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Music

Il va falloir vous faire une raison : Marietta est condamné à l'excellence

Le chanteur-guitariste de Feeling Of Love nous parle de fourmis, de basket-ball, de Grover Lewis et de son premier album solo, qu'on vous présente en intégralité.

Photo - Vladimir Besson

Ça pourrait n'être qu'un disque de plus dans la cacophonie ambiante, une de ces sorties sur lesquelles on s'arrête une heure ou deux, le temps de voir si ça mérite vraiment qu'on s'énerve, mais c'est autre chose, c'est complètement autre chose. Ça a commencé il y a presque un an, le 21 juin -date pourtant funeste pour la musique- à très exactement 22h27, par ce mail de Guillaume Marietta, chanteur-guitariste de Feeling Of Love, m'annonçant en quelques phrases courtes et sans ponctuation, qu'il avait enregistré une dizaine de morceaux en solo, à la maison, pour un nouveau projet dont il ne savait encore pas quoi faire, hésitant entre utiliser ces enregistrements tels quels ou les refaire complètement. Pour toute note d'intention il ne laissait que cette ultime ligne : « J'avais besoin d'être seul à nouveau, de bricoler dans mon coin sans aucune contraintes et de sortir toute la merde que j'avais dans la tête (il en reste je te rassure) ».

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La situation méritait réflexion, elle sera finalement expédiée en un peu moins de trois écoutes : « Chewing Your Bones », « Death To The Music », « Tiger Trap », ou « The NBA Conspiracy » n'étaient pas de ces morceaux qui excitent et enthousiasment, c'étaient de ceux qui terrassent, qui pétrifient, qui viennent réveiller quelque chose d'imperceptible et d'intouchable en vous, une notion dormante, un pressentiment ancien. Une musique de fantômes, sans âge, sans repères, effondrée, brisée par un sentiment de regret infini. Après quelques semaines d'hésitation, Guillaume prendra finalement la meilleur décision possible en confiant cette poignée de démos à Olivier Demeaux de

Cheveu

qui, sans les dénaturer, les retouchera juste assez pour qu'on puisse enfin les écouter 10, 20 fois d'affilée sans risquer l'épuisement ou l'asphyxie.

Le résultat sort demain, mardi 5 mai, sur

Born Bad

, ça s'appelle

Basement Dreams Are The Bedroom Cream

et vous pouvez l'écouter sans plus attendre ci-dessous pour la première fois dans l'Histoire des

musiques de fantômes, sans âge, sans repères, effondrée, brisée par un sentiment de regret infini. On a profité de l'occasion pour aller passer un moment avec Guillaume, avec qui on a parlé

de fourmis, de basket-ball et de Grover Lewis.

Noisey : J’ai eu la chance de pouvoir suivre ce projet solo depuis le début, vu que tu m’avais fait écouter les démos il y a presque un an, mais je ne connais pas forcément tous les épisodes qui ont mené à ce premier album. Ça t’es venu comment ?

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Assez simplement. J’ai commencé à enregistrer chez moi, mais je ne me suis pas dit tout de suite : « ok, je vais faire un truc solo ». C’est venu petit à petit, j’ai senti que je partais vers quelque chose d’autre, une atmosphère différente de celle de Feeling Of Love. Après deux albums en studio, je retrouvais le plaisir d’enregistrer seul à la maison, comme aux tous débuts de Feeling Of Love, avant que ça ne devienne un vrai groupe. Ça a donc donné cette collection démos, mais je n'étais pas sûr d'avoir envie de les sortir en l’état. Je voulais les produire. Pas les refaire en studio hein, juste les bidouiller un peu pour faire ressortir certains sons, agencer un peu tout ça de façon à ce que ce soit plus abouti, plus agréable à l’écoute aussi. De toute façon j’aurais pas pu refaire ces morceaux en studio. Tout avait été enregistré sur un vieux magnéto 4 pistes, avec plein d’accidents, de moments où j’ai loupé une prise, où j’ai effacé un truc par erreur, et comme j’avais plus de K7 vierges, j’ai tout enregistré par dessus des vieilles copies d’albums. Tu peux d'ailleurs entendre des bouts de Kraftwerk, de Johnny Cash ou des Cramps ici et là… Tout ça, je ne pouvais pas le refaire en studio.

Tu as donc fait appel à Olivier de Cheveu.

Je voulais faire appel à quelqu’un avec qui j’avais jamais bossé. Mais je ne savais pas qui. J’ai pensé un moment le faire avec Orval Carlos Sibelius, parce que j’avais beaucoup aimé la production de son album

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Superforma

, mais ça ne s’est pas fait. J’ai fini par en parler avec Olivier, un soir, après un concert à Marseille avec Cheveu. On se connaît depuis longtemps et il vient du DIY et de la musique lo-fi comme moi, donc je savais qu’il me comprendrait et que je pouvais avoir confiance en lui pour garder ce côté brouillon. Il a juste numérisé les démos et les a mixé de façon plus précise.

