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Music

Bon, on en fait quoi d'Odezenne ?

Encore des Bordelais. Encore un groupe qui s'auto-produit. Encore des mecs dont tout le monde parle. Mais ils ont quoi à dire, au juste ?

Photo - Mathieu Nieto Par le passé, lorsqu’on évoquait Odezenne, il était généralement question d’injustice. Beaucoup regrettaient alors que le trio Bordelais, pourtant à l’origine de titres aussi hallucinés (« Meredith ») que fantasques (« Tu Pu Du Cul »), ne connaisse pas le succès qu’il mérite. Aujourd’hui, tout a changé. Alix, Jaco et Mattia sont en couverture de Tsugi, des Inrocks et passent dans l’Album de la semaine de Canal. Signe d’une concession faite à l’industrie ? D’un retournement de veste calculé et opportuniste ? À l’écoute de Dolziger Str. 2, leur troisième album, une autre certitude s’impose : celle de deux artificiers du verbe capables de rendre séduisant l’ennui et d’un artisan du son aux idées larges pour qui la musique se conçoit sans codes, sans compromis et sans adhérer à un genre particulier. Rencontré durant presque une heure, Jaco ne renie rien. Et rappelle que si Dolziger Str. 2 est un disque plus pop (ou plus rock, électro, chanson ou ce que vous voulez) que les précédents, il reste finalement un album d’Odezenne.

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Noisey : Avec le single « Bouches à lèvres », on a l’impression qu’Odezenne change de dimension. Tu penses que c’est grâce à la qualité de la chanson, au clip ou la combinaison des deux ?

Jaco :

Si tu regardes bien, on change de dimension à chaque album. Ça ne veut pas dire que nous sommes différents de

Sans Chantilly

, mais simplement que nous avons pris une nouvelle forme. Étant donné que l’on ne sort pas des milliers de projets, nos albums paraissent différents les uns des autres parce qu’il s’est écoulé deux ou trois ans à chaque fois. C’est humain, après tout : notre façon de penser, de nous habiller, de nous amuser ou de nous exprimer change constamment. Fatalement, un album se nourrit de toutes ces transformations. Que tu regardes le clip de « Bouche à lèvres » ou que tu écoutes simplement la chanson, tu comprends rapidement qu’il y a une continuité entre tous nos travaux.

Le clip, justement, il est né comment ?

C’est une idée commune à Vladimir Mavounia Kouka, qui avait déjà réalisé le clip de « Dedans », et nous trois. Ça fait maintenant quatre ans que l’on se connaît et que l’on travaille ensemble. Forcément, on se comprend de mieux en mieux et de plus en plus rapidement. C’est comme quand tu fais l’amour à ta femme : tu le fais toujours mieux au bout d’un certain temps que les premiers soirs. Bon, on va encore me prendre pour un dégueulasse avec cette comparaison, mais c’est assez explicite

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[Rires]

.

Tu as conscience qu’il y a un gros buzz autour du clip depuis quelques semaines ? Vous deviez vous en douter entre vous, non ?
Du tout ! Que ce soit le morceau, qu’Alix a écrit un soir sur une instru de Mattia, ou le clip, tout s’est fait très rapidement. Vladimir venait d’être papa et il a tout de suite saisi le propos du texte, même s’il y a eu de longs allers-retours entre lui et Alix pour en comprendre toute la philosophie. La première lecture de ce titre, c’est le cunnilingus. La seconde, c’est le cunnilingus pour faire jouir la femme et ne pas avoir d’enfants. Autour de ces deux thématiques, tu peux interpréter plein de choses, c’est une métaphore assez large. Vladimir, lui, ça l’a vachement interpellé sur les doutes inhérents à la paternité, et ses idées nous ont vite plu. Étant donné qu’il a l’habitude de travailler pour des sociétés types Toyota, ça l’éclatait de pouvoir être 100 % libre dans sa démarche. Et ça lui a permis d’aller vachement loin.

