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Music

Face à Mark E. Smith, vous n'êtes que des insectes

L'increvable leader de The Fall nous a parlé de Manchester, de ses fans et des gangsters avec qui il s'est associé pour aller péter la gueule des types qui l'importunaient sur Facebook.

PhotosNatasha Bright

Il n’y a pas deux mecs comme Mark E. Smith. La dernière fois que j’ai interviewé le leader de The Fall, il a essayé de m’enfiler un stylo Bic dans le nez pour me prouver qu’un crayon était aussi puissant qu’une épée. Dire qu’il est imprévisible et ingérable est le plus doux des euphémismes. Increvable aussi, comme The Fall, le groupe pourri par la vermine qu'il traîne contre vents et marées depuis 39 ans et qui s’apprête à sortir Sub-Lingual Tablet, son 31ème album studio. Très vite avec Mark, on réalise que faire l’interview d’une traite s'avère absolument impossible. Si vous vous présentez à lui avec un tas de questions précises en espérant qu’il y réponde de manière détaillée, vous êtes bons pour une bonne grosse humiliation (publique, pour peu que vous ayez eu la mauvaise idée d'accepter de faire votre entretien dans un pub). La seule solution pour espérer en sortir en un seul morceau, c'est de laisser les choses se faire, car peu importe la question, il y répondra par quelque chose qui n’a aucun rapport. Moi, par exemple, je l'ai rencontre le soir des élections au Royaume-Uni et je lui ai tout naturellement demandé s’il avait pris le temps d’aller voter. Le mec a quand même réussi à me répondre « oui et non » avant de me sortir une histoire sans queue ni tête où il s'est perdu entre deux bureaux de votes qui s'étaient avérés ne pas être les bons, avant de finir, sans trop qu'il ne comprenne pourquoi, sur un parking.

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Dans une réponse qui collait à peu près à ma question sur son origine géographique, Mark m’a toutefois déclaré : « Je n’ai jamais considéré The Fall comme un groupe du Nord de l'Angleterre. On a toujours été un groupe international. Je n’aime pas les gens du Nord, je n’aime pas les Mancuniens. Il y a un truc chez les musiciens de Manchester qui m’irrite au plus haut point. Ils se croient supérieurs alors qu’ils ne le sont pas. Commes les Londoniens avant. Le seul patrimoine de Manchester c’est Freddie and The Dreamers. Tu viens d’où toi, Sheffield ? » Je réponds oui . « OK, Sheffield c’est de la merde. Je joue à Wakefield samedi — un de mes potes m’a dit que c’était le Vegas du Nord. Londres a toujours été un trou à merde. Je viens de Salford, on ne bouge pas de chez nous parce qu'on est des branleurs, c’est dans nos gènes. »

J’ai ensuite essayé de demander à Mark si Salford avait changé au fil des années ou si la ville avait toujours été aussi triste et glauque que sur les peintures qu'on connaît d'elle. « Il n’y a jamais eu de peinture de la ville. Je n'ai rien de spécial contre Salford, en fait, c’est surtout que je n’aime pas Manchester. Je me suis perdu en venant jusqu’ici. Non, vraiment, je ne plaisante pas, c’est vrai. Au cours de ces dernières semaines au moins 85 nouvelles maisons ont été construites. » Il pointe du doigt le Nothern Quarter [Quartier Nord-Est de Manchester ], symbole de la gentrification du centre-ville : « Ça, c'est un truc qui m'énerve. Ça ne nous apporte rien, pas vrai ? Restez à Londres, bordel ! »

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« Je me rappelle qu’à l’époque où j’enregistrais à Sheffield, c’était the place to be. Après la vague Human League et consorts, il y a eu une très bonne scène dance et beaucoup de reggae dans les années 90, c’était vraiment cool. C’était un bel endroit. Mais ça c’était avant que Blur ou je ne sais plus qui arrive.»

« Tu veux parler de Pulp ? »

« Oui, voilà. Et puis il y a eu le Crucible [Qui existe en réalité depuis 1971 ] et la ville est devenue chiante. Un peu comme avec la Hacienda à Manchester : au début c’était cool puis c’est devenu chiant. Puis je suis parti à Edimbourg et aujourd'hui c’est vraiment un endroit bobo et super ennuyeux. »

Mark se met à fouiller dans son sac en cuir noir et en sort un vieux bout de papier froissé. « Tu comprend le Yorkshire ? », me demande-t-il en me le tendant. « Je viens de recevoir une lettre d’un ami de Wakefield mais je n’y comprends rien ! Tu pourrais me la lire ? » J’ai donc essayé de traduire du mieux que je pouvais la lettre, pendant que Mark feuilletait le calendrier avec des photos de paysages australiens qui accompagnait la lettre. Je lui ai alors fait remarquer que l’année était déjà bien avancée et qu’il était peut-être un peu tard pour qu’on lui envoie un calendrier. Pour seule réponse, Mark m’a dit « Tu t’attendais à quoi ? Mon pote vient du Yorkshire. »

