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Music

On est allés faire du ski avec Masta Killa

Le membre le plus secret du Wu-Tang Clan est aussi le plus sympa.

Photos - Julie Benoist

Le week-end dernier avait lieu le B&E Invitational aux Arcs, dans les Alpes. Vous ne savez pas ce que c'est ? Pas de bile, j'étais dans le même cas que vous il y a une semaine. Le B&E est un contest de ski freestyle organisé par les deux nouveaux cadors de la discipline : le Canadien Phil Casabon (aka B-Dog) et le Suédois Henrik Harlaut (aka E-Dollo). Les mecs sont tellement sympas que l'orga leur avait construit le plus gros skatepark des neiges jamais fait et laissé carte blanche pour inviter leur artiste préféré. Vu que ce sont certainement les deux plus grands fans du Wu-Tang Clan au monde, ils ont évidemment choisi Masta Killa. Mais pourquoi lui, précisément ?

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Phil Casabon m'a répondu direct, avec l'accent : « Masta c'est la personne du Wu avec le plus de substance, le plus d'âme, ses textes sont posés, réfléchis, quand il parle on dirait que tout devient silencieux, même les beats. C'est un de mes membres préférés. On a eu la chance de connecter avec lui, via la compagnie de casques Bern [qui a sorti

un casque à l'effigie du groupe

], puis avec Henrik, on l'a vu à Denver une première fois, il était chaud pour venir à l'évènement alors on était super contents. »

N'allez pas croire que les deux animateurs du B&E Show sont des rigolos. Harlaut, couvert de médailles, a même participé aux J.O. De Sochi l'année dernière. Sa page Wikipédia est presque aussi grosse que celle de Masta Killa, tu vas faire quoi ? Et son gimmick préféré, à chaque victoire, ou tout simplement à chaque fois qu'il est content (c'est à dire tout le temps), est de reproduire le W du Wu avec ses deux mains. Après sa sixième place en slopestyle à Sotchi, il a agrémenté son geste d'un « Wu-Tang Is For The Children ! » balancé face caméra, la célèbre phrase d'Ol' Dirty Bastard. Légende. C'est dans cette bonne ambiance généralisée et au milieu de la plus grosse concentration de baggies et de hoodies XXL au m2 vue depuis 1999 que avons déambulé.

Nos deux champions, Henrik Harlaut & Phil Casabon : Tout pour le Wu.

Le concert de Masta Killa avait lieu à 20h, juste avant le best trick contest, clou de la journée et autant dire qu'à 1800 mètres, une fois le soleil couché, ça twerke plus trop. Le public était pourtant à fond et compact, balançant plein de W en l'air avec ses mains, mélangeant weed et energy drink, pendant que Masta Killa enchaînait à vitesse grand W les tubes du Wu-Tang, de « C.R.E.A.M. » à « Ain't Nuttin Ta Fuck Wit » en passant par « Reunited ». Moment légèrement glaçant lorsque des danseuses chaussées d'après-ski blancs sont montés sur scène pour se dandiner au son de beats indansables cuvée Staten Island. 1mn30 plus tard, le daron dégageait les « Masta Killettes » et gueulait à l'ingé-son de foutre son micro plus haut, tout en camo.

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Quelques heures plus tôt, on a discuté avec le rappeur, de son initiation dans le Clan, de son engagement végétarien et de ses gamins, entre deux blagues et trois boules de neige.

Noisey : Avant de rejoindre le Wu-Tang, tu ne rappais pas du tout.
Masta Killa : J'ai toujours été un fan de hip-hop, hein. J'ai aimé ça dès la première fois que j'ai entendu un mec faire « jiggy-jiggy-jiggy ». Je suis tombé dedans dès le début. On faisait des freestyles avec nos potes, sans jamais vraiment se prendre au sérieux. Jusqu'à ce qu'un jour, mon frère GZA me sorte « hey, on est en train de monter ce truc qui s'appelle le Wu-Tang »… mais j'étais loin de matérialiser tout ça. Quand il a ramené la cassette à la maison et qu'il m'a fait écouter le machin, là, je suis devenu sérieux niveau crayon. Et je me suis mis à écrire pour de vrai.

Comment s'est passée ton initiation dans le Clan ? On peut s'imaginer plein de choses, style RZA vous faisant tous passer des tests, un par un, dans une pièce sombre…
[Rires] En fait, quand RZA a balancé le beat de « Da Mystery of Chessboxin », un soir dans ce studio, seuls quelques uns d'entre nous ont rappé dessus. Et à la fin, ils ont décidé de garder mes rimes. C'est comme ça que je suis devenu le dernier membre à rejoindre le clan. Une bénédiction !