Ce qui est marrant avec ce titre, c’est qu’il s’inscrit dans la tradition de certains de vos morceaux, crus et goguenards mais toujours touchants, comme « Le Plus Beau Cul Du Monde », « Je Veux Te Baiser », « Méli Mélo », etc. C’est un équilibre que vous souhaitez atteindre ?
Les gens pensent que nous sommes crus, moi je trouve nos textes tout simplement francs. On appelle un demi-chat un demi-chat, c’est tout. D’autant qu’ils contiennent toujours plusieurs sens de lecture. En gros, c’est un mix entre des ambiances métaphoriques, voire poétiques, et des paroles plus directes. Quant à savoir lequel de ces deux aspects cache l’autre, je ne saurais pas répondre. Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas cru. Si on l’était, on dirait des trucs du genre : « elle est trop bonne, on va lui casser la chatte ». Avec Alix, ce n’est pas du tout le propos. On essaye simplement de trouver le bon mot, celui qui ne viendra pas surcharger le décor de la chanson. Peut-être qu’on se trompe, mais c’est notre démarche. On n’intellectualise pas, ça vient comme ça. Concernant votre nouveau disque, le titre, Dolziger Str. 2, fait référence au nom de la rue où vous viviez à Berlin. Tu peux revenir sur ce qu’il s’est passé pour vous là-bas ?
Après Ovni, on a essayé de relancer la machine en s’enfermant dans une maison et en se coupant du monde. Mais ça ne marchait pas. Puisqu’on avait un peu d’argent de côté, on s’est dit qu’il fallait partir. On a longtemps hésité entre Prague et Berlin parce que ce sont deux villes où personne ne parle français, où il y a une histoire très forte et où la vie est moins chère qu’en France. On a finalement opté pour Berlin parce que ça nous tentait depuis quelques temps. On avait besoin de se couper du monde, de souffler un peu En tant qu’indépendants, il y a toujours des tas de trucs à faire, que ce soit répondre au mail, préparer la tournée ou gérer la promo. Pour pouvoir se consacrer uniquement à la composition, on est parti sept mois sans internet et sans nos meufs. On avait besoin de s’isoler. La pochette a également une histoire particulière, non ?
C’est Édouard Nardon qui en a eu l’idée. Après lui avoir expliqué que l’on avait nommé notre album en référence au lieu où on vivait et lui avoir exprimé notre vision selon laquelle un album, une fois publié, ne nous appartient plus, il a eu cette idée de l’effraction. En gros, il a dit : « OK, ce disque a été fait au Dolziger Str. 2, on va donc faire en sorte que les gens soient obligés de cambrioler votre album pour rentrer dans cet endroit et y trouver ce que vous y avez laissé. » C’est pour ça que notre pochette est un losange bleu, c’est le sigle que les cambrioleurs dessinent à la craie sur les maisons inoccupées avant d’y revenir quelques heures plus tard pour les cambrioler. À l’intérieur des 5 000 disques collectors, on trouve un CD numéroté, un drapeau, un fanzine et un bout de la porte du studio que l’on a éclaté en mille morceaux. Et tout ça est mis sous vide, ce qui fait que tu es obligé de commettre une effraction pour écouter notre disque. C’est une façon pour nous de savoir qui est prêt à vraiment nous écouter [Rires]. C’est le fait d’avoir vécu quelques mois dans cette ville qui donne ses sonorités électroniques à l’album ?
Pour beaucoup, Berlin est le fantasme de la ville de la house, de la techno et de l’art moderne. Nous, on était dans un gros complexe servant aujourd’hui de local de répétitions à des dizaines de musiciens. Sauf qu’autour de nous, il n’y avait que des groupes de rock progressif des années 90, de hard-rock, de jungle ou de funk. Quand tu es entouré par de tels groupes, tu ne peux pas dire que tu es plongé dans le « son de Berlin ». D’ailleurs, je ne trouve pas que Dolziger Str. 2 soit très lié à la minimal music de la ville. C’est davantage le côté froid qui l’influence, ce qui est assez logique quand il fait -18 dehors. Notre disque, c’est donc plus le Berlin vu de la fenêtre avec un Currywurst dans la main et les yeux rivés vers les oiseaux. [Suite plus bas]

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Tu cites la présence de groupes de rock progressif dans vos locaux de répétition. C’est marrant parce qu’on sent des connexions avec le prog-rock des années 70 sur « Cabriolet » ou « Souffle Le Vent ». On pense parfois à Pink Floyd et à la Kosmische Musik.
« Cabriolet », les gens nous disent parfois que ça ressemble à Gainsbourg ou à Bowie, mais je suis carrément de ton avis. Avec Mattia et Alix, même s’il écoute un peu moins, on est des gros fans de Pink Floyd. Mais on n’a pas cherché à copier, simplement à faire ce qu’on voulait. S’il fallait incruster des guitares, des synthés ou autre, on le faisait. À dire vrai, ça fait même plusieurs années que l’on a ces envies-là, mais ce n’est pas si facile à mettre en place. Ça demande un certain temps de maturation, il faut savoir digérer ses influences. Par contre, « Souffle Le Vent », ça me fait plus penser aux bandes originales italiennes des années 80 qu’au rock progressif. D’ailleurs, je trouve qu’il y a beaucoup de thèmes italiens dans ce disque.