Il existe plusieurs clichés sur les fans de The Fall : ils sont vieux, chauves, ils ont du bide, ils aiment la bière, ils sont célibataires et ont en leur possession des centaines d’enregistrements des Peel Sessions [légendaires sessions de l'émission de John Peel sur BBC Radio 1] du groupe sur cassette. Et malgré leur indéfectible loyauté, Mark ne les aime pas vraiment. « Beaucoup de nos nouveaux fans sont complètement hystériques. Ils se montrent très hostiles encvers tous ces vieux dégarnis. Je trouve ça génial, j’adore ! Je suis de tout coeur avec eux. Je déteste les vieux ! On ne devrait pas laisser entrer les gens de plus de 43 ans à nos concerts. 40 maximum. »

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Pendant ces deux heures d‘interview, on a abordé des sujets totalement différents. Pendant vingt minutes, nous avons parlé du Deep Web et de Silk Road— et c’était sûrement les vingt minutes auxquelles je m’attendais le moins. Même s’il n’a pas d’ordinateur, ni de smartphone ni même d’accès internet, Mark connait les Bitcoins. « J’avais un pote juif, il a mis toutes ses économies dans ces putains de Bitcoins et le lendemain leur cours s’est effondré. Il m'a dit : « Mark, il fallait que je tente le coup ». Il a investi 15 000 £ (soit 20 500 €) là-dedans. Depuis je ne l’ai pas rappelé. Aujourd’hui les Bitcoins ont la même valeur que l’argent. » Mark s’arrête et change de conversation en un quart de seconde. « Tu as déjà lu The Circle ? » me lance-t-il.

« Non, c’est de qui ? »

« Je ne sais pas, un abruti quelconque. Mais le livre est vraiment bien. »

Une fois de plus on s’est éloigné du sujet, pour parler d’un un vieil épisode du BBC Culture Show sur The Fall présenté par Frank Skinner avec la participation de fans du groupe célèbres, comme Grayson Perry et Stewart Lee. « Frank Skinner ? J’essayais de me tenir loin de ce genre de mec, je préfère parler à des gens comme toi. Il fait quoi maintenant ? Des pubs pour HP Sauce ? »

À l'arrivée, on a fini par parler du nouvel album du groupe. Comme avec chaque album de The Fall, on peut s’attendre à passer en moins de deux minutes du sublime (« Autochip 10-14 », « Dedication Not Medication ») au grotesque (« Quit Iphone », « Facebook Troll »). En parlant de « Facebook Trolls », la dernière fois que j’ai rencontré Mark il était en train de s'associer à des gangsters de Manchester pour traquer les personnes qui tentaient de l’intimider sur le net et « leur défoncer la tête ». Un an après, je lui ai donc demandé où en était toute cette affaire : « Ça m'a vraiment obsédé pendant un moment. C’était quelque chose qui me préoccupait depuis un bout de temps. Quand je t'ai dit ça, ma femme m’a dit qu'en lisant l'interview, on avait juste l'impression que j'étais un psychopathe. Mais sur les quatre mecs qu’on cherchait, il y en a un qui s'est excusé, un qu'on a explosé et deux qui ont disparu dans la nature. »

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Nous avons ensuite parlé de « Stout Man » l’un des titres du nouvel album, qui sonne comme du Stooges période Raw Power. « On a fait ce morceau parce que les membres du groupe n'arrêtaient pas de parler des Stooges. Comme je suis bien plus âgé qu’eux, je leur ai sorti : 'vous ne connaissez rien aux Stooges, les mecs'. Ils pensaient que les morceaux du groupe se basaient sur une simple construction La/Mi/La/Mi, du coup je leur 'OK, bande d'abrutis, essayez de jouer « Cock In My Pocket ». Je savais que ce morceau n’était sur aucun de leurs LPs mais bien sûr ils ont réussi à le trouver sur eBay ou en le shazammant. Je les ai mis au défi d’apprendre ce morceau. » Et ils ont relevé le challenge. Peut-être même un peu trop, au goût de Mark: « Ils me l’ont faite à l’envers, ils n'ont pas arrêté de faire des allers-retours en studio pour rendre le morceau plus puissant, plus carré. Je n’ai pas réussi à les prendre la main dans le sac mais un jour, alors qu’on était en route pour Londres, j'ai trouvé sous un siège un CD couvert de poussière sur lequel il y avait le mix orignal du morceau. Je leur ai donc dit de se baser dessus; ils avaient dû en faire huit ou neuf versions différentes, c’était pathétique. Ils ont plus travaillé sur ce morceau que sur n’importe quel autre titre de l’album. »

« Intéressant ».

« Non, ce n’est pas intéressant du tout ! C’est une putain de perte de temps. Ils auraient dû bosser sur autre chose mais ils ont juste travaillé et retravaillé ce titre. Ce CD était un don du ciel. »

On a terminé l’interview dehors pour que Mark puisse griller une cigarette. En balayant le quartier du regard, passant des nouveaux buildings aux plus anciens, qui bientôt seront rénovés, il me lance : « Avant dans ce quartier tu pouvais trouver du poisson tropical, des psychopathes fous à lier et des homosexuels. » Et honnêtement, je n'ai jamais entendu une publicité pour Manchester aussi belle et fidèle que ça.

Daniel Dylan Wray est sur Twitter.