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Music

Disco, cannibalisme et Mohamed Ali : un entretien avec Nicolas Winding Refn et Elle Fanning

Nous sommes allés passer un moment avec le réalisateur et la jeune actrice de « The Neon Demon » pour discuter de musique, de mode et des tordus qui zonent sur Instagram.

C'est aujourd'hui que sort en France The Neon Demon, le nouveau film du réalisateur danois Nicolas Winding Refn qui, pour la première fois, troque ses héros badass contre une héroïne (d'apparence) innocente interprétée par la jeune Elle Fanning. Précédé d'une diffusion remarquée à Cannes où certains ont crié au chef d’œuvre tandis que d'autres l'ont copieusement hué, le film, qui raconte le parcours d'une jeune fille désirant percer dans le monde du mannequinat, est surtout un prétexte pour Refn pour dérouler ses obsessions et s'éclater visuellement sur une B.O. signée Cliff Martinez (qui avait déjà collaboré sur Drive et Only God Forgives). On a rencontré le réalisateur et son actrice pour discuter justement de musique, de cannibalisme et de Mohamed Ali.

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Noisey : La musique a une importance capitale dans The Neon Demon, encore plus que dans tes autres films, certaines scènes pourraient carrément être des clips. Tu les bosses comment ?
Nicolas Winding Refn : Faire ce genre de scène m'empêche de prendre de la drogue. Ça amplifie mes sensations et mes émotions, mais sans les mauvais côtés de la drogue. La musique est essentielle dans mon processus créatif, de A à Z. La grande question pour moi c'est toujours : quelle va être la musique de ce film ? A certains moments on laissait la musique à fond pendant qu'on tournait des scènes de dialogues, juste pour aider le cast à se mettre dans l'ambiance, à comprendre des choses qui n'étaient peut-être pas encore assez claires jusque là. Ça a beaucoup dansé pendant ce tournage, l'ambiance était joyeuse.

Elle Fanning : Ce n'était pas exactement les sons que tu entends aujourd'hui sur la B.O., mais plutôt des morceaux bien choisis, qui avaient inspiré Nick au moment de l'écriture, etc. Certains morceaux étaient utilisés de manière un peu stratégique, parce qu'ils vont influencer ton jeu et aussi modifier la perception du spectateur. Sans compter les scènes sans dialogue où la musique t'aide à rester dans cette espèce de rêve éveillé, à garder ton attitude. Il y a quelque chose de viscéral dans la relation entre ton corps et la musique. Bizarrement ça t'aide aussi à te livrer à la caméra ; c'est très intime et c'est comme si tu dansais pour elle [Rires]. Quels sont tes rapports avec Cliff Martinez, comment vous vous accordez ensemble ?
N : Cliff est un très bon ami, il connaît ma femme et travaille également avec elle. Il nous a déjà vus en pyjama, tu vois ce que je veux dire… Tu te sens en sécurité quand tu bosses avec des gens que tu connais. Le côté créatif renforce notre relation ; tu peux avoir un côté intime avec les acteurs mais je l'ai aussi avec la musique, parce que c'est elle qui transmet les émotions dans ce film, principalement. Donc c'est important d'être en confiance avec le compositeur pour y arriver. Cliff est impliqué avant même qu'il y ait un script ! Je lui demande ce qu'il pense de telle idée, de telle ambiance, de telle direction pour un futur film…

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Vous écoutiez quoi pendant le tournage ?
N : Sur le plateau on jouait énormément de Giorgio Moroder, Blondie, New Order, « Homicide » de 999…

E : Homiciiiiiide ! [Rires] On l'écoutait tout le temps

N : En fait, j'avais fait une petite compile juste pour l'équipe, qu'ils écoutaient tout le temps pour s'imprégner de l'ambiance du film. Mais ce qui faisait l'unanimité c'était vraiment Moroder. Le disco des seventies quoi…

E : C'est aussi la musique qu'on entend pendant la scène du club. Autre parallèle avec la musique : comme certains rappeurs, tu as ce qu'on appelle un beef, avec Lars Von Trier. Vous êtes les Tupac et Biggie du cinéma danois ?
E : Ahahah !

