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Music

Fini de jouer, 2015 : Oneohtrix Point Never a remporté la partie

Nous sommes allés discuter de puberté, de metal, d'obsessions et de leaks d'outre-espace avec l'auteur d'un de nos disques de l'année.

D’une certaine façon, Oneohtrix Point Never a réalisé le parcours idéal du geek à synthé qui, au final, arrive quand même à se faire des amis. Parti de CD-R drone/noise pour se retrouver sur le label que détestent aimer (ou aiment détester) les techno freaks du monde entier (oui, on parle bien de Warp), Daniel Lopatin a aussi collaboré avec le gratin (plus ou moins digeste) de Tim Hecker à Antony et a pu cocher les cases « musicologue » et « Art contemporain » sur son pass navigo tout en tournant avec Nine Inch Nails et en traumatisant les fans de metal. Pas si mal à seulement 30 balais. Son nouveau disque

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Garden Of Delete

est plus libéré que le très cérébral (et parfois un peu usant)

R Plus Seven

, nourri par des blasts salvateurs et des plages bleep qui devrait plaire aussi bien aux nostalgiques de

Weird Science

qu'aux gens qui mettent du Autechre pour « délirer » le samedi en soirée. Discussion à la cool avec Dan, un peu fatigué par huit interviews à parler philo et cinéma dans un hôtel de Pigalle, entre puberté, metal et obsessions.

Noisey : Les gens de Warp me racontaient comment ton album a leaké, c'est une histoire assez étrange…

Daniel Lopatin :

Très étrange, oui ! Je venais de finir le disque, il était tout juste masterisé. J'étais au cinéma et je reçois un texto de Todd Ledford qui s'occupe du label Olde English Spelling Bee qui dit « j'ai une amie qui veut te parler ». Je lui dis que je suis au cinéma et il me dit « non il faut que tu lui parles MAINTENANT ». J'ai donc quitté la salle au milieu du film, ce que je n'avais jamais fait de ma vie. Je finis par parler à cette fille via Skype (elle n'avait pas de téléphone et m'appelait d'un McDo) et elle m'annonce : « Je suis une grande fan de ta musique mais je suis aussi une

leaker

, je leake des albums. Un gamin m'a envoyé ton disque ». Et je lui disais « non c'est impossible, envoie-moi une photo de ton fichier ». Elle l'a fait et c'était effectivement tout mon album. Elle m'a dit « je ne ferais jamais fuiter ton album car j'aime trop ta musique mais sache que ce gamin l'a en sa possession ». Cette fille était mon ange de miséricorde. D'abord parce qu'elle m'a prévenu et ensuite parce qu'elle a empêché que ce gamin mette mon disque en ligne. Mais finalement, il y a deux jours le disque s'est retrouvé en ligne et elle m'a envoyé un mail pour me dire qu'elle ne savait pas qui l'avait fait. Mais si ça avait eu lieu si tôt, ça aurait été une catastrophe.

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Tu te rappelles le premier album ou le premier morceau qui t'a vraiment obsédé ?

C'est une bonne question… Je pense que c'était un truc des Beatles que mon père jouait en permanence. Mais le premier truc qui m'a vraiment obsédé c'est

« We Care A Lot »

de Faith No More que ma sœur me passait tout le temps.

Ton nouvel album tourne autour de la puberté, comment s'est passée la tienne ?

Le truc c'est que j'ai une très mauvaise mémoire. Les souvenirs sont très vagues et le côté marrant de ce concept était de reconstituer des bribes de moments de cette époque-là. Ce sont surtout les choses traumatisantes et un peu folles que j'ai retenu. J'étais obsédé par une fille du nom de Sarah. Je foutais tellement les boules [

Rires

]. J'étais le comme le

zodiac killer

, je gardais un carnet où je notais les moments où je la voyais, je faisais des dessins d'elle. Je lui avais acheté un collier et je la dessinais avec ce collier autour du cou… Oh putain… [

Rires

]. J'étais le gros nerd typique. Ma puberté est arrivée tard. J'avais toujours un énorme bouton là [

il montre son menton

]

.

Toujours au même endroit. Il y a une photo vraiment bizarre de ce bouton que j'ai voulu utiliser comme pochette de mon album mais le label a refusé…

Tu as écrit une lettre à tes fans pour promouvoir ce nouvel album, tu peux nous dire pourquoi ?

En fait je suis très emmerdé par tout ce processus de sortie d'album. Tu finis ton disque et tu dois attendre 5 ou 6 mois pour qu'il sorte. Et ensuite ce ne sont que des gimmicks genre « écoute en exclu », « sortie du clip », des trucs pas du tout divertissants. Je sais que j'ai une fan base très loyale donc je me suis dit : pourquoi est-ce que je ne ferais pas un truc plus créatif ? Je voulais donner quelques indices, qu'il y ait un côté chasse aux trésors. Donner un lien vers le blog de musique d'un alien ado qui m'aurait interviewé. Je voulais que ce soit marrant.