Dans quel sens ?
Tu sais, Mattia est né à Milan et ma mère est Sarde. Les racines ressortent, même inconsciemment. Et je trouve que la musique populaire italienne des années 50, 60, 70 et 80 trouve un certain écho ici.

Avec tout ce mélange, comment souhaiterais-tu qu’Odezenne soit défini ?

Honnêtement, les étiquettes ne servent plus à grand-chose aujourd’hui. C’était utile dans les années 70, mais personne en 2015 ne va se dire :

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« tiens, je vais écouter du rock »

ou

« ah, j’ai envie de mettre un peu de hip-hop avant de passer à l’électro »

. On écoute tel ou tel artiste, point barre. C’est pareil nous concernant. Quand on nous écoute, on écoute Odezenne. Non pas parce qu’on a n’a pas d’influences ou autre, mais parce que même nous on ne sait pas ce qu’on fait. Ça sort comme ça. On fait de la musique, sans chercher à définir les choses.

Je n’aime pas trop ce mot, mais on a l’impression que Dolziger Str. 2 est très conceptuel, qu’il y a continuité, du moins instrumentale, entre tous les morceaux.

Si on avait mis les morceaux dans un autre sens, ça aurait été pareil. Avant de mastériser le disque, on avait seize morceaux, puis onze le dernier jour. Au final, on en a retenu dix et ces dix titres ont été faits dans un laps de temps et un endroit précis, On ne pouvait pas mettre les autres parce qu’on sentait qu’ils n’avaient pas été réalisés dans le même état d’esprit et dans les mêmes conditions. Du coup, les morceaux retenus ont tous un air de famille parce qu’ils viennent du même moule. Ce qui est une bonne chose : ça prouve que la tracklist a été bien faite. Et pourtant, il n’y a que « Cabriolet » et « Souffle Le Vent » qui sont reliés par une même note. Le reste est complètement interchangeable.

D’accord, mais l’album s’ouvre avec « Un Corps à Prendre » et se conclut par « On Naît On Vit On Meurt ». Ça fait plutôt une boucle, non ?
C’est vrai qu’il commence par une aspiration et se conclut par une sorte de philosophie implacable. Ça, c’est complètement voulu de notre part. Mais on en a pris conscience uniquement après les avoir composés. On ne s’est pas dit qu’on allait écrire deux morceaux dans cette optique.

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Tu ne trouves pas que ça conclut l’album sur une note assez grave, presque pessimiste ?
Au contraire, c’est assez optimiste. Pour la petite histoire, le titre vient d’une nouvelle d’Alix qu’il a transformé en poème par la suite et nommé ainsi en référence à une phrase de son grand-père. De mon côté, je me suis réapproprié ce texte le jour où l’un de nos meilleurs potes, avec qui on a vécu pendant un an, a fait une crise cardiaque dans une piscine et est resté plus de deux minutes sous l’eau. Fort heureusement, il est revenu à la vie trois jours après et ça m’a donné envie d’écrire ce texte. Même si c’est peut-être dit de façon mélancolique, c’est donc un morceau qui te dit avec franchise de profiter de la vie puisque, de toute façon, on naît, on vit et on meurt. C’est une façon pour nous de dire que l’on veut rester sur terre, que la vie ici est cool que l’on s’y sent bien. On sent également une vraie évolution musicale. Vous rappez moins qu’avant, les sons sont plus posés, les instrumentations plus mélodieuses…
Sur ce disque, on a voulu faire des chansons plutôt que des morceaux de rap. On n’a plus de sample, c’est uniquement de la création musicale. Côté texte, il a forcément fallu s’adapter. D’autant que l’on a grandi et que l’on essaye de dire beaucoup moins de conneries. On a voulu aérer, épurer et amener l’auditeur droit au but, ne pas le perdre dans un texte avec deux mille mots répartis en trois ou quatre couplets. L’idée, c’était de faire simple, d’être plus adulte dans notre approche des mots. En fin de compte, on ne dit pas moins de choses. J’ai même l’impression d’être plus intime aujourd’hui, d’avoir enlevé les artifices. Encore une fois, une femme va préférer que tu lui dises « t’es belle » avec sincérité qu’un truc du genre : « même les étoiles ne brillent pas autant que toi ». Vous imposez-vous encore des défis entre vous, comme le fait de placer tel ou tel mot dans un couplet ?
On a moins de besoin de se lancer des défis pour pouvoir le faire. Le défi c’est une contrainte qui te pousse à faire quelque chose, là on essaye vraiment de partir où on peut et s’il y a des contraintes en chemin, alors on les assume et on tente de les surmonter nous-mêmes.