N : Alors déjà je suis Tupac. Il peut être Biggie si ça le chante. J'ai beaucoup de respect pour Lars. Il est très intéressant, et assez unique. Il fait ce qu'il pense être bon. Parfois il peut être dur à vivre mais c'est parce qu'il reste fidèle à lui-même. Mais… [il réfléchit] je ne dirai rien de négatif. Pas de souci.
N : Mais bon… tu connais. [Sourire]

D'autres séquences du film peuvent rappeler des pubs pour des produits de luxe, tu en as réalisé d'ailleurs, ça t'a servi pour le film?
N : C'est toujours plaisant à tourner, parce que ça te force à donner une version exaltée de la réalité, une version super classe. D'une certaine façon, The Neon Demon est une pub pour lui-même, et donc pour la beauté. Les marques, et particulièrement les marques de luxe, ne veulent pas des pubs pour leurs produits, mais plutôt pour leur image, ce qu'elles représentent, leur symbole. L'art, pour moi, c'est pareil. Le problème ce n'est pas ce que tu fais, c'est ce que tu représentes. Une fois que tu représentes quelque chose, tu transcendes ta nature et tu deviens quelque chose de plus grand. Regarde la triste disparition de Mohamed Ali, ce n'était pas seulement un incroyable boxeur, c'était bien plus que ça : un orateur de génie, un symbole de la contre-culture… Il a influencé toute une génération parce qu'il représentait quelque chose. Du coup, est-ce que…
N : C'est une analogie qui marche avec Lars encore mieux que Tupac et Biggie d'ailleurs. Si c'était le fameux Rumble in the Jungle, je serais Ali et il serait Foreman. Georges Foreman, il était lent, il était gros, il n'arrivait plus à envoyer ses coups au bon endroit, ses belles années étaient derrière lui, et moi je piquais comme une abeille. Bim. [Elle Fanning est hilare]

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Elle Fanning dans The Neon Demon Certains critiques ont dit que The Neon Demon était presque une peinture sur grand écran, et sans vouloir te vexer, perso je me fous un peu de l'histoire, j'ai l'impression que toi aussi. Pourquoi ne pas carrément faire un film sans dialogue ?
N : C'est une question essentielle. Il faut considérer les films comme un média, ni plus ni moins. Un média qui est arrivé au dernier stade de son évolution et qui ne va plus trop bouger. Il y a 120 ans, des mecs de Lyon, pas super loin d'ici, ont inventé ce truc. Et c'était juste de la musique sur des images en mouvement. Les films muets sont l'essence même du cinéma, sa définition la plus pure. Le parlant a ajouté plein de choses, et la compétition avec la télévision a tout changé aussi. En parallèle, le fric est devenu omniprésent, au point que maintenant ce n'est plus un des composants de l'industrie, c'est le seul et unique, à la fois le point de départ et l'objectif d'arrivée. Côté ciné, on était arrivés au maximum, on aurait pu arrêter mais on a connu plusieurs évolutions, qui ont à nouveau changé la donne : la façon de raconter les histoires, sortir du schéma classique en trois actes, le rapport avec les critiques, la distribution… Et comme je viens du futur, j'ai su très tôt que nous serions plongés dans cet océan de progrès qui va encore et encore ajouter des possibilités, qui nous échappent aujourd'hui.

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La durée des films n'est plus un problème, il n'y a plus de thème tabou… Ce qui importe, c'est la créativité. On en revient à ce que tu représentes. N'importe qui peut créer, mais tout le monde n'est pas capable d'incarner quelque chose. La singularité est l'essence de la créativité. Il y a un public pour tout, c'est comme la musique : « bonne musique, mauvaise musique ? » Allez casse-toi ! Tout est faisable maintenant. Je fais évoluer mes films comme ça, je fais avant tout ce que j'aime voir. Les anciens, accrochés au classique, sont aveuglés, achevés par le modernisme. C'est-à-dire nous, qui représentons toutes ces nouvelles possibilités. Donc je dirais que je ne me fous pas de l'histoire, c'est tout l'inverse. Simplement, je m'y intéresse avec un prisme différent. Les gens que ça choque parlent en mode classique, alors que je parle du futur. Mic drop ! [Rires]

