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Moutons, vengeance et black metal : Metalhead devrait, en toute logique, devenir votre film préféré de 2015

Ça raconte les aventures d'une jeune métalleuse en Islande, ça sort l'an prochain et le réalisateur est un des types les plus cools qu'on ait rencontrés.

Dans son dernier film, Metalhead, le réalisateur islandais Ragnar Bragason raconte les aventures d'une jeune fille se tournant vers le heavy metal après la mort de son grand frère - fermier et metalleux dévoué - dans un accident. L'histoire se déroule en 1983 et suit l'heroïne, Hera, alors âgée de 11 ou 12 ans, ainsi que ses parents - et ce jusqu'en 1992. Hera passe son temps à apprendre à jouer de la guitare sur « Am I Evil » de Diamond Head, à écouter Slayer, Lizzy Borden et Judas Priest à fond, et de manière générale, à faire chier ses pauvres parents. Après être tombée sur un reportage télé parlant de l'apparition du black metal et de la recrudescence d'églises brûlées en Norvège au début des années 90, elle décide de se barbouiller de corpsepaint et de redoubler d'effort dans sa rébellion. Le film sortira début 2015 aux USA et en Europe, mais il est sorti cette année en Suède et est déjà diffusé en Islande depuis 2013, ce qui signifie qu'il est déjà disponible en VOD et téléchargement. J'ai donc décidé d'appeller Bragason sans plus attendre, pour qu'on puisse causer tranquillement des avantages des incendies criminels, des filles dans le metal, et du fait de baiser en écoutant Megadeth.

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Noisey : Quelle a été l'inspiration de départ de Metalhead ?
Ragnar Bragason : Par où commencer ? J'ai grandi en écoutant beaucoup de metal, et ça m'a toujours démangé de l'incorporer dans un film ou un projet télé. Mais je n'ai jamais trouvé l'histoire ou le projet adéquat. J'en suis déjà à mon cinquième film, et j'ai fait beaucoup de séries télé, et depuis tout ce temps, j'ai une image dans la tête : une fille avec une guitare, entourée par des vaches. Je sais pas d'où ça vient, mais j'aime le contraste : la guitare Flying V et le cuir, mêlé à cet environnement naturel et maternel. Cette image me travaille depuis pas mal de temps.

Et finalement, comment ça s'est fait ?
J'enseignais à l'Académie des Arts islandaise, dans le département du théâtre, et j'avais une étudiante avec qui je bossais sur l'improvisation, on créait différents personnages, et j'ai transposé l'image que j'avais dans la tête sur elle. Je me suis demandé: « Pourquoi est-ce que cette nana joue de la guitare au milieu des vaches ? Elle habite probablement dans une ferme quelque part ». Je me suis aussi souvenu que quand j'étais gosse, j'avais vu un reportage à la télé sur un mec aux cheveux longs qui bossait dans une ferme. Ses cheveux s'étaient pris dans la transmission de son tracteur. J'avais 8 ou 9 ans et je vivais dans une communauté plutôt rurale - ça m'a pas mal marqué. J'ai aussi réfléchi à ce que signifiait la musique pour moi, pourquoi j'en écoutais, ce genre de trucs. Petit à petit, toutes les pièces du puzzle se sont assemblées, et je me suis mis à écrire un scénario. J'ai appellé Thorbjörg Helga Thorgilsdóttir, l'étudiante en question, un an et demi plus tard. Je lui ai dit: « T'as 6 mois pour apprendre la guitare. Je vais faire un film ».

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Elle a pris des leçons ?
Ouais, elle a trouvé deux profs - un classique et un plus metal. C'était un gars que j'ai connu quand j'étais un peu plus jeune, il jouait dans des groupes que j'allais voir. Elle a aussi dégotté un groupe de death metal avec une chanteuse, elle a traîné avec eux pendant les répetitions, pour s'inspirer de leurs mouvements. [Rires] Elle était determinée à apprendre à jouer, pour que ça soit plus réaliste à l'écran. Ça m'a toujours cassé les couilles dans les films quand tu vois des personnages censés savoir jouer d'un instrument, mais que tu vois clairement que ce ne sont pas eux qui jouent.

