FYI.

This story is over 5 years old.

Music

Low Jack a sorti un album noise dédié au vêtement

« Sewing Machine » parlera à chacun d'entre vous, que vous soyez plutôt Fruit of the Loom, tissu africain ou nostalgique de la marque Fubu.

Alors que la communauté urbaine de Bordeaux profitait de la commémoration de l'armistice de 1945 pour prendre la direction du bassin d'Arcachon, Low Jack se préparait à tout défoncer au Café Pompier en compagnie de Black Zone Myth Chant. Si vous avez fait partie des types qui, comme moi, ont dit « Non ! » aux plaisirs éphémères de la plage et des relations amoureuses à risques afin de profiter d'un set mémorable, vous ne l'avez pas regretté. Pas un seul instant.

Publicité

Le premier album de Philippe Hallais, dont on vous avait parlé ici-même, l'avait amené à se pencher sur le catalogue ethnomusicologique du musée du Quai Branly afin d'en tirer « Garifuna Variations », odyssée musicale sur un peuple noir des Caraïbes. Aujourd'hui, il fait son grand retour au sein de la civilisation moderne décadente avec Sewing Machine, un LP de 8 titres étouffants qui vient tout juste de sortir sur In Paradisum.

Malgré ses déplacements réguliers en province et l'inauguration de son label il y a quelques mois, Low Jack a pris plus d'une heure de son temps pour répondre à mes questions, alors que j'étais encore étourdi par les nouvelles pérégrinations de Max Rockatansky.

Noisey : Je sors du cinéma là. J'ai été voir le dernier Mad Max et j'ai l'impression d'avoir retenu ma respiration pendant deux heures. Je viens tout juste de réaliser que ton album m'avait fait le même effet. T'en penses quoi ?

Low Jack

: En ce qui concerne mon disque, c'était clairement l'effet escompté. Sinon, pour ce qui est de

Mad Max Fury Road

, j'ai été le voir hier et pour moi c'est le film de l'année. C'est un blockbuster ultime mais en même temps hyper exigeant cinématographiquement, avec une idée constante de mouvement tout en effectuant un tour sur soi-même. Ça a beau être à la mode de revendiquer un côté « film d’auteur » dans les blockbusters, c'est souvent raté. Comme chez Nolan. Pendant le film, comme tu l'as dit, il y a une réaction physique qui se produit. On reste accroché du début jusqu'à la fin, tout en étant dans un état de jubilation et de plaisir intense.

Publicité

Ça ne te ressemble pas d'être aussi enjoué. Dans le descriptif de ton album, on peut d'ailleurs lire que « la ville va tous nous tuer ». Tu en es sûr ?
Oui, je suis très pessimiste en fait. Je n'essaie même plus de changer les choses, j'ai abandonné. Je ne cherche pas à « m'engager » parce que je suis convaincu qu'on est tous perdus, quoiqu'il arrive. J'essaie de ne pas être totalement désabusé mais c'est très dur. Personnellement, je me prépare déjà à quitter la ville, à partir loin, dans une ferme, sans électricité. Je suis convaincu que j'y arriverai.

Je vois. Et sinon, pourquoi avoir choisi de rendre hommage à la machine à coudre – sewing machine en anglais – alors que ta musique se base surtout sur des sonorités industrielles et métalliques.
Une machine à coudre, ça a un rythme précis, mécanique, tout en restant dans le domaine du travail manuel. J'ai toujours aimé confronter tradition et modernité, c'était déjà le cas avec « Garifuna Variations ». J'essaie d'explorer cette dichotomie dans ma musique sans tomber dans le statement non plus. Avec Sewing Machine, j'ai voulu basculer dans un truc primitif mais aussi très second degré, prendre de la distance avec ce qu'on peut attendre d'un disque brut. On peut presque parler de pastiche. Tu peux comparer ça avec un film d'horreur de série Z, où l'on intègre le plus de grotesque possible pour arriver au bout d'un propos.

Cette distance, on l'observe aussi avec l'artwork de l'album, qui est hyper coloré.
C'est un choix conscient. Cette image donne l'impression d'être en face d'un tissu africain traditionnel, alors qu'il est en fait fabriqué en Hollande en quantité industrielle selon des procédés qui n'ont rien d'artisanaux. C'est ce « marketing de la tradition », qui fonctionne à plein régime aujourd'hui, que j'ai voulu mettre en avant.

