » ; peut-être que pour ma part je suis surtout tarée, et que j'aime briser les codes, exactement comme Sid Vicious ou Truc Machin l'a fait avant nous, tu vois ?

Kincy :

Je le trouve nul ce terme, féministe… Il ne devrait même pas avoir à exister. Nous sommes des femmes, on s'exprime, librement.

Vous pensez que des meufs comme Holybrune, OkLou, TGAF, ou ceux que certains rattachent à l'Internet wave, ont croqué votre buzz ?

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Antha :

Non.

Kincy : Ce n’est pas du tout pareil que nous, c'est beaucoup plus minimal tout ça. Rien à voir.

Antha : En revanche, elles sont dans leur époque et c'est cool. Mais ça ne nous ressemble pas, OkLou c'est vachement atmosphérique quand même.

Kincy : Si on voulait un feat ce serait peut-être aussi avec quelqu'un qui a des choses à dire. Si c'est une fille, il faut qu'on entende sa voix, au sens propre du terme, sinon ça ne me tente pas trop. Quel est le message d’Orties ? Vous trouvez que la génération Internet n’a rien à dire ?
Kincy : Non pas du tout. Notre génération ainsi qu’Internet ont rendu possible un décloisonnement artistique. Pour la musique c'est un vivier infini d'idées, et un renouvellement très riche. Tout dépend du point de vue, cela peut aussi être vu comme un puits sans fond. Mais je fais partie des optimistes sur le sujet.

Antha :

Le message d'ORTIES c'est avant tout la liberté. On rigole bien, et en plus on s'exprime ; on éloigne notre douleur, on essaie d'en faire quelque chose avant de mourir. « La génération internet » on en fait sans doute partie aussi. Est-ce que Bret Easton Ellis n'avait pas déjà prévu tout ça en écrivant

Less Than Zero

?

Vous faites référence à Véronique Sanson dans votre dernier titre. Sur l'échiquier, entre Véronique Sanson et PNL, vous vous situez où ?
Antha : C'est le grand écart. Les deux sont cool, disons qu'on se voit au milieu. L'art et la poésie sont partout, il n’y a que les cons des Beaux-Arts de Paris pour te dire que l'Art est un concept bien déterminé [rires] . Mais dès que tu commences à trop enfermer les choses dans des cases précises, t'es foutu. Nous, comme d'autres, on a toujours vu les ponts entre les choses – d'ailleurs Eminem l'avait bien compris, quand il avait demandé à Marylin Manson un featuring sur « The Way I Am ». Mais ça c'est aux Etats-Unis, en France c'est douloureux, chacun est dans sa bulle. C'est un pays de coincés, replié sur lui-même. C'est pas fun, moi je serais mieux en Angleterre par exemple. C'est enrichissant de rencontrer des mecs Dev Hynes. Je me sens plus proche de cette folie anglaise où tout est possible, que de la mentalité fermée française. Nous sommes d'ailleurs en train de voir pour tourner à l'étranger.

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Kincy : Oui, on est en train de voir pour commencer directement à jouer à l'international, en parallèle de dates en France. Souvent on reçoit des messages depuis l'Europe, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Espagne, le Canada aussi, et même quelques Américains. Après, il y a des trucs bien en rap français, mais la « mixité » musicale et artistique n'est pas au rendez-vous. Ah si, il y a quelques années on a eu droit à Passi et Calogero.

Antha : Dans certains cas, les Français vont se mélanger avec des rappeurs US, exemple Lacrim feat Migos ou des trucs dans ce style, les feats coûtent chers et ne sont pas drôles. Souvent, les mêmes rappeurs US reprennent exactement un couplet d'un titre à eux sorti auparavant et l'intègrent tel quel dans le morceau. Les mecs se tapent la honte et on leur dit rien. C'est toujours la même chanson, toujours le même clip. C'est un schéma rassurant. À un moment, il faut aussi savoir prendre plus de risques.

Vous cherchez à sortir de ce schéma rassurant ?
Antha : Dans le nouvel album, les morceaux ne se ressemblent pas, mais suivent un fil directeur, racontent un trip.

