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Music

Mick Rock a assisté à l'avènement du mythe David Bowie

Le photographe revient sur la naissance de Ziggy Stardust et l'explosion de l'artiste le plus énigmatique de ces 45 dernières années.

Un des inconvénients de la vieillesse est de voir le cool s’éloigner, inexorablement. Votre esprit perd du terrain, votre corps décrépit et vous n’êtes plus du tout au courant de toutes ces conneries qui plaisent aux jeunes. Et c’est d'autant plus vrai dans le monde de la musique, où l'on vous demande sans cesse d’être « relevant ».

David Bowie est une des exceptions les plus flagrantes à cette règle. L'énigmatique artiste anglais a su rester constamment au sommet, passant à travers les gouttes acides de l’oubli et les balles fuselées des puristes. Mais s'il est aujourd'hui unanimement considéré comme une légende, Bowie a, comme tout le monde, dû faire son chemin. Et malgré le succès critique de son album Hunky Dory en 1971, il n'est réellement devenu une figure culte qu'après s’être réinventé en tant que rockstar androgyne et extra-terrestre sous le nom de Ziggy Stardust, premier de nombreux remaniements stylistiques que Bowie allait mettre en place tout au long de sa carrière.

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Au cours des années 1972 et 1973, la Bowie-mania se répandit sur toute la planète, grâce à deux tournées, trois albums (quatre, si on compte Transformer de Lou Reed produit par ses soins et son guitariste/arrangeur Mick Ronson) et une alliance avec les infernaux Reed et Iggy Pop.

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Mick Rock, photographe désormais célèbre, a travaillé aux côtés de Bowie durant cette période, l’accompagnant sur les tournées et shootant d’innombrables photos de la star, sur scène ou chez lui.

« David était un sujet tellement extraordinaire » me confie-t-il à la galerie Taschen de Los Angeles, lors du vernissage de l’exposition Mick Rock : Shooting for Stardust. The Rise of David Bowie & Co. « C’était un vrai cadeau. Tout le monde ne l’appréciait pas, mais une fois que ça a été le cas, ces putains de photographes se sont mis à le suivre comme des mouches. »

Du haut de ses 60 ans, Mick Rock fait lui aussi partie de ces gars qui ont su rester cool malgré le poids des années. En plus de son taf avec Bowie, Rock a réalisé les pochettes de Raw Power de Iggy & The Stooges, Transformer de Lou Reed ou encore Queen II de Queen – bref, toutes les grosses stars des années 70.

Au fur et à mesure qu’on feuilletait The Rise of David Bowie: 1972–1973, le photobook en lien avec l’expo, Rock nous pointait des détails – une banane sur la table de maquillage ici, Bowie camouflant subtilement un harmonica sous un kimono là-bas – dont l’importance était évidente pour ceux qui avaient « vécu » ces images.

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« La plupart de ces photos n’ont pas été montrées à l’époque » nous a confirmé Rock à propos de la collection. « Personne ne pensait à les publier. Ce qui était pris pour du brouillon est devenu iconique. »

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Noisey : Quand Bowie a commencé à utiliser le personnage de Ziggy Stardust, est-ce les gens réalisaient que ça allait changer le cours du rock’n’roll ?
Mick Rock : Je ne crois pas que ça ait été aussi direct et évident. La première fois que je l’ai rencontré, l’album Ziggy n’était pas encore sorti. J’étais un admirateur de Hunky Dory, qui commençait à récolter de bonnes critiques. Il avait une fanbase, mais relativement restreinte, composé de quelques centaines de personnes. Quand la fameuse fellation de guitare a été prise en photo, il y avait un millier de personnes dans l'Oxford Town Hall. C’était un jour ou deux après la sortie de Ziggy Stardust et c’était la plus grosse audience qu’il avait eu jusqu’à présent. À cette période, personne ne se battait encore pour le photographier.

