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Music

Les Melvins mourront-ils un jour ?

Spoiler : oui, mais pas tout de suite. En attendant on a été discuter base-ball, « Spinal Tap » et plans foireux impliquant des ex-Nirvana avec le batteur Dale Crover.

On se plaint tellement des reformations, des persévérances pénibles des têtes de gondoles, des mecs qui ne savent pas s'arrêter à temps et de tous les gens qui envisagent Axl Rose comme membre de leur groupe, qu'on n'a même plus le temps de parler des vrais grands groupes immortels. Comme les Melvins, qui ont sorti pas loin de 26 albums studio entre 1983 et 2016 et dont les deux derniers disques (Three Men And A Baby et Basses Loaded, sortis dans le même élan) sont loin de la livraison pathétique d'un groupe scotché dans une autre époque. Les Melvins – en fait – sont devenus un cocktail des parties les moins chiantes de Dorian Gray et Benjamin Button. Ils gèrent leur bordel comme s'il y avait un enjeu primordial à la clé, mais avec le fraîcheur et l'insouciance d'un groupe que personne n'attend. On est allés passer un moment avec Dale Crover pour parler de base-ball, de Spinal Tap et de plans foireux impliquant des ex-Nirvana Noisey : Sur Basses Loaded, vous avez débauché des gens qui ont joué dans le groupe par le passé ou qui ont gravité autour, pour tenir la basse. C'est une façon de rappeler que vous êtes les Spinal Tap de la basse [Dans le film Spinal Tap, le groupe a un souci avec les batteurs, qui disparaissent tous dans des circonstances sordides] ?
Dale Crover : Exactement, même si aucun n'est encore mort - ce qui est plutôt une bonne chose. En fait, on a enregistré cet album sans bassiste dédié. On ne s'est pas dit « enregistrons un album et voyons combien on peut en caser sur le disque ». On a juste réalisé qu'on avait enregistré des tonnes de morceaux tout au long des deux dernières années. Et en revenant dessus, on s'est aperçus que Trevor Dunn avait joué sur cette chanson, que les mecs de Big Business avaient joué sur celle-là, moi-même j'avais joué la basse sur une autre et Krist Novoselic encore sur une autre. Ce n'était pas intentionnel. Mais peu importe, c'est un bon truc pour la promo : « Wow les mecs, vous avez un vrai problème avec les bassistes. » [Rires].

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Tout ce truc avec les bassistes au final, ce n'est pas un moyen cool pour rester créatifs et frais ?
Ça c'est certain, mais c'est aussi devenu une obligation puisqu'on doit jongler avec les disponibilités de tout le monde. On a trouvé un équilibre avec les mecs de Big Business mais ils sont déjà un groupe à part entière, ils ont besoin de temps pour faire leur truc. Le deal est donc que s'ils ont des projets et qu'on a besoin d'enregistrer ou de tourner à ce moment-là, on fait appel à quelqu'un d'autre - et ça se fait sans que ça ne pose le moindre problème. On a donc fait un disque avec Trevor Dunn puis on est revenus avec Big Business, puis avec les gars des Butthole Surfers, puis retour à Big Business. Maintenant on tourne avec Steve McDonald, de OFF! et Redd Kross. J'ai remplacé le batteur de OFF ! sur quelques dates. Je connaissais Steve depuis longtemps et on avait parlé de collaborer. Peut-être. Un jour. Et c'est finalement arrivé. On est contents qu'il soit avec nous, c'est un chouette gars.

C'est aussi une occasion de compléter l'arbre généalogique. Parce que les Melvins semblent appartenir à la même famille que les Butthole Surfers, Redd Kross ou Mister Bungle.
Bien sûr. On est une petite file indienne sur le même minuscule sentier [Rires]. Ces groupes sont très différents mais font partie de mes groupes préférés. Tu as raison, on fait partie du même grand arbre généalogique. Mais on devrait laisser la finition à quelqu'un d'autre, je suis un dessinateur lamentable. J'ai lu que Dave Grohl a appelé pour que vous enregistriez un truc avec Krist Novoselic et lui… et qu'il n'est jamais venu.
L'histoire est plus compliquée que ça. Pleins de trucs se sont empilés. À la base, Krist nous a appelés pour nous inviter à jouer des chansons de Nirvana - c'était pour une expo sur le groupe à Seattle. Le plan était qu'on y aille avec Buzz pour jouer avec David Yow (The Jesus Lizard) et Dave Grohl. On a commencé à répéter. Dave était sensé nous rejoindre à un moment, mais il n'est jamais venu. Fin du projet. Je ne sais même pas s'il était réellement impliqué dans ce truc, en réalité, parce que Krist a fini par faire ce show avec The Presidents of the USA - tu te souviens de ce groupe ? Il y a aussi eu ce show de Nirvana avec Paul McCartney à ce moment là… Bref, c'est une histoire plutôt dingue et floue, ce serait dur de résumer tout ça par « Dave Grohl n'est pas venu au rendez-vous ». On n'a pas maîtrisé grand chose mais ça nous a permis d'enregistrer avec Krist, c'est le principal.