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Les drogues ont toujours un rôle important dans ton processus créatif ?

[

Rires

] Non. Pas aussi fort qu'avant en tout cas.

Je me rappelle quand tu as joué à Villette Sonique (à la Géode devant un film IMAX) tu avais fumé de la weed très forte et tu avais l'air de planer vraiment très haut [Rires]

C'est vrai, c'était un facteur important ce jour-là [

Rires

]. À une période de ma vie, les drogues avaient l'air d'être la meilleure idée de la journée, quand j'étais à la fac notamment, mais j'ai un peu laissé tomber. Je me rappelle la première fois où j'ai vraiment été très défoncé, c'était le week-end d'intégration de ma fac. Il y avait ce couple, ils étaient tous les deux très très beaux. On est devenu amis, mais j'étais toujours la 5ème roue du carrosse avec eux. Ils m'ont fait prendre des champignons et écouter Boards of Canada, c'était d'ailleurs la première fois que j'écoutais le groupe. J'ai trippé tellement fort. Je les regardais et je me disais « qu'est ce qu'ils sont beaux tous les deux ». Mais j'ai aussi eu pas mal de mauvaises expériences avec la drogue.

Tu te dis parfois que ta musique peut paraître un peu cérébrale ou tu fais juste les choses de manière naturelle ?

Ma mère m'a dit un truc cool récemment : « d'habitude je dois imaginer un film dans ma tête quand j'écoute tes albums mais cette fois pour la première fois je pouvais juste écouter la musique et en profiter ». Ma mère souligne donc que c'est mon premier véritable album [

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Rires

]. Cet album a été conçu sans arrière-pensée, pas la peine de trop y réfléchir. Je veux juste que les gens l'écoutent et apprécient ce qu'ils entendent.

Quelle est ta relation avec la pop music ? Un de tes projets précédents, Games, sonnait comme un véritable tribute à la musique mainstream des années 80.

J'adore la pop. Quand j'enregistrais mon album, ma femme et moi on regardait Vevo en permanence, on est devenu complètement accros à ces vidéos. Je suis fasciné par la capacité des producteurs pop à utiliser certains sons et gimmicks pour manipuler nos cerveaux avec des choses super catchy. La pop c'est toujours une formule. Parfois c'est la même qui stagne et ça me déprime mais souvent elle change et ça me fascine.

Pour pas mal de gens, en France notamment, tes disques renouent avec l'époque où Warp était un label d'avant-garde. Il représente quelque chose d'important pour toi, tu as grandi avec ses sorties ?

À l'université, oui.

« Windowlicker »

a changé ma vie, pour moi c'est le meilleur morceau qui a jamais été écrit, tout y est parfait. Aujourd'hui ça a tellement bien vieilli. Et c'est un morceau pop. Aphex Twin n'est pas une icône pour moi. J'aime beaucoup aussi Autechre pour qui j'ai une grande tendresse je ne sais pas pourquoi [

Rires

].

Tu connais Levon Vincent ?

Non, qui c'est ?

Un producteur surnommé par Pitchfork le « Ian McKaye de la techno » qui a dit récemment qu'il trouvait la techno super ennuyeuse. Je ne mettrai pas ta musique dans cette catégorie mais je pense que tu y puises ton inspiration. Tu en penses quoi ?

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Je n'écoute pas ce qui se fait en techno actuellement, justement parce qu'elle m'ennuie [

Rires

]. Je la trouve beaucoup trop spécifique. Je n'aime pas écouter une musique qui me donne l'obligation de faire le choix d'un certain mode de vie. La techno est une communauté trop spécifique pour moi. Je n'ai pas envie de devoir respecter certains codes ou certaines coutumes…

Dans ce nouveau disque, il y a une grosse influence metal, non ?

Oui carrément. Je suis parti en tournée avec Nine Inch Nails et quand je conduisais entre chaque ville j'écoutais seulement les radios qui passaient du metal. Je suis tombé à fond dans Fear Factory. Et puis j'ai toujours adoré le sludge, les sons doom. Je suis un grand fan de Sleep par exemple. Les premiers OPN sonnaient beaucoup plus heavy d'ailleurs, ce n'est pas quelque chose de si nouveau.

Dernière question, comment tu vois le futur de l'humanité ?

Tout le monde se déplacera sur ces nouveaux Segways à piles sans poignées [

visiblement ça s'appelle un twistboard

]. Les gens le font déjà, c'est dingue. On pensait que le futur serait rempli de voitures volantes et en fait non ce sont ces trucs débiles sur lesquels on se déplace. Je pense surtout que dans le futur tout sera beaucoup beaucoup plus haut. Les immeubles pourront atteindre des milliers d'étages, comme dans les bouquins de JG Ballard.

Garden Of Delete

sort aujourd'hui même sur Warp.

Adrien Durand est aujourd'hui même sur Twitter.