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Music

Molécule nous a parlé de son passage à Thalassa et de son album composé en pleine mer

Alors, il est comment Georges Pernoud ?

L'autre soir, je matais Thalassa avec ma meuf (bah quoi ?) - le meilleur magazine de la mer, sur France 3, pour ceux qui connaissent pas (accessoirement, le seul truc que vous aurez envie de regarder à la télé passé 30 ans). C'était une émission thématique sur St Malo, la ville aux milles remparts. Connexion totale, Bretagne oblige. Et puis là, d'un coup, je vois ce mec, entouré de machines, sur un bateau, avec une espèce de techno industrielle derrière et des lames de fond ultra violentes frappant la coque. Horrorshow ! Le musicien s'appelle Molécule et vient d'embarquer sur un chalutier pendant un mois, pour enregistrer des sons extra-terrestres et composer un album en pleine mer. C'était une rediffusion, l'expédition avait eu lieu en mars 2013 et son projet 3 en 1 voit enfin le jour en ce début d'année. Ça s'appelle 60° 43' Nord, et ça mêle photos, musique et récit. Quelques heures avant la release party au Faust organisé par son label, Mille Feuilles (l'album sort en vinyle sur Ed Banger le 18 avril prochain), je suis allé rendre visite à Romain Delahaye dans son studio du 18ème à Paris. Alors, il est comment Georges Pernoud ?

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Noisey : Ça fait combien de temps que t'es dans la musique électronique ?
Molécule : Ça fait une dizaine d'années. Au début j'étais plus dans le trip-hop, le dub, puis je petit à petit, j'ai électronifié mon son, au gré des rencontres, j'ai jamais eu de ligne directrice établie, je suis touche à tout.

Tu es d'où à la base ?

Je suis Grenoblois, mais je suis arrivé à Paris à l'âge de 10 ans. J'ai de la famille bretonne aussi, du côté de Cancale, même si j'ai jamais habité en Bretagne. C'est d'ailleurs comme ça que lorsque j'ai fait mon espèce de « casting » de bateaux, j'en cherchais un qui puisse m'emmener dans une zone suffisamment dangereuse pour y rencontrer la tempête et suffisamment longtemps pour avoir le temps de créer un album complet, eh bien je suis tombé sur ce bateau à St Malo

[le Joseph Coty II]

et j'ai activé mes contacts locaux pour rencontrer l'armateur. Je lui ai demandé une autorisation d'embarquer et bizarrement, il a accepté !

Personne n'avait fait ça avant toi, en fait.
Bah le truc, c'est qu'il y avait un dogme artistique au départ : arriver avec tous mes instruments, monter un studio entier sur l'eau, enregistrer en pleine mer, essayer de rencontrer cette fameuse tempête, et surtout, ne rien ajouter une fois à terre. Et puis c'était en plus un rêve d'enfant d'aller au milieu de l'océan et de vivre ces conditions-là.

Tu n'avais jamais navigué aussi longtemps avant ?
Non, jamais dans ces eaux-là, et sur cette durée. J'avais une petite expérience de voile autour de la Bretagne, j'ai fait l'école des Glénans… ce que j'ai d'ailleurs donné comme référence au capitaine en arrivant et il m'a répondu : « bon ok, t'as jamais navigué. »

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Ahah.
Les voileux, les navigateurs les surnomment les « guignols ». C'est la différence entre ceux qui considèrent la mer comme un terrain de jeu et ceux qui la considèrent comme un lieu de travail.

Ouais, je vois. Vous êtes allés jusqu'où alors ?
À 60°Nord 43', comme le titre de l'album. Pour situer, c'est entre le sud de l'Islande et le nord des Îles Shetland. On a commencé la campagne à l'ouest de l'Irlande et on est remontés comme ça tout au long de la faille continentale.

Dans le reportage, on voit les marins intrigués par ton matériel mais pas du tout fermés sur ta musique. Les rapports ont toujours été bons à bord ?
Ouais, ils ont été vraiment très accueillants, heureusement d'ailleurs ! Je m'en suis rendu compte après mais ça aurait été bien plus compliqué sinon. Les gars ont tout fait pour me mettre dans les meilleures conditions. C'est vrai que les marins ont une image de ces mecs un peu brut, un peu fermé, mais ils ont été touchés par la sincérité de ma démarche, le fait que je vive dans les mêmes conditions qu'eux, sans aucun traitement de faveur. Puis c'était une mission ardue aussi de composer un album dans ces conditions, je travaillais au même titre qu'eux finalement. Donc tout le monde respectait mon boulot, même si au début ils ne captaient pas trop, « qu'est ce qu'il vient faire ici lui, dans la taule, y'a du bordel partout, ça pue, c'est dangeureux » !

Le voyage a duré combien de temps ?
La campagne a duré 34 jours, on sait jamais exactement quand on va revenir, ça dépend de la pêche, mais sur tout le séjour, il n y a jamais eu d'électricité entre moi et l'équipage. Après, y a des moments plus tendus c'est sûr, des situations délicates, en cas de gros temps, de montée de chalut, mais dans ces moments-là je faisais évidemment en sorte de rester en retrait, je laissais faire. Il y a certaines opérations, tu ne mets pas ton nez dedans, quoi. Mais le mois entier s'est très bien passé, vraiment.

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À un moment justement, il y a un passage où une énorme vague balaye tout le pont, juste après que tu sois rentré dans la cabine…
Ouais, c'est aussi le côté Thalassa, un peu scénarisé, mais effectivement, c'est la première tempête qui est arrivée et à ce moment-là, j'ai pris conscience de la dimension nouvelle du projet : le danger. Le mot « mort » revenait souvent, les conditions de sécurité étaient cruciales et c'est vrai que quand cette vague a déferlée il s'en est fallu de peu qu'elle n'emporte pas un marin avec elle. Et alors là, dans des cas comme ça, le capitaine m'expliquait qu'il n y avait rien à faire. Quand le chalut est à l'eau, à part le couper et tourner, et ça met au moins 5 minutes par ce temps, en sachant que l'espérance de vie d'un homme dans une eau à 2° est d'1mn30, et souvent au bout de 30 secondes, il s'évanouit de panique.