Kincy : On a d'abord voulu sortir « SEXEDROGUEHORREUR » parce qu'on trouve qu'il fait office de passerelle entre les prochains sons et ce qu'on faisait avant dans Sextape. Et aussi en résonance malheureuse à la triste actualité de notre société, je ne sais pas si vous avez remarqué qu'on a tourné notre clip Place de la République ? Sinon oui, il y a des titres plus bizarres, qui vont dans des directions multiples et inattendues. L'album à venir est plus perso, quand tu fais toi-même tes instrus, normal tu arrives mieux à driver ta chanson, à mettre la vibe que tu souhaites - sans intermédiaire entre ce que tu ressens et ce que tu fais. On en revient à ce qu’on disait précédemment. Vous vous considérez comme des artistes engagées ? Est-ce qu’un artiste par définition devrait toujours l’être ? Vous auriez pu jouer à Nuit Debout ?
Kincy : Nous ne pouvons pas rester insensibles au climat actuel, c'est impossible. Notre forme artistique étant celle, plus ou moins loin et discutable, du rap, comment ne pas prendre un temps soit peu « position » ? Une position d'observateur de la société. « SEXEDROGUEHORREUR », c'est un triste constat. Nous choisissons de ne pas être dans le déni en disant seulement « Paris est une fête ». Oui « Paris est une fête », mais l'horreur n'est pas loin, et il faut tenir le coup.

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Antha :

Attention encore une fois à ce mot « artistes engagées » : si on était vraiment engagées, on ferait de la politique, on s'inscrirait à un parti. On est engagées jusqu'à un certain point ; ça me fait peur de trop m'impliquer, parce qu'après tu es « récupérée ». Parfois j'ai l'impression de planer au-dessus de tous ces problèmes français ou mondiaux, je regarde BFMTV et j'ai juste envie de vomir. C'est bien que le peuple se réveille, mais le gouvernement s'en branle totalement. À quoi a bien pu servir la prise de la Bastille ? La royauté est encore d'actualité.

Revenons à la musique. Vous avez pensé à produire pour d'autres, ou vous restez dans une logique plus organique pour ORTIES ?
Kincy : Antha ne produit pas. Moi j'aimerais bien produire pour des gens cool, dans une vraie rencontre artistique. Je ne veux pas fournir des instrus juste pour fournir des instrus. Sur notre chanson avec Christophe « Mes nuits blanches », j'ai co-réalisé la production avec lui. Il prévoit encore de sortir de nouveaux trucs ? Quel âge il a Christophe, d'ailleurs ?
Antha : 70 ans ! Il a tout de suite un nouveau projet en cours. Il a la pêche, c'est son énergie sexuelle qui le tient.

Kincy : Il est trop cool, tu peux lui faire écouter des gros trucs de rap, de trap, il kiffe. Il est toujours demandeur pour écouter de nouveaux sons, il m'a demandé que je lui file des playlists rap sur son ordi, après il les réécoute tout seul chez lui, et il les fait écouter à ses amis un peu plus old school.

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Antha : C'est aussi pour ça qu'on aimerait bien clipper ce titre « Mes Nuits Blanches », ce serait marrant de l'emmener vers des horizons plus thug, avec la Mercedes, ça lui irait bien. Il y a un côté Drive dans ce morceau, dark Hollywood.

De l'intérieur, vous trouvez que le rap français a beaucoup évolué ces dernières années ?
Antha : La situation n'est plus la même qu'il y a 3 ans. On est dans une phase où le rap a pris une ampleur beaucoup plus grande en France et dans le monde entier. Mais ce qui est dommage c'est que l'essor du rap aujourd'hui, en faisant émerger et exploser plein de mecs, a aussi mis de côté les meufs qui rappent. J'ai l'impression, en tout cas en France, qu'il n'y en a très peu, voir plus du tout. Peut-être qu'elles se sont découragées ? Le problème dans le rap, c'est que t'as l'impression d'être encore à l'école, ce sont des bandes de petits garçons entre eux, et les meufs sont mises à l'écart. Mais les choses changent, le rap était encore différent il y a 10 ans. Quand on a commencé il n'y avait que Diam's, on te comparait sans cesse à elle, si tu étais blanche et que tu rappais, c'était pas top non plus, mais à côté il y avait du mouvement avec d'autres filles, un peu cassos ou pas, qui rappaient, qui essayaient de s'imposer. Ce n'est plus trop le cas aujourd'hui.

Kincy : Y'avait aussi les deux filles que Rohff produisait, Amy et Bushy. C'est horrible, Bushy est morte cette année, et ils n'ont jamais révélé les causes de son décès. Elle avait ressorti un clip je crois, peu de temps avant sa mort. J'avais aussi vu une interview d'elle, elle avait l'air super remontée contre le rap game fr. Chelou.