Évidemment, j’imagine que ce n’est pas volontaire, mais l’album prend complètement la tangente de la culture de la punchline inhérente au rap actuel. Tu en as conscience ?
Alors là, pas du tout. Tu sais, on est vraiment loin de tout ça. Alix écrit dans son coin, pareil pour moi et ensuite on discute et retravaille tout à deux. Ce qu’il se passe autour de nous, dans le rap ou ailleurs, ne nous intéresse pas vraiment. Tout ce que je sais, c’est qu’il faut faire attention avec les punchlines. Il ne faut pas en faire trop. Après tout, un beau sapin de Noël, ce n’est pas un sapin surchargé de décoration. Mais bon, c’est notre idée, ce n’est pas forcément la vérité. Toujours d’un point de vue textuel, tu regrettes le fait que l’on ne parle presque jamais de vos chansons plus engagées, telles « Existe Petit Bout de Rien », « Chimpanzé » ou « Novembre » ?
Ça va, je trouve qu’on nous en parle assez. C’est plutôt nous, à vrai dire, qui ne faisons plus trop l’exercice depuis quelques temps. Mais bon, ça n’enlève rien au fait qu’il y a toujours une part de politique dans nos textes. Et la politique ce n’est pas forcément être de droite ou de gauche, c’est surtout autre chose. Sur ce plan, on fait très attention à ce qu’on dit. Tout simplement parce que le fait d’être engagé quand tu commences à avoir un auditoire, c’est assez compliqué. C’est comme si tu donnais une voie à suivre alors que tu peux te tromper et dire de grosses conneries bien dégueulasses. Je pense qu’il y a d’autres façons de combattre. Prôner le vivre ensemble, c’est déjà pas mal. Si tu écoutes bien nos paroles, tu ne peux pas remettre en cause une seconde cette intention.

Est-ce que cet album ne représente-t-il pas tout simplement l’envie de toucher d’autres publics ?
On ne s’en soucie pas. Pendant un moment, on s’est même demandé si on allait réaliser un nouveau disque. Tout ce qu’on entreprend, on ne le fait pas en pensant au public. Ce qui fait que les gens nous apprécient, c’est notre identité. Si on commence à faire ce qu’ils aiment, ils vont se dire qu’on se fout de leur gueule. Nous, on essaye simplement d’avancer. Si de plus en plus de fans adhèrent, tant mieux. C’est un bon problème après tout, même s’il faut faire encore plus attention à ne pas être pris en otage. Malgré tout, vous ne pouvez pas nier que votre image a beaucoup changé. À l’époque de Sans Chantilly, il n’y avait quasiment aucune photo de vous. Aujourd’hui, vous êtes en couverture de plusieurs magazines…
Tout ça se fait le plus naturellement du monde. Quand on nous invite et que l’on se sent à notre place, on y va. Par exemple, l’Album de la semaine de Canal+, c’est quelque chose de logique. C’est juste jouer quelques morceaux sur scène, après tout. Et puis on est toujours indépendant. Il y a quelques jours, on s’est occupé nous-mêmes d’emballer à la main les 5 000 CD’s de l’édition limitée de l’album. Ça nous a pris 7 jours, ça a été long, mais ça fait partie du jeu. On n’est pas des rock stars et on ne fait toujours pas partie du business, on n’est juste pas contre le fait de faire de la promotion. Odezenne sera en concert ce soir à Paris, à La Cigale, samedi à Orléans, à l'Astrolabe et mercredi prochain à Rouen, au 106. Vous pouvez pré-commander Dolziger Str. 2 sur leur Bandcamp.