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Music

Dépoussiérage pour tous : Loud & Proud vient secouer le cocotier des festivals d'été

On est allés passer un moment avec les organisateurs du premier festival queer français.

Les festivals de musique deviennent un peu comme les restos à Paris. Tout le monde veut ouvrir sa gargotte mi-Berlin mi-NYC, même si ça veut dire servir le même burger laxatif et hors de prix à quelques zombies en quête de sociabilisation. Créer un événement différent, dans un contexte artistique et évènementiel mou et auto-dépréciatif, apparait aujourd'hui comme un véritable défi, que se propose de relever

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Loud & Proud

. Ce festival, dont l'objectif est de célèbrer et mettre en avant la culture Queer en France (à Paris, Nantes et Lyon) a posé il y a quelques semaines son QG à la Gaîté Lyrique. On a en a profité pour aller rendre visite à Anne Pauly et Benoît Rousseau, deux des quatre commissaires (eh non, on ne dit plus programmateurs) du festival, pour en savoir plus sur la genèse et les motivations du projet.

Noisey : Avant toute chose, est-ce que vous pouvez vous présenter ?

Benoît :

Benoît Rousseau, conseiller artistique à la Gaîté Lyrique, je m'occupe de tout ce qui est musique et concerts.

Anne :

Anne Pauly, journaliste, militante féministe. Et gouine. Nous sommes quatre en tout, il y a donc deux absents : Fany Corral, boss du label Kill The DJ…

Benoît :

…et Alexandre Gaulmin, qui travaille dans les concerts aussi.

Comment le projet s'est monté ? Il y a eu un élément déclencheur ?

Benoît :

Loud and Proud est né d'une envie commune. Moi, je voulais monter un événement à la Gaîté, mais je ne voulais pas que ce soit un festival parisien de plus. Et puis, avec tout ce qu'on s'est pris dans la gueule il y a deux ans avec le débat sur le mariage gay, on s'est dit qu'il était temps de créer quelque chose qui nous ressemble et de faire un gros doigt à la manif pour tous.

Anne :

L'idée était d'amener nos codes au cœur de l'institution, de dire aux gens que les Queer existent, de les sortir du placard. On avait des artistes qui nous faisaient rêver comme Mykki Blanco, mais on n'avait jamais les moyens de les faire venir dans le cadre d'une simple petite soirée queer à Paris et c'était, au final, toujours les festivals hétéros qui l'emportaient. Ça nous semblait important de remettre les choses dans leur contexte.

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C'est quoi, pour vous, la culture queer ?

Anne :

Queer, c'est un mot qui veut dire « tordu », « chelou ». C'est une insulte au départ qu'on balançait aux pédés, aux gouines, aux trans. Et puis dans les années 80, les mouvements militants l'ont retourné et l'ont utilisé comme force de frappe avec des slogans comme « we are queer, we are here, get used to it ». Progressivement, c'est devenu un projet politique qui permettait de montrer à quel point les normes sociales et sexuelles sont dégueulasses. Et de démonter les rapports de domination liés à la classe, au genre, à la race. Le mot race ici est mal vu, mais ça reste un concept opératoire. Tu n'as qu'à regarder qui se fait contrôler dans le métro. Donc le queer rassemble tous ces gens différents : tous ceux qui ne sont pas des hommes blancs hétérosexuels.

Le festival a donc un côté revendicatif fort, est-ce que vous trouvez que c'est quelque chose qui manque dans les autres évènements actuels ?

Benoît :

Moi qui bosse dans la musique depuis 15 ans, je peux te dire que tout est dominé par l'homme blanc hétérosexuel. Tu n'as qu'à regarder 90 % de la programmation des festivals d'été en France. C'est la même chose pour les programmateurs d'ailleurs. Et c'est encore plus le cas dans le milieu de la musique électronique.

Anne :

Récemment sur la couverture d'un magazine que je ne citerai pas, il y avait une photo de classe de la nouvelle génération de la musique électronique en France, et il y avait une femme et un noir.

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Mais vous n'avez pas peur qu'on vous reproche l'excès inverse ?

Benoît :

Non, car le festival, comme la Gaité Lyrique, reste ouvert à tout le monde. N'importe qui peut y venir.

Anne :

Le communautarisme c'est de la connerie, c'est un argument de droite. Les retours ont été supers depuis qu'on a lancé le projet et il a été largement relayé, donc on se rend compte que ça touche tout le monde.

Anne et Benoît, pas encore très Loud mais déjà bien Proud. Photo - Adrien Durand.

Au moment de choisir les artistes, comment leur présentez-vous le projet et comment parvenez vous à les booker ?