On voit au regard de Mick Ronson sur la photo que rien n’était préparé.
David a délibérément mordu cette guitare, mais c’est la manière dont Mick l’a brandi qui a poussé David à se mettre à terre. Une fois qu’il a su que l’effet était créé, c’était l’équivalent de Jimi Hendrix qui mettait le feu à sa guitare ou Pete Townshend qui éclatait la sienne, mais avec d’autres connotations, évidemment.

C’est comme une soumission à l’idéal rock’n’roll.
Peu importe comment tu l’interprètes, je suis sûr que David adorerait [Rires]. Je n'ai aucune idée précise de ce qu’il voulait faire exactement.

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Tout ça a eu lieu quelques années après que l’homosexualité ait été déclarée légale en Grande-Bretagne.
À peine ! Il travaillait là-dessus. David avait un sacré aplomb pour se trimballer vêtu de la sorte. C’était il y a 40 ans. La simple évocation du mot « gay » donnait des envies de meurtres aux gens. Ziggy était féminin, mais ce n’était pas une drag queen. Il y avait aussi un élément spatial là-dedans, et l’influence du théâtre kabuki, où tous les rôles de femmes sont joués par des hommes. On était en 1973, quand l’obsession pour le Japon a débarqué. David connaissait le mime, il connaissait sûrement aussi le théâtre kabuki.

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J’ai l’impression que Bowie a eu une période de 15 ans qui a été plus fertile que la carrière entière de n’importe quel autre musicien.
Il n’a pas seulement révolutionné la musique – ça, il l’a fait en collaborant avec Lou Reed et Iggy Pop – mais il a aussi refondé la culture dans son ensemble. Le Velvet Underground et les Stooges n’avaient aucun succès. En ce qui concerne Lou, il avait sorti son premier album et son label pensait carrément à le jeter. Il n’en avait vendu que 30 000 – ça ne sentait pas bon. Et du côté d’Iggy, c’était pas mieux, les deux premiers albums des Stooges, même Raw Power, ont été des fours. Il a dit lui-même que juste après la sortie, il en trouvait dans les bacs à 50 centimes chez certains disquaires. Mais leur apport a quand même tout chamboulé, c’était une manière complètement différente d’envisager la musique.

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De quel ordre était la relation entre Bowie, Iggy et Lou Reed ?
David avait produit Transformer, aux côtés de Mick Ronson, et ça a littéralement transformé la vie de Lou. Il avait injecté un aspect positif à leurs carrières. Avec Iggy, ça a pris quelques années de plus. Iggy était au fond du trou et Bowie l’en a sorti. Il n’avait pas produit Raw Power - si tu regardes la version originale, il n’y a aucun crédit à la production. Ça a été fait d’une manière relativement anarchique. Aujourd’hui, on peut lire « produit par Iggy Pop » mais la prod…

C’était hyper à l'arrache.
Oui !

C’est toi qui as shooté la pochette d’ailleurs.
Et celle de Transformer. C’était le bing et le bang.

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Elles se ressemblent assez.
Elles sont prises sur scène, pendant des moments de calme. Iggy et Lou sont tous les deux en train de regarder au loin et sont plutôt statiques. Et puis quoi ? Je les ai juste shooté, et c'est devenu des pochettes. Il faut se rappeler que David n’était pas un type incontournable à cette époque, et moi encore moins. Et les gens se foutaient autant de Lou et d’Iggy. David a aussi fait le bon samaritain avec Mott The Hoople. Il a écrit « All the Young Dudes » pour eux. Il était très bon pour les causes perdues. En tant que mec dont la carrière montait en puissance, il jouait en même temps à la maman. C’était un type sympa.

Ça lui arrivait d’avoir de mauvaises idées ? Parce qu’on dirait que tout ce qui sortait de lui touchait au génie.
On peut débattre sur le fait que son premier album ne soit pas très bon. Mais on était en 1967, et ce n’était pas « mauvais » non plus. Ce n’était simplement pas ce que David allait devenir.

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Quelle image Bowie avait de lui-même ?
Il était confiant et très ambitieux. Et il le faisait savoir. Il y avait une séparation nette avec les hippies, qu’on croisait encore beaucoup en 1972. L’expression de son ambition était inhabituelle.