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Antha : Ca m'a fait de la peine, il y avait déjà peu de meufs dans le rap… C'est tragique. Maintenant il y a Shay. J'aime bien Shay, contre toute attente. Mais elle tourne un peu en rond. Son titre « PMW » – c'est A$AP Rocky qui est à l'origine de Pussy, Money and Weed – ça m'a déçu que ce soit pas son propre truc, c'est pas compliqué de trouver trois lettres pour en faire un sigle à soi, comme nous avec notre « SDH » (SexeDrogueHorreur). Elle rappe bien, mais c'est dommage qu'elle s'enferme dans les clichés de Booba. C'est sa créature. Il faut s'émanciper, parler un peu de la mort et d'autre chose plus sérieuses que le biff. C'est dommage parce qu'elle a quand même du talent. Nous on est à l'opposé de ça, on est plus dans un truc « honnête ». C'est le problème du rap, et pas de Shay en particulier, les mecs s'enferment. Et tout d'un coup tu as le morceau émotion avec le mot « maman », genre « maman, je t'aime ». Ridicule.

Kincy : Ils sont tellement pudiques, ils se sont mis des barrières.

Antha : Et pourtant j'aime bien Lacrim, mais quand il dit « Comment veux-tu que j'te prenne au sérieux quand tu la prends dans l'cul ? », tout de suite, c'est plus à mon goût. C'est bête mais c'est pour ça que j'aime bien les rappeurs anglais : au moins je ne comprends rien [rires] .

Kincy : Ca va avec l'état général de la France qui est très tendu, les mecs sont à deux doigts de craquer. Ici, le rap est plus agressif et hardcore qu'ailleurs. Ce qui me dérange c'est que les mecs soient raides et agressifs tout en étant des vendus de première, beaucoup trop capitalistes, ils sont achetables. Dès qu'il s'agit de faire le morceau commercial de l'été pour gagner des thunes, ils oublient tout. Même Shay, qui se la joue ultra hardcore, son tube de l'été, ressemble à du zouk ou du sous-Rihanna.

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Antha : Pareil pour Niska, l'un des mecs du 9-1 le plus hardcore que j'ai écoutés. Le mec est hyper vénère, et maintenant je le vois sur D17. Sur « Sapés comme jamais » avec Maître Gims, c'est chaud. Tu leur passes un billet et c'est bon…

Kincy : Ils se font connaître en étant violent, et dès que ça marche, ils se calment complètement. Ca peut se comprendre, mais ça me pose problème. Finalement dans le rap, il n'y a aucune valeur. Pour vous, la sincérité doit primer dans le rap ?
Antha : Un minimum ! Tous les mecs se vendent à un moment, à part PNL pour l'instant. Il n'y a pas de valeur – après il n’y a jamais eu de valeurs dans Tryo non plus.

Kincy : Ça vaut aussi d'un point de vue artistique. Des mecs comme Maître Gims ou Black M ont commencé en faisant des freestyles dans la rue, aujourd'hui leurs morceaux sont encore pires que ceux de la Compagnie Créole, ça ressemble à de la mauvaise variété.

Antha : Dans ces moments-là, des mecs comme PNL ont une valeur encore plus importante. Les gens ont ressenti une sincérité chez eux, c'est sûrement pour ça que ça a marché. Ils s'autorisent au spleen et à être plus dépressif, même s'ils restent dans les clichés du rap. On va de l'avant, et on peut se permettre de se dire que la vie c'est moyen, qu'on s'ennuie. C'est cool.

Mais est ce qu’on doit reprocher aux rappeurs de vouloir faire du fric ? L’intégrité n’est pas une vertu qui se fâne avec l’âge et les opportunités ?
Kincy : Vouloir faire du fric et le clamer ce n'est pas un reproche, ça se comprend. Le soucis c'est le double language culturel, de faire semblant d'être cool alors que tu ne l'es pas. Ils se présentent un jour sous un aspect violent et le lendemain adoptent un style pseudo cool. Il n'y a pas de leçons de moral derrière cela, juste un constat. Et ce n'est pas uniquement valable pour les rappeurs, la variété c'est la même. Ils peuvent te faire croire qu'ils sont pro-love, pieds-nus et proches de leur public alors que la plupart sont grave obsédés par le fric.

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Antha : Tout le monde veut faire du fric. Mais certains plus que d'autres encore. Picasso aussi voulait faire du blé. Mais Proust ? Non, Proust s'en foutait car il était déjà blindé. Je comprends que quand tu n'as pas un rond tu as envie de faire du fric, mais moi j'apprécie les gens qui aiment la beauté avant tout, et ensuite le fric. Est-ce qu’on vous a déjà emmerdé avec ce débat sur « l’appropriation culturelle », vous qui êtes deux meufs blanches ?
Kincy : Ah oui, l'appropriation culturelle, c'est un terme à la mode. Les méchants blancs qui piquent la musique et la culture de rue des gentils noirs, (comme s'il n'y avait pas de blanc du ghetto…), c'est un peu plus compliqué que cela. Il paraît que Beyoncé s'en plaint, mais dans son dernier album elle sample Led Zeppelin, Kanye West par exemple aussi, sample « Harder Better Faster Stronger » de Daft Punk dans son morceau « Stronger »… Ensuite le Saint Graal du sampling dans la communauté black c'est d'arriver à sampler les Beatles qui ont toujours refusés, mais souviens-toi d'un mec du Wu-Tang Clan qui avait clamé qu'il y était arrivé, alors que ce n'était qu'une reprise.. Bref, régulièrement il y a des annonces comme ça, sampler les Beatles devient l'équivalent de gagner une médaille olympique. Alors l'appropriation culturelle, il faut arrêter maintenant, on ne se sent pas du tout concernés