Il y avait qui d'autre avec toi dans ce studio ?
Oh, d'autres rappeurs que tu connais sûrement, comme Killah Priest, et d'autres MC's. Mais j'imagine que sur ce morceau particulier, les rimes que j'ai proposées collaient parfaitement, et me voici aujourd'hui devant toi !

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Tu avais déjà choisi ton nom avant cette session ?
Mon nom m'a été donné.

Qui te l'a donné ?
C'était un choix collégial, entre RZA, GZA et les autres membres du Clan, tu vois. Tout le monde avait à peu près un nom qui ressemblait à son style, un nom qui provenait des films de kung-fu qu'on matait. Personne d'autre dans le clan n'avait le crâne chauve, à part moi. Si tu regardes le film des Shaw Brothers, The Master Killer [The 36th Chamber of Shaolin], Gordon Liu a le crâne rasé. Mon style s'apparentait à celui de Gordon Liu, il n'était pas originaire de Shaolin et s'était installé à Shaolin pour étudier les techniques de simulation de combat [le shadowboxing]. Comme lui, je n'étais pas exactement de Shaolin, je venais de Brooklyn, et je suis allé à Shaolin [Staten Island dans le monde réel] pour y étudier leurs rimes tranchantes comme l'épée. Voilà.

Tu as eu d'autres blazes aussi, comme Noodles.
Ouais, ahah. C'était à l'époque de Only Built For Cuban Linx de Raekwon, il est arrivé avec l'album et on a tous dû choper un nom qui collait avec l'ambiance, type mafia. C'était le 36th Chambers de Raekwon alors on s'est plié à la règle et une fois encore, on m'a octroyé un nom.

Et Jamel Irief ?
Ca c'est un nom que je me suis donné tout seul !

Ah, enfin !
[Rires]

Ce qui est marrant c'est que tu es le membre le plus discret du Wu-Tang Clan, tu donnes rarement d'interviews, etc. Et tu as pourtant le nom le plus agressif. C'est dur d'assumer ce nom maintenant que tu as 45 ans ?
En fait, il décrie le style que je perfectionne depuis toujours, tel un maître qui aiguise son art. Quand tu dis « wow, ce mec a tout tué », ça veut dire que le mec n'a fait que perfectionner son art, tu me suis ? Donc un « master killer » est un mec qui lutte pour perfectionner sa technique. C'est vrai, je suis le membre du Wu-Tang qui donne le moins d'interviews. Mais si tu entres dans une pièce remplie de superhéros, en temps normal, tout le monde se dirigera vers Superman, Iron Man, Captain America, Spider Man… tu me suis ? Et moi, je suis un Black Panther ! [Rires]

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Ahah.
Donc les gens ont leurs favoris, comme chez Marvel, ils ont leurs Wolverine. Le plus important pour moi c'était de gagner. Quand on a débarqué, en tant qu'équipe, on gagnait. Il n'y avait rien de plus important que ça. Si tu entres dans cette pièce, que tu interviewes Captain America, Spider Man et Superman, et que tu es satisfait, je suis satisfait aussi ! Mais si tu veux me parler, pas de problème, je suis ici devant toi !

No Said Date, ton premier album solo, est sorti il y a 10 ans maintenant. Soit 10 ans après la plupart de ceux des autres membres du Wu-Tang. Pourquoi ça a pris autant de temps ?
J'étudiais encore, la musique. « Da Mystery of Chessboxin » a été mon premier couplet jamais sorti. Mes autres frères étaient déjà prêts à l'époque, ils rappaient depuis l'âge de 10-12 ans, ils écrivaient. Quand 36th Chambers est sorti, ils étaient tous opérationnels. Et on était 9 en tout ! Method a sorti son album, Ol'Dirty a sorti son album, Rae, Ghost, GZA… J'avais encore du boulot ! J'avais toujours à faire, j'apprenais, je me perfectionnais. Je n'aurais pas été capable de sortir un projet solo plus tôt. J'ai été béni par la patience, j'ai pris le temps de tout réunir pour le sortir.

Ton dernier album solo s'appelait Selling My Soul. Tout est fini alors ?
[Rires] Non non non. Pourquoi ce titre ? Parce que tu donnes beaucoup de ta personne quand tu choisis de t'exprimer, je vends un peu de mon âme à chaque disque, et c'est normal parce que je vends de la musique. Les gens voient le fait de « vendre son âme » comme quelque chose de mauvais, mais non, c'est simplement une part de toi-même ! Tout le monde se vend. Mon prochain album arrive, il s'appelle Loyalty is Royalty et il est presque terminé.

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Tu as déjà prévu une date de sortie ?
Non, non, c'est « No Said Date », comme toujours !