Thorbjörg écoutait du métal avant que tu l'engages ?
Non, pas tellement. Le truc drôle, c'est que son demi-frère est métalleux. Elle s'est rappellé qu'il s'enfermait dans sa chambre pour écouter tous ces groupes de heavy des années 80. Mais à part ça, c'était un plongeon dans l'inconnu. Je lui ai fait un mix de 100 morceaux et je lui ai filé quelques leçons sur le metal. Je lui ai dit de regarder des documentaires et de lire des livres. Je suis assez fier : j'ai fini par la transformer en vraie métalleuse. [Rires]

C'était important que le personnage principal soit une une fille ?
Si l'image que j'avais était si puissante, c'est en partie parce que c'était une fille. Perso, je pense qu'une fille avec une gratte, c'est le truc le plus cool de la terre. Peut-être parce que c'est un truc plutôt inhabituel. Le metal est un genre dominé par les hommes. Je ne dirais pas que c'est une musique sexiste, mais pour beaucoup, c'est un truc de garçons. Quand j'étais plus jeune, c'était super de tomber sur des albums de groupes qui avaient une chanteuse. Comme Warlock, le groupe allemand.

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Le fait que les parents d'Hera soient croyants est un aspect important de sa rébellion. Tu as grandi dans un foyer religieux ?
Tu sais, les Islandais ne sont pas si religieux que ça. J'ai grandi dans un bled de 150 habitants, dans le nord du pays, l'un des endroits les plus déserts au monde. Les églises islandaises, surtout dans la campagne, ressemblent plus à des MPT qu'à des cathédrales. Ma mère chantait dans la chorale de l'église, mais ici, un tiers de la population chante dans une chorale, donc bon… Pour moi, l'Islande n'est pas un endroit religieux. Si les gens vont à l'église, c'est pour prendre le café et discuter.

Donc quand Hera brûle l'église, ça n'est pas une action anti-religieuse. C'est plus une façon de se venger d'une communauté qui la rejette ?
Ouais, voilà. Évidemment, il y a un élement religieux là-dedans. Au début du film, quand son frère se fait enterrer, elle regarde la croix, et Jésus cloué dessus. L'église devient l'une des causes de sa colère, parce qu'elle ne fait rien pour l'aider, ni pour aider sa famille. Mais à la fin, le film parle de pardon, qui est l'un des aspects positifs de la religion.

Hera entend parler du black metal pour la première fois grâce à la télé. C'est comme ça que tu l'as découvert aussi ?
Cette scène, c'est presque une copie exacte de ma vie. [Rires] J'étais assis sur mon canapé, et j'avais cette cassette VHS que j'utilisais pour enregistrer des vidéos et des émissions, parce que c'était un chemin de croix pas possible pour récupérer des albums de metal en Islande à l'époque. Je faisais importer la plupart de mes albums de Londres. Mais une fois par semaine il y avait une émission de clips musicaux, et il y avait toujours un clip de metal ou de punk dedans, deux si t'avais vraiment de la chance. J'avais toujours ma cassette de prête. J'utilisais cette cassette depuis 4 ou 5 ans. Je regardais la télé avec mes vieux quand le JT a commencé à parler du black metal, et j'ai pas réussi à trouver ma cassette - ma mère l'avait rangée. Mais quand j'ai commencé les recherches pour le film, je suis allé voir les archives télévisuelles nationales, et j'ai fait une copie de l'émission d'origine, que j'ai utilisée pour le film.

