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Music

Sexe, turbofolk et lutte des classes : bienvenue dans la trap de Serbie

Mimi Mercedez rappe et se désappe depuis 2012 et n'est pas près de s'arrêter.

À première vue, on pourrait considérer Mimi Mercedez comme une version slave de Brooke Candy : chanteuse porno-tumblr parmi tant d’autres, l’esthétique cyborg en moins. Mais Mimi vient de Serbie. Depuis la mise en ligne sur YouTube de son premier titre en 2012, la rappeuse de 22 ans a fait main basse sur la scène locale en allant plus loin que tout le monde (avec des punchlines du genre « il y a un truc dans ma voix qui vous irrite / il y un truc dans ma voix qui vous donne envie de me baiser par la bouche ») et en affichant ouvertement sa double vie de musicienne/strip-teaseuse (qui lui a permis d'obtenir une street cred’ à la Lil Kim).

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Et évidemment, Mimi agace beaucoup de gens sur Internet. Le commentaire qui revient le plus souvent la concernant ? « Salope, ton père aurait dû être castré ». Mais Mimi a su trouver un soutien chez les classes moyennes urbaines branchées de Belgrade ; probablement car, comme elle le dit, « ils aiment bien les filles qui ont une grande gueule et qui l’ouvrent ». Dans ses morceaux, Mimi parle de classes sociales, de capitalisme et de politiques d’extrême-gauche. C’est une gosse de la rue et elle s’autoproclame porte-parole du prolétariat, mais en Serbie, les gens ne sont pas aussi fans de rap qu’en Europe ou aux USA et le rayonnement de sa musique est plutôt limité.

Pour toucher la masse là-bas, il faut donner dans la « Turbofolk » — cette batardisation balkanne de la musique turque, faite de gémissements effrayants qui viennent se poser sur des accordéons et des beats eurodance hyper-kitsch. Mimi est au jus de tout ça, et même si sa musique peut être assimilée à de la trap, on retrouve dans certains morceaux des influences turbofolk qui ont fini par attirer l’attention de l’industrie pop locale. Récemment, Mimi a annoncé une collaboration avec Milan Stankovic (ancien participant à l’Eurovision) et Mile Kitic, le pendant bosniaque de Tom Jones, qui, selon elle, est « aussi bouillant que les rappeurs de Serbie. »

Les fans de rap ont vite traité Mimi de vendue mais sa musique va bien au-delà de telles considérations. Pour elle, le turbofolk « est un héritage national tout comme le hip-hop l’est pour les noirs américains. Prenez quelqu’un comme Marlon Brutal, l’équivalent de Skepta en Angleterre, vous verrez qu’on retrouve des influences turbofolk dans sa musique car c’est ce qu’il écoutait avant de rapper. Les gens qui imitent le rap étranger sont, pour reprendre un terme qu’ils rabâchent sans cesse, les moins ‘vrais’ de tous. »

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Mais est-ce que cette ambition s’accorde avec les aspirations prolétaires de la chanteuse ? Dans un pays ruiné par plus d’un quart de siècle de crise, les gens s’accrochent à la moindre chose capable de leur apporter un peu de stabilité. Pas certain donc qu'ils se reconnaissent dans des textes comme « je ne suis pas de ces meufs débiles / heureuses avec leur famille et leurs fourneaux ». Là-dessus, Mimi reste lucide : « J’aimerais pouvoir communiquer avec les masses populaires, mais je ne me fais pas beaucoup d’illusion là-dessus, peu se rangeront de mon côté. »

Mimi occupe une place un peu particulière au sein de la culture locale. La Serbie n’est pas l’Iran. Ici, beaucoup d’artistes pop flirtent avec le porno soft, mais la chair et les sous-entendus sont là pour satisfaire la gente masculine et renforcent les standards patriarcaux et contraignants de la féminité dans la société. Les chanteurs de turbofolk pourraient également parler de sexe, mais leur dynamique est différente : ils se trémoussent et se balancent des fleurs. Les femmes sont juste des trophées pour eux. Le sexe n’est pas forcément évoqué de manière directe mais se cache souvent derrière des allusions qui valent ce qu’elles valent : « Je ne suis pas Barbie et mon mec n’est pas Ken / C’est mon Manuel Ferrara et moi sa Lisa Ann. »

Ce franc-parler est l’une des raisons pour laquelle les gens ont peur de Mimi. « En temps de disette sexuelle, quand tu ôtes le voile de mystère entourant le sexe, il ne reste presque plus rien car tu n’as plus l’acte en lui-même. Il est plus facile d’accepter tout ça quand tu y ajoutes un tas de significations différentes. Ici, les femmes sont terrifiées par leur sexualité, et les mecs, dans la plupart des cas, ne sont même pas capables de satisfaire certains besoins physiologiques de base. Donc je comprends tout à fait pourquoi les gens présentent le sexe sous une autre manière. Quand tu dévoiles trop certaines choses, tu dois te confronter à la réalité, et ça peut être douloureux. »

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Mimi est très concernée par le girl power : elle s’est d’ailleurs donnée trois autres alias pour booster artificiellement le quota de rappeuses en Serbie. Elle a aussi ramené plusieurs amies dans le game pour l’accompagner et former un girl-band de rap, sans pour autant assumer l'étiquette féministe que beaucoup veulent lui coller. À ses yeux, le féminisme n’existe que dans les discours capitalistes libéraux, qu’elle rejette totalement : « Il est impossible de surmonter ce déséquilibre homme-femme dans un système lui même inégalitaire. »

« Je ne veux pas me battre pour les droits des femmes dans une société capitaliste car je suis contre le capitalisme. Je n’ai pas besoin de l’état pour protéger mes droits de femme car je ne pense vraiment pas que c’est quelque chose qui leur tient à coeur. Le féminisme est juste une bataille insignifiante qui ne change finalement rien. Ce n’est pas pertinent, que tu sois un homme ou une femme, centrer le débat uniquement sur le féminisme nous écarte du vrai combat. »

Le matérialisme sans gêne de Mimi semble tout à fait en désaccord avec ses idées de gauche dure — après tout, elle tire son nom d’une marque de voitures de luxe, ses vidéos sont pleines d'or et de billets de banque et un mec de son crew s’est fait tatouer le logo Ralph Lauren sur le torse. Mais rejeter les marques et le matérialisme est un luxe que se permet uniquement la bourgeoisie, pas vrai ?

« J’ai un complexe en regardant des produits de marques, j’ai besoin de montrer aux gens que j’ai suffisamment d’argent pour les posséder » raconte Mimi. « Je me souviens qu’à l’école, il y avait ceux qui portaient des Nike et les autres. À l’époque tu ne savais pas pourquoi, mais certains gosses étaient mieux habillés parce qu’ils étaient plus riches que toi, donc il est naturel que lorsque tu commences à gagner de l’argent, tu ressentes le besoin de rééquilibrer la balance et de rattraper le temps perdu. »

Mimi Mercedez conclut : « Ma musique est outrancière, tout est toujours exagéré. Cette fantaisie et cette exagération sont inhérents au rap et représentent quelque chose de très important. Elles nous permettent de nous projeter dans des situations que nous n'aurions jamais dû connaître, vu les circonstances dans lesquelles nous avons grandi. » Aleks Eror est sur Twitter.