Est-ce que le monde des actrices est aussi cruel que celui des top models ?
E : Oh oui. Déjà parce que les actrices sont bizarrement obligées de jouer les mannequins ne serait-ce que pour la promo d'un film, avec les photocalls, etc. Il faut se faire voir. Ces deux mondes se mélangent souvent. Les mannequins, comme les actrices ,se reposent sur leur image mais dans le mannequinat, ça se résume uniquement à ton apparence, ce qui est encore plus angoissant. La plupart des filles de ce film font plus peur que Bronson…
N : Charlie Bronson, la version du film, c'est ma façon de représenter l'enfant qui est en moi, celui qui a parfois envie de tout envoyer valdinguer en hurlant genre [il pousse un cri et fait des gestes brusques]. Toutes ces pulsions. Il y a une partie de moi qui doit avoir un côté syndrome d'Asperger. Le truc c'est qu'être normal, ça n'a rien de génial, putain. Créer des films me sert aussi à échapper à la normalité, c'est une de mes motivations. Maintenant est-ce que les femmes de The Neon Demon sont plus vicieuses que mes autres persos… Je dirais que les femmes sont « plus » tout ce que tu veux. Tu ne veux pas les contrarier. Cette année, un autre film traitait du milieu de la mode, c'était Zoolander 2, où les mannequins sont transformés des débiles profonds. Dans votre film, les mannequins sont des créatures flippantes prêtes à tout pour éliminer la concurrence.
E : Hmm Zoolander ! Je n'y aurais jamais pensé [Rires]. Mais je pense que notre film n'est pas vraiment un film sur le milieu de la mode. On n'a rien contre ces gens, juré ! Ce n'est pas notre point de vue sur le monde des mannequins, c'est plus une parabole sur l'obsession de la beauté, de la perfection. Le monde de la mode était le meilleur background pour illustrer ça, le plus glamour. Plus encore qu'Hollywood. Donc aucune autre actrice n'a jamais essayé de te bouffer comme dans le film ?
E : [Rires] Si, plusieurs fois.

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N : En fait, la vraie Elle Fanning est morte dans les années 50, celle-là l'a mangée et survit en se nourrissant de jeunes actrices.

Si comme dans le film vous deviez manger un ou une rivale pour vous régénérer et absorber ses capacités, vous prendriez qui ?
E : Oh, mon Dieu… Dans le doute, réponds Chloe Moretz, te prends pas la tête.
E : C'est compliqué, ces questions où tu dois choisir quelqu'un, c'est comme demander quel est ton morceau préféré. C'est impossible.

N : Moi je sais qui je mangerais.

E : Qui ?

N : Mon propre reflet.

E : Ahahah. Mais toi tu ne veux pas devenir quelqu'un d'autre en fait, c'est ça le truc. Tu veux juste rester toi-même, même si absorber les capacités d'un autre peut être tentant… D'ailleurs tu as conscience que maintenant, à cause de ce film, les gens vont te voir comme Ryan Gosling après Drive, et te proposer en boucle le même rôle de fille mystérieuse et silencieuse ?
E : Ben… [à Nicolas qui prend un air désolé] Tu m'avais pas prévenue ! C'est le premier film où Nick a une femme comme perso principal, j'en suis quand même très fière. C'est une première pour lui et pour moi aussi, une bonne expérience, peu importe l'orientation que ça donne à ma carrière. Si le jeune Nicolas, période Pusher, voyait The Neon Demon, il penserait quoi ? Même question pour la jeune Elle d'il y a 10 ans.
N : Il serait là, genre « wow, mec, ça tue ».

E : Euh…

N : « Wow, meuf… »

E : Elle trouverait ça super chic ! Un dernier truc : tu es au courant qu'après un film pareil, un paquet de tordus vont fantasmer à mort sur toi ?
E : Ahah ! Bah en fait, je me suis mise sur Instagram récemment et parfois, quand tu vois les commentaires, tu recules ! [Rires] Quand tu t'aventures sur la place publique, il faut assumer.

L'interviewer et les interviewés

The Neon Demon sort aujourd'hui mercredi 8 juin sur les écrans français. Yérim assume son personnage public sur Twitter.