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Bowie a vraiment élargi le champ des possibilités pour les musiciens pop.
Il l’a fait à sa façon, comme Iggy et Lou l’ont fait. David était radicalement différent, dans tous les sens du terme. Ses références étaient bien plus vastes, qu’on parle du Kabuki, du mime Marceau ou de 2001, l’odyssée de l’espace. Il s’inspirait de tas de choses et les mélangeait. Même dans sa musique, tu pouvais entendre des trucs très éloignés. Avec Lou et Iggy, tu ne pouvais rien trouver de comparable avant eux. David était un magnifique synthétiseur. Et il était très rapide – tu lui montrais un truc et s’il aimait, il ne le lâchait plus. Il avait un certain génie inné dès le début. Quand il reniflait un truc, il se lançait direct. Durant la période de 20 mois où je l’ai photographié, je crois qu’il avait 74 tenues différentes. C’était pas commun. Et puis son maquillage s’est fait de plus en plus exotique. Il y avait un type appelé Pierre Laroche qui le maquillait, c’est de lui le « troisième œil » en or sur la couverture du livre. Il s’est aussi occupé de « Life On Mars » et de l'éclair sur la pochette de Aladdin Sane – sous la direction de David, je crois.

Est-ce qu’il y a quelque chose que Bowie a fait qui t’a surpris ?
J’avais un peu baroudé. Je n’étais pas un mec entretenu. J’étais un « radical libre ». Mais un matin, en plein milieu de la tournée américaine, le type a décidé de raser ses sourcils… Je me suis dit « Attends, il y a un truc différent chez toi, ouais… Mais… c’est devenu un Martien ! Il a rasé ses sourcils. » Le truc chouette avec David c’est que c’était toujours agréable de bosser avec lui. Il n’avait pas ses humeurs. C’était l’opposé de Lou. Je les ai toujours vus comme deux faces du même truc. David était un londonien vif et brillant et Lou était un new-yorkais sombre et déprimé. Lou et Iggy me donnaient la sensation qu’ils étaient dans l’autodestruction permanente, mais ça n’a jamais été le cas avec David. Il était tout le temps positif, et je pense que ça a déteint sur les deux autres. Leurs carrières n’allaient nulle part, ils sont venus à Londres et David était là, lumineux et séduisant. Aucun des d’eux n’était ni lumineux ni séduisant.

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Mais Bowie avait aussi une face mystérieuse.
Bowie est toujours en activité, c’est ça le truc. J’aime bien l’idée qu’il soit la Greta Garbo du rock’n’roll. Mais Greta a arrêté, et David a encore des projets sur le feu. D’anciens disques à rééditer, de nouveaux albums à sortir… Il y en a un en particulier dont le producteur de Bowie, Tony Visconti, parlait il y a quelques temps. Je suis sûr qu’il va être fabuleux. Quelqu’un qui a été un tel centre d’attention pendant des années ne peut pas disparaître comme ça. Il n’est enfermé nulle part, il fait ce qu’il veut. Les gens ne le voient pas. Ca fait partie du génie – quand il veut que vous le voyez, vous le voyez. Quand il ne veut pas être vu, rideau.

Ce pouvoir génère une certaine liberté.
Ça marche très bien pour lui. Son staff à Londres m’a dit qu’en gros, ils étaient payés pour confirmer ou nier les rumeurs.

Tu crois qu’il existe un Bowie moderne ?
C’est dur d’être proche de tous ses personnages. Toute cette information disponible en est en partie responsable. Il n’y a plus d’underground. Il y en avait un à l’époque, des gens comme Lou, Iggy et Bowie ont sorti des albums, il y avait de l’espace pour créer des mythes. Il fallait du temps pour obtenir toute la quantité d’infos que tu peux avoir aujourd’hui. On dirait que ce que les gens ne savent pas les excite encore plus que ce qu’ils savent déjà. Les gens imaginent tellement de choses. Si on se penche sur ces trois personnalités, Lou, Bowie et Igggy, on se rend compte qu’ils ont énormément influencé la culture actuelle. L’été 1972 a tout changé.

Drew est sur Twitter.