FYI.

This story is over 5 years old.

Music

Être adolescent et rappeur en Irak

On a rencontré MC LeeGo, un rappeur de 17 ans qui vit à Bagdad.

MC LeeGo n'est pas le dernier niveau frime.

Le rap n'en finit pas d'évoluer, de se diversifier et de se stratifier. Le boom-bap va et vient, la crank est tombée en désuétude et on fait de la trap jusqu'à Levallois. La scène est en constante mutation, en mouvement perpétuel. On ne connaitra jamais tout du rap, c’est impossible. Mais ce qui est sûr c’est qu’il franchit chaque jour de nouvelles frontières. Y compris celles de l'Irak. MC LeeGo a 17 ans, il est rappeur et vit dans le quartier de Al-Mansour à Bagdad. On a interrompu celui que les locaux surnomment « The Fastest Iraqi » en plein dans ses révisions pour le bac, afin de lui poser quelques questions sur la scène du Moyen Orient et sur ses ambitions dans un pays mis en miettes par 15 ans de conflits.

Publicité

Noisey : Pourquoi Mc LeeGo ?
C’est mon surnom. MC pour Maitre de Cérémonie et LeeGo c'est en référence à la Ligue des Champions.

Quand est-ce que le rap a débarqué en Irak, selon toi ?
Je dirais en 2004, avec Mr.Passion.

Tu as commencé quand, toi ?
Vers 2013, j’avais 15 ans. Au début pour m’amuser, puis j’ai vu que j’étais pas si mauvais. J’ai commencé à m'enregistrer avec un petit dictaphone. Après, j’ai pu m’acheter un micro professionnel. J’ai le strict minimum. Je pense que pour faire du bon son son, tu n’as pas besoin d’un studio, juste d’un bon mastering.

Tu m’as dit que tu étais fan de Tech N9ne et qu’il t’inspirait pas mal. Ce n'est pas une influence banale, surtout venant d'un rappeur Irakien.
Ouais, j’adore Tech N9ne. Pour moi c’est un tout, il n’est pas humain, c’est un monstre. Après je suis aussi influencé par des gars comme Qusai, Armando ou Syndrom.

Il y a de grands rappeurs en Irak ou au Moyen-Orient ?
Oui, il y en a beaucoup. Je ne pourrai pas tous te les citer mais il y a Qusai d’Arabie Saoudite, Ahmed Mekky d’Egypte, TIMZ qui vient aussi d’Irak. Et moi bien sûr, MC LeeGo !

Tu es surnommé « The Fastest Iraqi ».** C'est toi qui t’es auto-proclam**é rappeur le plus rapide ?
[Rires] Beaucoup de rappeurs m’ont dit que j’avais le flow le plus rapide qu’ils aient jamais entendu. Des mecs comme Eminem ! Bon, ok, je plaisante. On me l’a dit plusieurs fois, c'est vrai, mais je ne m’arrête pas à ça. Le rap n’est pas une question de vitesse.

Publicité

De quoi parles-tu dans tes textes ?
Au début, je ne faisais que répondre aux rappeurs des forums. Puis, quand j’ai compris le vrai rôle du rap, j’ai commencé à écrire des textes plus « politisés ». Tu peux parler de tout, mais ça reste risqué de parler de politique. Perso, je dis des choses qu’ils ne veulent pas entendre. Tu sais, tous les rappeurs ici en ont après les politiques. S’ils ne veulent pas nous protéger alors qu’ils dégagent.

C’est dur d’imaginer une culture hip-hop en Irak, dans un pays aussi rigide et morcelé…. Comment les gens ont réagi à ta musique ?
Au début c’était dur de faire comprendre aux gens ce qu’était le hip-hop et le message qu’il délivrait. Mais les jeunes ont commencé à s’y intéresser et à balancer des insultes sur des beats. Ce n’est pas considéré comme péché de rapper, tu peux parler de meufs, de drogues, d’argent et d’armes… Les gens s’en tapent car ce sont des choses inexistantes dans nos communautés. Certains pensent quand même qu’on est des bouffons qui perdons notre temps.

En France, on a énormément de courants différents dans le rap. On retrouve la même variété de styles en Irak ?
Oui, on a différents styles de rap, mais les mecs qui sortent un truc nouveau se mettent souvent en danger. Ici, on préfère les styles classiques, old-school et les choses rapides dans le style Dirty South ou Midwest.

Tu m’as parlé d’un crew irakien, tu peux m’en dire plus ?
Oui c’est MOA, Masters Of Art. Il sont onze rappeurs, deux designers et un manager. Après, en Irak, ce n’est pas le même état d’esprit qu’en France ou aux USA. Ici c’est surtout pour le plaisir, il n’y a pas de rivalité. Même si récemment, il y a eu des petites « battles » entre les rappeurs de Bagdad et ceux du sud du pays. Mais rien de méchant. Une fois de plus, c’est un truc qu’on fait pour s'amuser.

Publicité

Il est possible aujourd'hui de vivre du rap au Moyen-Orient ? Il y a des maisons de disques, des labels ?
Tu peux faire de l’argent avec les vues sur YouTube. Après, on a des maisons de disques, oui, mais aucune n'est spécialisée dans le hip-hop. Certaines vont soutenir les rappeurs en leur faisant de la promo mais rien n’est gratuit dans ce business…

Tu veux dire qu’il faut payer les labels pour qu’ils te fassent de la pub ?
Oui, rien n’est gratuit pour les rappeurs ici.

VICE avait suivi Acrassicauda, un groupe de heavy metal de Bagdad, pendant la chute de Saddam Hussein. On voyait qu’ils avaient énormément de mal à trouver des concerts. C’est pareil pour les rappeurs ?
Ouais, ce n’est pas évident. J’ai seulement fait deux concerts depuis 2013. Un lors d’une fête au lycée et l’autre au Valentine Café, un bar de Bagdad. Et c’était vraiment cool.

Tu m’as dit que tu préparais un album.
Il s’appellera For Advanced Brains. Il y aura 9 morceaux et des featurings avec des gens comme N9ne Paco, MC Haider ou KIOSHE, des rappeurs du coin.

Il ne sera disponible que sur le net ?
Oui ! Pas le choix, impossible de presser des CDs ici…

Et j'imagine que c'est pareil pour tes prods.
Oui, je les chope presque toutes sur le net. Sinon c’est mon pote MCKILL22 des Emirats Arabes-Unis qui me les envoie. Comme je t’ai dit, rien n’est gratuit en Irak alors Internet se présente comme la seule solution viable.

Selon toi, le rap oriental est un style à part entière ?
On s’inspire beaucoup de ce qui se fait à l’étranger, mais on garde notre identité grâce à certains beats, certaines prods, qui ont une touche orientale. Mais notre force réside dans notre utilisation des forums, je pense.

Comment ça ?
En fait, tous les mecs qui commencent dans le rap vont mettre leurs morceaux sur des forums dédiés. Ensuite, les gens vont les noter et leur attribuer une place dans un classement. Tu as différentes catégories : débutant, expert, expert+, vrai rappeur, rappeur pro, rappeur underground, vrai MC, rappeur de légende. Dans tout le Moyen-Orient, il n’y a que 3 mecs qui ont le grade de « Legend Rapper », moi, je suis considéré comme « vrai rapper ».

Pas mal ! Merci à toi et bon courage pour le bac.
De rien mon ami. Salim Jawad est sur Twitter.