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Basses Loaded s'ouvre sur « The Decay Of Lying », un de vos morceaux les plus cools de ces dernières années. Ensuite, vous embarquez l'auditeur dans un tas de directions différentes, avec une paire de morceaux vraiment bizarres dans le lot. Au final on se retrouve avec un disque qui sonne comme un genre d'opéra-rock entre Tommy des Who, les Butthole Surfers et Alice Cooper.
[Rires] Merci, je prends ça comme un compliment ! Et je pense que tu as absolument raison. Je crois qu'on aime vraiment les fausses pistes, même si on n'y pense pas exactement de cette façon là. Quand tu assembles un disque, tu réfléchis juste au genre de chansons qui devraient être dessus. On ne veut pas qu'elles se ressemblent toutes ou faire des disques trop thématiques. Peut-être que c'est un réflexe atypique dans l'industrie actuelle, mais on a envie que toutes les pistes sonnent de façon très différente. C'est plus intéressant. On se retrouve aussi dans l'esprit que tu as pu évoquer. Le sens de l'humour des Who a été une très grosse inspiration pour les Melvins, surtout cet album dont on est très fans, The Who Sell Out, avec cette fausse émission radio et ces spots de pub bidons. Je pense que certains des morceaux de Basses Loaded sont dans le même esprit. Notamment « Shaving Cream » et « Take Me Out To The Ball Game », qui est une chanson traditionnelle sur le base-ball. Le titre de l'album aussi est une référence au base-ball d'ailleurs [jeu de mot sur « bases loaded », quand un coureur occupe chacune des trois bases du terrain pendant une phase offensive]. Ce sont deux chansons bien ancrées dans la culture américaine.

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Et ça vous ressemble aussi pas mal. C'est une chanson écrite par quelqu'un qui n'avait jamais vu un match de base-ball avant et elle avait été reprise à la télé par Harpo Marx. Ça colle à la fois à votre affection pour l'absurde et à un hommage constant pour la pop culture white trash.
Oh ? Je ne savais pas que Harpo Marx avait repris ce morceau. Wow, je dois checker ça. C'est une très vieille chanson, elle a du tomber dans le domaine public. Ça nous était souvent arrivé de la chanter acapella pendant les rappels. C'est plutôt marrant parce que je te parlais de Steve McDonald… Je l'ai amené à son premier match de base ball et il m'a confié que cette chanson lui foutait les jetons. Elle le met très mal à l'aise parce que quand son fils est né, il a insisté pour être dans la salle pour la circoncision. Le docteur a dit : « ok mais tu dois d'abord chanter 'Take me out to the ball game' ». Et maintenant il doit la chanter tous les soirs, ça lui donne tout le loisir de repenser à ce moment.

Vos fans semblent juste attendre ce truc « à la Melvins ». Et vous, vous répondez en jouant toujours des choses plutôt différentes, d'une tournée sur l'autre ou même d'un soir sur l'autre. Parfois d'une chanson sur l'autre. C'est comme si vous mettiez à chaque fois ces attentes à rude épreuve - et pourtant tout le monde est content. Cette ouverture d'esprit chez votre public ne serait-elle pas votre vraie victoire au final ?
C'est comme à Noël, tu sais. Il y a tous ces paquets et tu ne sais pas ce que tu vas avoir comme cadeau. Tu peux avoir une idée, mais ce sera toujours une surprise quand tu déchires l'emballage. J'aime l'idée qu'on soit imprévisibles. J'aime l'idée que les gens devant la scène se demandent ce qui va se passer quand un morceau se termine. Ça provoque peut-être parfois un certain mécontentement, parce que les gens attendaient quelque chose de précis et qu'ils ont finalement eu un résultat totalement différent, mais quoi qu'il arrive, la qualité est la même car on bosse dur sur ce qu'on propose. Ça reste du fun pour nous, on n'a jamais changé de logique et c'est pour ça qu'on garde la même excitation aujourd'hui. Je suis heureux que notre public soit ouvert et curieux. Est ce que c'est une victoire ? Bien sûr. On change de line-up, on amène des groupes qu'on apprécie sur la route avec nous et à chaque fois, les réactions sont positives.

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Je vais faire une double citation de l'architecte Adolf Loos. Il disait « l'ornement est un crime » et aussi « n'ayez pas peur d'être vu comme hors des tendances ». Est-ce que les Melvins sont juste un update d'Adolf Loos finalement ?
[Il réfléchit] Notre devise à nous serait « la beauté est un crime ». C'est compliqué de parler des tendances parce qu'on voit que ce qui sort aujourd'hui est vite démodé. On est plus populaires aujourd'hui qu'on ne l'a jamais été. On a fait une tournée en 1986 où les gens pensaient vraiment qu'on était « ringards ». On était difficilement acceptés. Mais on savait aussi que ce qu'on faisait était ok. On savait qu'on était bons et on savait où on allait. Pour nous, c'est le monde entier qui était dingue de ne pas aimer ce qu'on faisait. C'était notre démarche. Alors je ne sais pas si on est en dehors des tendances : je crois plutôt qu'on a établi nos propres standards pour une tendance qui nous appartient à nous seuls.

