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No Shame a imposé la communauté transgenre dans les battles de rap

En encaissant les coups et en refusant d'être traitée comme un cas à part, elle a fait tomber les préjugés sur les transsexuels dans le milieu des battles.

Les battles de rap ne connaissent aucune limite. Elles vont jusqu’à ruiner des mariages en révélant des coucheries au grand jour et peuvent détruire à jamais la réputation d’un rappeur, accusé d’avoir tué un de ses propres potes. Aucune insulte n’est épargnée et il suffit souvent de jeter un simple doute sur le gang ou l’orientation sexuelle de son adversaire pour lui faire perdre la battle. C’est pour ça que le rappeur transgenre No Shame est extraordinaire. Dans une scène où la détention d’informations compromettantes au sujet de son adversaire est un atout précieux, elle affiche son identité queer, d’une manière aussi provocante qu'inédite.

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Les principales ligues de battles en Angleterre et en Amérique du Nord font régulièrement salle comble, attirant des milliers de fans sur place et plusieurs millions de spectateurs en ligne. Même si la scène hip-hop queer a reçu beaucoup d’attention ces derniers temps, la représentation de la communauté LGBT dans les battles de rap reste plus que marginale - si l'on excepte la ligue 100% féminine Queen Of The Ring, qui compte dans ses rangs de talentueuses MC lesbiennes et bisexuelles. Mais No Shame est le seul MC transgenre du monde.

No Shame a percé grâce à un battle qui l’opposait à cet abruti de Michael White, lui aussi originaire du Texas. Mais c’est dans son récent clash avec Joe Cutter qu’elle a le mieux illustré son style agressif et subversif. Je suis allé à la rencontre de No Shame pour lui demander pourquoi elle continuait à monter sur ce ring, où elle fait souvent office de défouloir pour violences transphobes.

Noisey : Comment tu t’es retrouvée à participer à des battles ?
No Shame : J’ai commencé à participer à des battles quand j’étais encore un homme, à l’époque c’était de l’improvisation - un style qui n’est plus très à la mode. Après avoir effectué ma transition, j’ai décidé d’arrêter. Mais Headkrack [DJ dans une radio de Dallas] m’a dit que je gâchais mon talent et que c’était l’occasion d’attirer l’attention des autres sur ma situation. Il m’a fait comprendre que je devais le faire pour ma communauté.

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Quand on parle de battles aux gens, ils pensent immédiatement à 8 Mile et l’improvisation. Comment décrirais-tu les battles de rap actuelles ?
C’est plus complexe, plus intelligent et mieux ficelé. J’ai le temps de me préparer, d’étudier mon adversaire, de trouver ses faiblesses, et il peut faire pareil pour moi.

Les gens de la communauté LGBT doivent trouver ça bizarre que tu permettes à ton identité trans d'être attaquée comme une « faiblesse » ?
C’est la culture hip-hop qui veut ça. Si je veux faire du rap, je dois être prête à encaisser les coups. Je sais que les gens ne sont pas très instruits. Ça a été une vraie thérapie pour moi lors de ma transition - je voulais être acceptée par les autres pour ce que j’étais et je devais accepter leurs opinions, même les plus dégueulasses. Même certains des types les plus conservateurs et les plus à droite ont fini par l’accepter.

Donc, rien n'est épargné ?
Si ta mère est handicapée, crois moi que ce sera récupéré dans la battle. Moi, si je leur dis « je suis trans, ne m’attaquez pas là-dessus, ce serait blessant pour ma communauté », c’est comme si je leur demandais un traitement de faveur. Et c’est bien la dernière chose dont j’ai envie.

La seule exception, c’était avec Kidd K, à mes débuts pour AHAT. Si j’avais pu, je l’aurais tabassé, parce qu’il eu des propos haineux avant même que la battle ne commence. J’aurais pu le défoncer. À la place je lui ai dit : « vas-y, mec, viens me chercher s’il te plaît, qu’un trans puisse enfin te botter le cul »

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Les rappeurs disent que les gens ont du mal à faire la distinction entre les battles et la réalité, et qu'ils se permettent du coup d'insulter les rappeurs dans la rue ou sur internet.
C’est totalement vrai. Je ne veux pas que la communauté LGBT soit en colère parce qu’on m’aura traité de sale trans’ ou même de pédé dans une battle. Joe Cutter y est allé très fort. Il a dit des trucs blessants. Mais après, je suis allée lui acheter un hot-dog chez Wienerschnitzel. C’est ce que j’aime dans les battles.

Quand j’étais gamin, je ne sais pas combien de fois le fait d'ête doué avec les mots m’a permis d’éviter la bagarre. Ça marche aussi comme ça les battles. Cutter est maintenant l’un de mes meilleurs amis dans le monde des battles. Il a eu des problèmes, et je lui ai dit que je pourrai lui trouver du boulot s’il s’installait à Dallas. C’est un type génial. Il ne pensait rien de tout ce qu’il a pu dire.

Tu penses que la communauté LGBT doit intégrer cette spécificité au cas où les battles deviennent plus mainstream ?
Les battles doivent s’adresser au bon public. La communauté LGBT est un petit public, mais de nombreux américains supportent nos droits, donc les rappeurs homophobes et transphobes perdront de fait le soutien d’une partie de la population. Avant, c'étaient les afro-américains qui avaient la main mise sur le cool, mais aujourd'hui, les tendances sont dictées par la communauté LGBT.

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Joe Cutter et No Shame

Et c'est quelque chose qu'on sent dans tes lyrics.
Je rappe sur le fait d’être trans, c’est mon truc. Si je rappe sur les flingues, on va me dire que j’y connais rien parce que je suis trans. Si je rappe sur ma vie, sur ma jeunesse dans les quartiers ouest de Phoenix, les gens n’y croiront pas. Ils ne peuvent pas m’imaginer à 13 ans, quand je tabassais des types pour montrer que j’étais un dur à cuire et pour que personne ne vienne me faire chier. Il ne fallait pas qu'ils découvrent mon secret.

Mais aujourd'hui, quand ton adversaire déverse des insultes transphobes dans une battle, tu peux lui rétorquer : « va te faire foutre, je suis trans ».
Oui, ça me soulage définitivement d’un poids. J'ai dissimulé cet aspect de ma personnalité pendant tellement longtemps et c'est vraiment bon de pouvoir le laisser s'exprimer aujourd'hui. Quand je deviens agressive en battle, je le suis autant qu'un autre rappeur. Je sais que, grâce à cette attitude, j'ai changé l'opinion de pas mal de monde sur ma communauté. Et j'en suis extrêmement heureuse.

Vous pouvez suivre No Shame sur Twitter.