Antha : Les gens qui nous ont emmerdé avec ce débat-là, crois-moi on ne les a jamais revu. Au fond, c'est un discours extrêmement raciste. Le pire c'est que ce sont ces gens-là qui se disent anti-racistes. Malgré tout ce que vous reprochez à la France, vous avez intitulé votre album « Nouvelle Chanson Française ».
Kincy : C'est un peu insolent. En ce moment, c'est moche la chanson française donc on aimerait se l'approprier.

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Antha : Ca me fait rire de marcher sur les plates-bandes de Marc Lavoine. Ces gens-là se croient à l'abri de tout [rires].

Kincy : On a beaucoup de respect pour l'ancienne chanson française. C'est pour ça qu'on a accepté de faire ce titre avec Christophe, dans la tradition de cette belle chanson française.

Vous voulez secouer un peu Christine and The Queens (qui a d'ailleurs adapté « Les paradis perdus » de Christophe) et la chanson française sauce Inrocks ?
Antha : Ce n’est pas mon truc, mais après je n'ai rien contre elle. Et honnêtement, ce n’est pas la pire.

Kincy : C'est quand même très bobo. Comme si la chanson française en 2016 ce n'était qu'elle… Nous on aimerait bien toucher un public plus jeune avec le rap et faire une passerelle pour les aînés et les amateurs de chanson.

Antha : Si on a choisi d'intituler l'album Nouvelle Chanson Française c'est aussi parce que les gens n'ont pas bien écouté Sextape. Il y a vraiment un travail sur le texte. C'est pas méchant, mais honnêtement, j'écris mieux que Christine and the Queens.

Kincy : La chanson française en 2016, qu'est ce que c'est ? Elle a évolué, mais je crois que sa forme la plus actuelle, c'est le rap. Le titre de cet album est interrogateur, il pousse à la réflexion.

Antha : Les Sages Poètes de la Rue ont appelé leur nouvel album Art Contemporain, c'est un peu le même point d'interrogation. Des galeries comme Perrotin, c'est bien, mais elles se persuadent d'exposer de l'art contemporain. Mais finalement, c'est quoi l'art contemporain ? C'est plus de choses que l'on croit, il faut que les bourgeois redescendent sur Terre et regardent autour d'eux. Il y a des choses beaucoup plus intéressantes et contemporaines, que ce qu'ils peuvent consacrer comme art contemporain.

Je vous ai découvertes via « Ghetto Goth », et toujours dans cette logique de passerelle, on peut dire que vous êtes les seules rappeuses à pouvoir citer Christian Death comme ça.
Antha : C'est le mélange des genres ! On cite aussi Jay-Z et Big Boi dans le morceau. Être artiste ce n'est pas créer, mais c'est mélanger. De ce mélange va naître ta propre poudre. Sinon on s'emmerde. C'est comme baiser avec son frère, tu vas avoir des problèmes de trisomie, alors que si tu vas beaucoup plus loin, tu peux prendre les meilleurs gènes.

Kincy : J'ai vu Christian Death en concert la veille des attentats, le 12 novembre au Bus Palladium. C'est dingue car en plein milieu du concert, le chanteur s'est arrêté, complètement ivre, pour déblatérer sur notre époque et la régression devant l'État islamique. Si on avait su ce qui allait se passer 24 heures après…. J'étais avec Christophe, et le gratin gothique parisien. Je n'aime pas trop ce milieu, très superficiel et uniformisé, j'ai d'ailleurs découvert ce soir-là qu'il existait encore une petite scène goth à Paris. Vous avez eu un groupe de goth rock, puis on a parlé de vous comme un duo rap trash et là vous revenez avec notre « nouvelle chanson française ». C'est quoi la prochaine étape ?
Kincy : On a acquis pas mal d'expérience, ce qui nous permet d'aller vers ce que nous sommes.-

Antha : Plus tu fais, plus tu essayes d'aller vers ce que tu es vraiment. On a fait Sextape avec les moyens du bord, on n’a pas pu aller au bout de ce qu'on voulait. On a fait ce qu'on a pu avec ce qu'on avait. Mais plus on avance, plus on s'affine.