Tu as l'impression que vous êtes incompris ?
Je suis plutôt content de ça, parce qu'on a été longtemps été considérés comme un groupe grunge de Seattle et que ça nous limitait d'une certaine manière. Je préfère qu'on soit vu comme un vieux groupe underground plutôt que comme un membre du mouvement grunge - techniquement c'est plus vieux, mais ce n'est pas le même « vieux », c'est un vieux qui vieillit mieux, au final. On joue tellement de choses différentes qu'on ne peut pas nous cataloguer dans un style particulier. On a notre propre style, peu importe de quel style il s'agit. On se fout que les journalistes aiment ou n'aiment pas notre travail. La critique rock en général n'est pas quelque chose qui m'inquiète énormément. On semble mieux compris par le public que par les critiques, finalement.

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Vous semblez avoir acquis une certaine stabilité avec les mecs de Big Business, mais vous avez aussi multiplié les projets parallèles avec le line-up de 1983, avec les Butthole Surfers ou avec Mike Kunka sous le nom Mike and the Melvins. C'est un moyen de gérer le passé et le présent sans avoir à choisir ? Un genre de luxe ?
Oui, mais c'est du hasard aussi. Je ne sais pas si on aurait pu faire tout ça avant ou si c'est juse que c'est le bon timing aujourd'hui. Le line-up des Melvins 1983 par exemple, c'est vraiment quelque chose qui est marrant à faire une fois de temps en temps. Notre batteur Mike Dillard vit près de Seattle et a un job « normal », une vie plutôt classique. Il peut prendre sur ses vacances pour faire une tournée rapide, mais on ne peut pas envisager beaucoup plus. Notre luxe à nous est là : on n'a pas de jobs alimentaires.

Tu peux me parler de ce documentaire sur le groupe qui va sortir, Colossus of Destiny ?
Pour l'instant, il est juste diffusé dans quelques cinémas sur la côte ouest. On connaît les deux gars qui ont géré le projet. Ils voulaient filmer un truc qui documentait un peu l'histoire du groupe. On les a aidés comme on pouvait en leur suggérant des gens qu'ils pouvaient interviewer, mais ce n'est pas notre film, c'est totalement leur film à eux.

Est-ce que c'est réellement possible de résumer 30 ans des Melvins dans une vidéo de 1h30 ?
[Rires] Le premier cut était, c'est vrai, beaucoup trop long. Il devrait y avoir une deuxième partie. Un sequel [Rires]. C'est toujours bizarre de regarder un film qui parle de toi, mais je ne me sens pas embarrassé par quoi que ce soit dans ce documentaire, je ne sais pas si ça parle sur la qualité du film, mais c'est un élément important pour moi. Gene Simmons de KISS fait une super interview dedans. Il comprend en fait très bien les Melvins. Qu'on n'essayera jamais de vendre des millions de disques. Qu'on est des gars qui bossent dur et qui font les choses à leur manière. Son intervention est vraiment cool.

Il faut dire que vous avez été la meilleure pub pour KISS de ces vingt dernières années. Il peut se permettre d'être cool.
[Rires] Oui c'est possible. Il est au courant de ce type de choses, c'est vrai. Mais c'était sympa de la part de Gene de faire cette interview.

C'est le label de Jack White, Third Man Records, qui a sorti les rééditions de vos albums Houdini, Stoner Witch et Stag. C'était surprenant que ce ne soit pas Ipecac.
Third Man voulait vraiment le faire. À l'origine, c'était à Atlantic de le faire vu que ces disques sont sortis chez eux. Mais on ne faisait pas vraiment partie des locomotives chez Atlantic, donc ce n'était pas du tout au programme. Third Man est très fan de ces albums en particulier, alors ils nous ont demandé l'autorisation de s'en occuper. Puis ils ont commencé à négocier les droits avec Atlantic. Puis ils ont essayé de récupérer les bandes master… Ça a été plutôt compliqué, mais je pense que le fait que ce soit Jack White qui demande directement à Atlantic Records, ça a été décisif, évidemment.

Vous vous approchez des 3000 shows, vous avez une liste d'albums tellement longue qu'on ne peut plus vraiment en garder un compte précis et on se souviendra probablement de vous comme du groupe ultime de la classe ouvrière du rock. Cette image vous convient bien ?
Oui parfaitement. C'est sans doute plus important que n'importe quelle étiquette. On travaille beaucoup. On sort trop d'albums et les critiques s'en plaignent. Le public s'y perd parfois. Mais on n'a pas changé d'approche depuis qu'on a commencé. On peut ne pas nous aimer, mais personne ne dira jamais qu'on a triché ou qu'on s'est embourgeoisés.