Publicité

Lors de la sortie de ton premier album, tu nous avais avoué avoir en tête un autre LP. C'est de Sewing Machine dont tu parlais ?
Non, ce n'est toujours pas celui-là. Je n'ai pas réussi à finir le disque que j'avais évoqué à l'époque. En fait, Sewing Machine a été fait en 10 jours. Cette rapidité était voulue. Ça m'a permis de clore un chapitre de manière brutale, en reprenant les codes de la noise et de la musique industrielle tout en y ajoutant du grotesque. Après avoir grossi le trait à l'extrême, je ne peux plus ajouter quoi que ce soit.

Tu écoutes de la noise depuis longtemps ?
Pour tout te dire, avant de faire ce disque, je n'y connaissais quasiment rien. J'aime bien avoir une approche assez naïve des choses. Pour cet album, je me suis surtout inspiré de Kool Keith. Je faisais pas mal de skate quand j'étais plus jeune et Kool Keith était vraiment le rappeur des skateurs - un mec ghetto qui plaisait aux petits blancs. C'est son côté second degré qui m'a toujours plu. Ses textes sont crus, l'iconographie qui entoure ses clips et ses pochettes est ultra gangsta, mais ça reste très drôle. C'est cette approche qui m'a vraiment inspiré. Ça prouve que l'on peut prendre une direction radicale sans pour autant devenir chiant, en restant dans l'amusement.

C'est pour t'amuser que t’as appelé ta dernière chanson « Fruit » ? Contrairement aux autres tracks, ça n'a rien à voir avec les fringues.
En fait, si. Si tu combines « Fruit » avec « Loom », qui est le nom du premier titre, tu obtiens Fruit of the Loom, la fameuse marque de fringues basiques, et ses T-shirts monochromes. Ça rentrait bien dans le propos. J'évoque toujours la fabrication industrielle du vêtement tout en parlant d'un truc un peu idiot, assez cheap.

Publicité

Tu fais aussi référence à Fubu, la marque de fringues hip-hop des années 90.
Ouais voilà, c'est aussi un truc idiot. Je suppose que l'interprétation de mes chansons n'est jamais très facile à première vue, mais qu'en intégrant des références un peu partout, ça permet aux gens de comprendre où je veux en venir.

Justement, tu peux m'expliquer où tu veux en venir en intercalant « Lube Money », qui est presque arythmique, entre deux titres remplis de kicks, « Body Control » et « Sweatpants Chick ».
À mes yeux, la narration est un élément essentiel, c'est pour ça que je passe énormément de temps à réfléchir à ma tracklist. Mes réflexes de DJ prennent souvent le dessus et j'adore alterner les phases intenses et les phases de relâchement. Je m'inspire pas mal des DJ’s new-yorkais des années 80 qui utilisaient des genres très différents pendant leur mix sans que la narration soit oubliée.

Si je te dis que « Zaltan's Jacket » me fait penser à une version sombre et crade de « Rollin' & Scratchin' » des Daft Punk, tu en penses quoi ?
Pour moi, Roulé a été un label formateur. J'adorais le fait de reprendre les codes de la ghetto house tout en intégrant un truc français. Pour « Zaltan's Jacket », c'est un peu arrivé comme ça, par hasard, mais c'est clair que c'est un titre très référencé.

J'imagine que le « Zaltan » fait référence au boss d'Antinote, qui est l'un de tes amis. J'ai vu que tu avais aussi collaboré avec Qoso il y a quelques temps. Travailler en équipe, ça te tente ?
Je t'avoue que j'aime bien bosser seul. En ce moment, je m'ouvre un peu plus, mais avec beaucoup de prudence. À mes yeux, collaborer avec un artiste uniquement parce que l'on respecte son travail n'est pas une bonne idée. Je dois pouvoir boire des coups, déconner avec la personne en question pour pouvoir me sentir à l'aise. Il n'y a que comme ça que j'arrive à être efficace dans mon travail. Collaborer, c'est souvent bien sur le papier, mais c'est au final très aliénant, avec beaucoup de compromis et de discussions interminables.

En janvier dernier, tu as passé une semaine dans les studios de Red Bull à Paris pour enregistrer un EP. On sent une évolution très nette dans ta musique. Tu laisses complètement de côté la noise.
Oui, c'est clair. J'essaie toujours de retrouver la naïveté dont je te parlais, même si elle est artificielle. Je m'oriente constamment vers des idées et des genres nouveaux. Pour le EP en question, l'objectif était de faire un disque de batteur dub avec un côté musique concrète inspirée du mec de This Heat, Charles Hayward. Encore une fois, je connais deux-trois références mais je suis loin d'être un spécialiste en la matière. Et c'est ce manque de maitrise qui me permet de rester créatif.

Plus de Low Jack
Twitter Soundcloud

Plus de Romain Gonzalez
Twitter