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La bande-son occupe évidemment une place importante dans le film. La scène avec le troupeau de moutons sur « Run For Your Life » de Riot est particulièrement drôle. Pourquoi as-tu choisi ce morceau ?
J’adore cette chanson, mais c’était mon second choix en fait. Au départ, je comptais évidemment mettre « Run To The Hills » d’Iron Maiden. On leur a demandé les droits du titre mais ils ont pour principe de refuser toute utilisation de leurs morceaux dans des films, donc tu n’entendras jamais un morceau de Maiden dans un film. Quand je travaillais sur le script, j’ai noté tous les morceaux que je voulais utiliser dans le film, en indiquant trois choix pour chaque scène. J’ai quasiment tout eu ce que je voulais, sauf Iron Maiden. J’ai également utilisé « Me Against the World » de Lizzy Borden en second choix, à la place de « I Wanna Be Somebody » de WASP, parce que leur chanteur Blackie Lawless a estimé que le film allait à l’encontre de ses croyances religieuses. C’est un chrétien born-again et il n’a pas trop aimé le coup de l'église qui brûle. Ce qui est pourtant hilarant.

Pour rester dans la déconne, tu as aussi utilisé « Symphony of Destruction » de Megadeth pour une scène de sexe – et une seconde fois pour la scène finale du film.
La fin représentait un moment cathartique avec la famille, et le riff tueur du morceau était parfait pour la scène. Je crois que le feeling du morceau résumait tout en quelque sorte. Au niveau de la scène de sexe, il était surtout question d’introduire la chanson pour les spectateurs qui ne la connaissaient pas, et de l’établir dans le film. De cette façon, les gens pouvaient tout de suite la reconnaître quand elle réapparaît à la fin du film. Et je pense surtout que c’est méga-drôle d’avoir une scène de sexe sur du Megadeth.

A un moment, Hera joue « Am I Evil ? » de Diamond Head sur sa guitare. C’est vraiment un morceau universel, un riff super évident, qu’un fan de metal peut apprendre sans soucis sur sa guitare, et il a été en plus popularisé par Metallica plus tard.
Le morceau contient aussi ce ton désespéré et malsain. « Am I Evil ? » : tout est dit. Je crois que c’est un de mes riffs préférés de toute l’histoire du metal. J’adore Diamond Head, et vu que j’ai n’ai pas pu utiliser Iron Maiden je voulais quand même représenter la New Wave of British Heavy Metal dans le film, d’une manière ou d’une autre. Ouais, ce riff me rend dingue.

Beaucoup d’ados qui écoutent du metal se sentent rejetés, mais peu d’entre eux se défoulent sur leurs parents ou sur les gens de leur entourage. Seule une infime portion se retrouve à brûler des églises. Hera, elle, fait tout ça dans le film. Ça ne t’inquiète pas de perpétuer l’idée que les fans de metal soient des cas dangereux ou désespérés ?
Je ne crois pas que ce soit le cas. J’ai présenté Metalhead dans des festivals en Europe et en Asie et des tas de gens sont venus me voir après la séance ou m’ont envoyé des emails pour me dire qu’ils se retrouvaient complètement dans le film. Bien sûr c’est un drame dans le sens où elle utilise la musique pour mieux supporter sa vie, sa famille et sa situation. C’est une des choses qui m’intrigue beaucoup, utiliser l’art et la musique en guise d’aide. Si j’analyse pourquoi je me suis mis à écouter du metal quand j’étais gosse, c’est parce que je ressentais la réalité du truc. On n’y retrouvait pas les éléments pastel de la pop. C’était du réel et ça parlait de problèmes bien plus sérieux. Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est une musique plus intellectuelle, mais tu trouves plein de metalheads qui sont profs à l’université, tu vois ? Ça peut être une musique intello d'une certaine façon, mais c’est aussi un défouloir. J’écoute Slayer quand j’ai envie de me détendre. Je crois que le metal m’a aidé à traverser l’adolescence. Je serais devenu fou sans ça. Pour revenir au concept d’aliénation, le film a plusieurs niveaux de lecture. J’ai eu un journaliste finlandais qui s’est mis à pleurer en plein milieu de son interview parce qu’il a grandi en écoutant du metal et qu’il avait perdu son frère à cette époque. Il m’a dit que tout ce qu’Hera endure pendant le film lui rappelait exactement sa propre expérience, le fait d’enterrer les émotions pour ne pas y faire face. Mais lui n’a brûlé aucune église.

J. Bennett a fait 12 ans de catéchisme et n'a pas brûlé une seule église - mais ça ne saurait tarder.