Ah ouais, ça déconne pas. Un peu plus loin, ça m'a fait marrer, le journaliste demande au capitaine ce que lui écoute, et il y a une espèce de heavy metal strident en fond sonore, tu t'en souviens ?
Ah oui, oui, en effet il écoutait du rock très brutal mais j'ai oublié les noms. Frédéric Quiniou, le capitaine, est guitariste, ça doit venir de là. Vu qu'il était musicien, je pense que c'est ce qui a fait penché la balance en ma faveur. Et c'est vrai que lui, avec ses racines musicales, il a tout de suite fait la connexion entre tempête et musique violente, c'est un combat quoi, tu attends que ça passe, et dehors « boum, boum » ça envoie, ça envoie. Et on espère qu'on va rester à flots.

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L'expédition a eu lieu en mars 2013, ça fait pile 2 ans. Qu'est ce qui a pris si longtemps avant la sortie du disque ?
L'album a été fini assez rapidement en fait, j'ai juste peaufiné quelques edits, des transitions, des intros et des fins, pour raconter une histoire, sans retoucher les compositions. Ce qui a pris du temps, c'est la conception du bouquin. C'est sorti uniquement dans cette forme là, un livre-album, il n'y a pas eu de sortie CD. Et là, il y aura une sortie vinyle le 18 avril, sur Ed Banger.

On trouve quoi dans le livre ?

Des photos, un récit, une sorte de journal de bord, l'album, une sorte de radiographie pour chaque titre, je me suis amusé à mettre la position du bateau, le jour de composition, les instruments utilisés, l'état de la mer… un truc de nerd de la musique un peu.

T'avais déjà un deal avec un label avant de partir ?

C'est un projet que j'ai mené avec mon propre label, Mille Feuilles, et on a co-produit le disque et co-édité le livre avec un éditeur qui s'appelle CLASSIC. Ça a vraiment été fait dans l'indépendance totale. On a réussi à vendre le reportage à Thalassa juste avant de partir, ce qui nous a permis de financer l'aventure.

Ils ont envoyé une équipe sur place, ça s'est passé comment ?

Non, en fait, c'est moi qui ait trouvé une équipe avant de partir, des gens avec qui j'avais travaillé sur un projet au 104, un an avant plus tôt. Je voulais absolument y aller avec un cameraman pour revenir avec des images. On a notamment collaboré avec Radio France ensuite,

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sur une série web-documentaire

, vidéo et son binaural, où l'on touchait vraiment à l'essence du projet. Thalassa c'était plus un truc grand public, ça n'apporte pas grand chose sur le processus de création, c'était plus un point de vue romancé, l'homme qui quitte femmes et enfants pour s'aventurer en pleine mer, ça travestit un peu la nature du projet.

Comment a réagi le milieu techno après ton passage sur France 3 ?
Plein de gens du milieu ont trouvé ça mortel, « putain j'aurais trop aimé faire ça », c'est vrai que ça n'avait jamais été fait dans des conditions pareilles, mais il y a un côté assez évident au final, le fait de mêler musique techno et pleine mer. Ça vient aussi de l'héritage de la musique industrielle je pense, de Détroit, de mecs qui allaient enregistrer des sons dans des hôpitaux, des usines…

Comme les trucs de Drexciya, qui ressemblent à de la musique subaquatique.
Exactement. Tout ça m'a beaucoup influencé dans la démarche. Ce serait chouette que des artistes prennent le pli et se mettent à leur tour dans des conditions extrêmes. Rone, avec qui j'ai joué il y a quelques mois trouvait ça mortel, [Laurent] Garnier m'en a parlé aussi mais il m'a dit « moi par contre, j'ai le mal de mer, j'en serais incapable », Pedro [Winter] trouve que ça tue aussi, pas mal de monde ont vraiment apprécié le truc. La sortie du disque c'est un accomplissement, mais le point d'orgue ça a vraiment été la conception, ça restera gravé en mois jusqu'à la fin.

Personne ne t'a cherché des puces ?
Nan, il y a sûrement des gens qui blablattent, je n'ai pas que des amis dans le milieu, et puis la musique est un univers sans pitié, certains ne doivent pas adhérer, forcément, mais c'est le jeu. Pour l'instant, personne n'est encore venu taper à ma porte pour me dire « c'est de la merde ton truc, t'es une ordure ! » [Rires] Peut-être que ça va arriver après l'interview sur Noisey d'ailleurs, qui est parfois suivi par une bonne faune de haters !

Ah bah ça ! Elle va consister en quoi ton installation live de demain ?
Alors le but, c'est vraiment de ramener les instruments que j'avais à bord : une boîte à rythme analogique, un synthé semi-modulaire, un autre synthé analo, un contrôleur avec des sons enregistrés sur le bateau, certaines prises d'instruments, et je remouline tout ça en live avec un côté très techno et dancefloor. Et encore une fois, ça va évoluer. Le but serait de partir en tournée à la rentrée prochaine. Avant j'avais un batteur, des chanteurs, mais samedi ce sera la première fois dans cette formule, seul avec les machines. Je suis impatient d'y être. On vous fait gagner des places pour la release party de Molécule sur notre page concours, un conseil : ne traînez pas. Rod Glacial est Breton mais vomit dès que ça tangue trop. Il est sur Twitter.