J'ai vu que tu étais impliqué dans l'association Peta. Dis m'en plus.
Oui, je suis de tout coeur avec eux. Je travaille aussi sur un autre projet, qui va s'appeler Parental Advisory, je m'occupe de jeunes talents qui sortent de Staten Island, des nouveaux kids de Brooklyn, de l'est de New York, etc.

Tu aimerais éduquer les gens du hip-hop pour qu'ils respectent plus les animaux ?
Tu sais, toutes les formes de vie devraient être respectées. Une vie est une vie, tu me suis ? Les gens se servent des animaux, souvent de la mauvais façon… On devrait toujours traiter ces vies correctement, surtout quand c'est ton animal de compagnie ou autre.

Ouais. Depuis plus de 10 ans, le rap de NY est sur le déclin. Tu penses que c'est en partie parce que les médias ne s'y intéressent plus ?
Je pense qu'avant, le hip-hop était rare, c'était encore une chose rare quand on a commencé. Depuis, il a tellement évolué qu'il est devenu global, partout dans le monde il y a quelqu'un qui en fait. Donc logique, ce n'est plus aussi rare qu'avant. Ce qui rendait la culture si intéressante à l'époque c'était justement ce côté rare, cette musique unique, cette façon unique de s'habiller, de danser. Aujourd'hui, le hip-hop a pris tellement de formes différentes, surtout à l'âge de l'ordinateur, il est désormais partout, partout. Aujourd'hui à New York, quand tu entends un mec au micro, à moins qu'il ait un truc vraiment spécial, ou qu'il dise des trucs que personne d'autre ne dit, 1000 autres mecs font la même chose que lui. A une époque, on était très peu à rapper, et puis tout le monde s'est mis à le faire.

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Photo : B&E Est-ce que t'écoutes la nouvelle génération de rappeurs, de Chicago ou d'Atlanta ?
Oh, pour la plupart, je tombe dessus quand mes enfants les écoutent ! J'aime bien ce que fait Drake. Toute l'écurie Young Money avec Lil' Wayne, Nicki Minaj, j'aime ce qu'ils font. Il y a vraiment des tas de jeunes qui ont du talent aujourd'hui. C'est une nouvelle ère. Je respecte le talent. Je les respecte de faire ce qu'on a fait. On dirait qu'il y beaucoup plus de va-et-vient aujourd'hui… Avant, la musique m'intriguait tellement que je pouvais écouter un disque non-stop pendant des jours entiers.. Maintenant, j'écoute et j'oublie. Je trouve qu'il y a moins de substance qu'auparavant. C'est le temps qui veut ça…

Quel âge ont tes enfants ?
Oh mec… [il mîme un accordéon avec ses mains]

Ok ! Ils veulent faire du rap ?
Un de mes fils a une carrière prometteuse qui l'attend, son nom c'est Young Shamel Irief. Il fait ça depuis qu'il a 3 ans. Je vais tout faire pour lancer au mieux sa carrière.

Aujourd'hui tu es là pour jouer à un contest de ski freestyle. Est-ce que tu vois une connexion entre l'univers de la glisse et celui du rap, excepté qu'ils se sappaient tous comme vous dans les années 90 ?
Mmm, je ne vois pas vraiment de connexion, j'ai toujours maté du snowboard, du ski, et des trucs comme ça à la télé, mais je n'aurais jamais imaginé qu'ils écoutaient du hip-hop ! Je n'avais pas la moindre idée de ce qu'ils pouvaient écouter en faisant toutes ces figures aérodynamiques et ces sauts tarés. Et quand j'ai appris que certains écoutaient ma musique, je me suis dit « wow, il faut que je rencontre ces gars. » Et j'ai eu la chance, grace à mes potes Henrik [Harlaut] et Phil [Casabon], de venir ici. Ils font la même chose que nous en fait, mais sur des skis, de l'expression libre.

Pour finir, que signifie ce signe que tu fais souvent sur les photos, le doigt devant la bouche ?
[Rires] Tu veux dire number one ?

Ah ça veut dire « number one », je croyais que c'était pour réclamer le silence.
Oui, ça veut aussi dire « chuuuut », parce que je préfère laisser mon travail parler à ma place. Si j'ai des interviews à faire, ok, ça ne me dérange pas de parler, mais souvent, les gens qui parlent le plus sont ceux qui ont le moins de talent. Je suis arrivé dans cette industrie parce que j'adorais la musique, et je veux qu'on me juge uniquement sur ma musique.

C'est noté. Merci Masta.
Cool.

Rod Glacial aurait bien aimé monter sur la motoneige. Il est sur Twitter.