Ce qui est vraiment bien, c’est que le côté brut, spontané et un peu chaotique des démos est toujours là, mais l’ensemble est beaucoup plus agréable à écouter. Les morceaux se confondent beaucoup moins les uns avec les autres, il y a beaucoup plus de contraste.

On a mis un peu de temps à trouver le truc. Le défi, c’était de garder le son très chaud des démos, tout en gommant le côté « empilement de sons » qui peut être très chouette sur un titre ou deux mais qui vite devenir fatigant sur un disque entier.

Cette idée de prendre ton nom de famille pour baptiser le projet, c’est bêtement logique ou c’est plus réfléchi que ça ?

Non, ça a pris un peu de temps. Je cherchais un nom et, un soir, un pote de Metz m’a fait : « pourquoi tu t’appellerais pas Marietta tout simplement ? » Au départ, j’étais pas vraiment pour, j’ai jamais été particulièrement fan de mon nom et puis, je sais pas, ça me plaisait moyen… Mais en y réfléchissant, ça m’a semblé être une bonne idée finalement, parce que Marietta c’est à la fois un prénom féminin et une ville aux USA. Et la ville et les filles, ce sont vraiment les deux thèmes qui nourrissent ma musique. A partir de là, le nom m’échappe un peu et c’est bien. C’est moi, mais c’est aussi autre chose.

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Il y a quelques titres qui m’ont intrigué sur ce disque. « The NBA Conspiracy » par exemple, qui renvoie à cette obsession pour le basket-ball dont on avait déjà eu un aperçu aux tout débuts de Feeling Of Love avec « Jordan’s Rules ».

« The NBA Conspiracy », c’est mon morceau John Lennon. Je suis tombé un jour sur son morceau, « Mother », que j’ai immédiatement adoré. Un truc hyper simple, avec un son génial, et un côté hyper direct et grisant dans ses paroles et sa manière de chanter. Je lisais d’ailleurs il y a peu de temps un truc sur Lou Reed où il racontait qu’il avait bloqué sur ce morceau et c’est ce qui l’a guidé dans la composition de

Berlin

. Il y a un truc dans « The NBA Conspiracy » qui m’a fait penser à ce morceau de Lennon, du coup je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose de très simple et direct au niveau des paroles et du chant. Je suis donc revenu à mon adolescence, au basket-ball… C’est un truc qui ne me lâche pas. Pour moi les 90’s , c’est Michael Jordan et Kurt Cobain. Tu mets une photo de ces deux mecs côte à côte, ça résume la décennie. Bref, ça revient encore et je n’en ai pas fini avec ça, je pense [

Rires

]

Et « Somebody Else Is Living Your Own Life » ?

J’étais au soleil, sur une terrasse, il y avait des chaises en plastique autour de moi… Et j’ai vu des fourmis sur cette chaise en plastique… Et je suis parti là-dedans [

Rires

]. Ça parle de ça, en gros. Et de « Holidays » de Polnareff [

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Rires

] Mais je ne peux pas t’en dire plus. Je préfère que ça reste un peu mystérieux. J’allais pas hyper bien à l’époque. Avec le recul, je me rends compte que j’étais vraiment déprimé. J’ai composé tous ces morceaux durant une période un peu compliquée. Ça se ressent parfois. Ma copine n’arrive pas à écouter ce morceau, par exemple. Il lui file le cafard.

Pourtant, dans l’ensemble, c’est un disque plutôt léger, spontané, positif même.

J’ai veillé à ça, justement. Pour ne pas me laisser déborder. Je voulais quelque chose de léger, de simple. Des chansons qui puissent être jouées en mode guitare/voix. À partir du moment où le morceau fonctionnait, j’enregistrais et ensuite j’ajoutais des effets, tous ces sons un peu bizarres. Mais c’est vraiment avec le recul que j’ai réalisé que c’était une sale période. Des moments où j’étais coincé à Metz, où je n’étais ni en tournée, ni avec ma copine, ni avec ma fille. Alors plutôt que de ne rien foutre et de broyer du noir, j’ai fait ces morceaux. Quand je ne fais pas de musique, j’ai l’impression de ne servir à rien. Donc j’ai pas vraiment le choix [

Rires

].

« Father », ça a un lien avec la pochette où on te voit, justement, avec ta fille ?

Non, ça vient d’un article de Grover Lewis. Ma copine m’avait offert

Freelance

, le livre que Philippe Garnier a écrit sur lui et dans lequel tu retrouves pas mal d’extraits d’articles, en français en anglais. J’ai été saisi par son style et sa manière de parler des gens, de rentrer dans l’ambiance. Il y a notamment ce texte où il revient dans la ville où il a grandi pour couvrir le tournage d’un film tiré du roman d’un vieux pote à lui resté sur place et il commence à gamberger, à se souvenir de son enfance et de son père qui était alcoolique et très violent – il a quand même tiré sur sa mère. Ça m’a pas mal touché, il y avait des images que je trouvais vraiment belles et puis ça faisait un peu écho à mon histoire personnelle et à ma relation avec mon père.

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Tout à l’heure, tu me parlais de John Lennon. Quand tu m’as fait écouter les démos, ça m'a immédiatement fait penser à certains trucs de John Frusciante. Il y a des gens comme ça qui t’ont servi de repères ou de modèles sur ce projet ?

Ce serait plus des soutiens que des repères. Des gens comme Cate Le Bon, Kevin Morby ou Mac DeMarco m’ont un peu apaisé, mais je ne saurais pas te dire pourquoi. J'avais l'impression qu'on n’était plus dans la course à la puissance, que ça se posait moins de questions… Ce qui me travaille depuis longtemps, c’est de trouver un langage qui me soit propre en musique. Je parle pas de faire un truc nouveau ou original, mais quand je joue, j’ai envie de sentir comme une prolongation naturelle de ce que je suis. Ça m’arrive d’être sur scène et de me dire « là, c’est pas moi ». Je cherche ce truc là, j’ai envie que ce soit limpide. Mais, ça, il n’y a que moi qui peut le savoir…

C’est un peu l’objectif de tous les musiciens. Enfin, peut être pas de Kasabian ou de Salut C’est Cool, mais de tous les gens qui expriment un truc vraiment personnel.

C’est un drôle de truc, parce que tu dois rester toi-même, tout en ouvrant les clés de ton cerveau à des gens que tu ne connais pas. Tes propos n’ont pas besoin d’être autobiographiques ou véridiques. Tu peux raconter des histoires. C’est plus une histoire de sensations. Iggy Pop, par exemple, il a fait de très bons textes, mais son truc, son langage, c’est son corps, c’est évident. Sauf que moi je suis pas Iggy Pop et je me foutrai jamais à poil sur scène, donc je cherche mon truc. Et le fait de faire ces morceaux seul chez moi, sans personne sur le dos et sans avoir à me demander si ça va sortir ou non, ça m’a aidé. Je faisais mon truc et dès que je sentais que c’était bon, c’était bouclé. Après, j’ai pas mal de doutes. Parfois je fais un truc, ça me plait pendant une semaine et puis je me dis que je me trompe, que je me suis planté…

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Photo - Vladimir Besson

Ce projet, ça va se traduire comment sur scène ?

Avec un groupe. Là, je sors de répète, on fait notre premier concert au

Garage MU

la semaine prochaine. Forcément, le coté bricolo de l’album sur scène c’est impossible à retranscrire, donc sur scène ça va sonner un peu plus rock. J’ai pas encore trop de recul dessus, mais je sais que je prends du plaisir à jouer ces morceaux avec ces personnes là, qui sont prêtes à se mettre au service des morceaux. J’ai fait deux concerts dans des galeries, des petits sets de 30mn en solo pour voir si ça tenait la route. Quand j’ai vu que ça marchait, je me suis dit qu’on pourrait les jouer de plein de manières différentes.

Ce ne sont que des nouveaux musiciens ?

Oui, à part Henri de Feeling Of Love qui fait également partie du groupe.

Tu en es où avec tes autres projets ? Plastobéton, j’ai cru comprendre que c’était mal barré.

Oui, Plastobéton, je pense que c’est malheureusement terminé. On a pas de nouvelles de Sidney (le chanteur du groupe), qui nous a plantés en décembre dernier. On s’était donné rendez-vous à Metz pour composer l’album, je me suis pointé avec tout le matos. Je suis aller chercher Nafi (claviers, également membre de Scorpion Violente, The Dreams et

Noir Boy George

entre autres) et sur le chemin du local de répète, j’ai reçu un texto de Sidney qui nous disait qu’il laissait tomber. C’est quelqu’un de très fragile. Je ne connais pas trop ses raisons.

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Et Feeling Of Love ? Les nouveaux morceaux que vous avez joué au Café de la Danse en septembre dernier étaient incroyables.

On bosse sur le nouvel album. Là, on en est à peu près à la moitié. On voulait faire quelque chose de plus décontracté, on a donc fait ça à Metz dans le studio du batteur du Singe Blanc. Le son est super, les prises sont mortelles.

Reward Your Grace

s’est fait trop vite, ça nous a vraiment frustrés et là avec le groupe éclaté entre plusieurs villes, ça peut vite devenir compliqué, donc on prend notre temps.

Du coup, là, ta priorité, c’est Marietta.

Oui, le live d’abord, et ensuite un nouvel album. J’ai envie de m’y remettre, là. Me retrouver tout seul avec ma guitare et mon magnéto, ça me manque déjà.

Basement Dreams Are The Bedroom Cream sort demain, mardi 5 mai, sur Born Bad. Vous pouvez le commander ici. Marietta sera en concert ce jeudi 7 mai à Paris, au Garage MU, pour la release party de la compilation du Garage, aux côtés de Maestro et Etienne Jaumet. Vous pourrez également le retrouver le dimanche 24 mai sur la scène Labels de Villette Sonique. Lelo Jimmy Batista est le rédacteur en chef de Noisey France. Il est sur Twitter - @LeloJBatista