Benoît :

Ça n'a pas été facile. Il a fallu expliquer notre projet aux agents. Le système des festivals est très strict, avec des barèmes d'offres à respecter. Il a fallu parfois court-circuiter un peu tout ça pour pouvoir parler aux artistes en direct. Ce sont souvent eux qui ont fait pression sur leur entourage pour pouvoir jouer chez nous. Ça c'est fait dans l'autre sens. Ça été un peu difficile car on part de zéro.

Anne :

On a été clairs, les gens ont accepté en connaissance de cause. Tous les artistes s'assument, on n'a personne dans le placard.

Pas de Sufjan Stevens, donc ?

[

Rires

] Non, voilà.

Il reste un milieu musical où la culture queer est vraiment taboue ? Le rap français par ex ?

Benoît :

Les queers sont partout, même dans le metal. Chaque année ils sont représentés au Hellfest, par exemple. En France il y a encore quelques tabous. J'ai cherché vainement un rappeur ou une rappeuse qui s'assume pleinement chez nous, mais ça n'existe pas.

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Anne :

On a des indices, mais rien qui n'est clairement dit.

Benoît :

Même aux USA, c'est compliqué. Mykki Blanco par exemple n'apparaîtra jamais sur une mixtape de rap US mainstream.

Anne :

Ici, la notion de communauté pose problème ce qui n'est pas le cas aux USA. En France tout le monde doit être au plan de la République, on est tous égaux suivant les règles d'un certain universalisme. Il n'y a pas de raison d'être autre chose que ce que les règles dictent. C'est une égalité de droit, mais pas de fait. Je ne pense pas qu'il y a un modèle meilleur qu'un autre mais on ne peut pas gommer les spécificités. De manière générale, les artistes même indés sont devenus très carriéristes et polissés.

Vous pensez qu'il y a encore de la place pour la revendication et la subversion dans la musique aujourd'hui?

Anne :

Je pense tout de suite comme contre-exemple à Planningtorock qui va jouer au festival et qui a sorti son album

All Love is Legal

. L'affirmation et la revendication, ça fait partie intégrante de la culture queer. Le milieu queer c'est un endroit où il y a de la place pour tout ça, pour s'exprimer.

Il y à un artiste mainstream qui a fait un peu fait avancer les mentalités ? Que vous feriez jouer sans limites de moyens ?

Benoît :

Beth Ditto. J'avais fait jouer The Gossip au tout début, on était 10 dans le public. Elle a rejoint les sphères mainstream mais elle a toujours gardé le même discours, même si elle été récupérée par plein de gens. Son discours est étrangement moins entendu qu'avant.

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Anne :

Elle le dit elle même, « je suis punk, j'étais pas censée arriver là. » Elle a la position qui lui permet de faire la passation entre deux mondes. Après, musicalement c'est devenu terrible.

Benoît :

A mon avis, ils ont été très mal entourés, on leur a fait miroiter plein de choses. Ils se sont fondus dans la pop, mais mine de rien leur dernier disque, personne ne l'a écouté.

Anne :

On ne peut pas leur en vouloir, ils sortent du trou du cul du Kansas… Moi je les envie et je les admire ces gens qui sont capables de dire « je suis pédé et je vais y arriver. »

Benoît :

Je citerais aussi Christine & The Queens. On aime ou on n'aime pas, mais elle a atteint un niveau de popularité qui lui permet de faire passer des messages, notamment sur le genre.

Votre événement, à Paris tout du moins, se déroule dans un établissement public. Vous pensez forcément au contexte politique, vous vous y sentez à l'aise ?

Benoît :

On a une liberté totale sur la programmation de la Gaîté. Le directeur du lieu nous a dit oui tout de suite quand on lui a présenté le projet et il a fait un geste fort en nous apportant un soutien logistique et financier.

Vous pensez qu'il y aura un avant et un après Loud & Proud ?

Benoît :

On n'est pas les premiers à organiser un événement queer à Paris, il y a des gens qui oeuvrent dans l'underground depuis des années. Après nous, on a on la chance de pouvoir faire ça dans un lieu très visible.

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Anne :

L'idée c'est aussi de rendre la pareille. Les gens qui organisent des choses dans l'underground nous ont porté et on a envie de leur rendre toute l'énergie qu'ils nous ont donné toutes ces années.

Il y a un artiste de la programmation qui représente parfaitement le festival, selon vous ?

Benoît :

Pour moi, c'est Perfume Genius. Son disque a été couvert de louanges par toutes les critiques et pourtant il ne joue dans aucun festival d'été. Je ne sais pas si c'est l'image qu'il véhicule qui est trop affirmée mais il y a quand même un côté « la folle qui met des harnais sur scène on n'en veut pas ». Et bien nous c'est tout le contraire, on le booke tout de suite. En plus il remplit des salles.

Anne :

C'est le côté gênant du garçon féminin, c'est pas bien de ressembler à une femme, c'est gênant d'être une femme. L'homophobie vient de là, du sexisme. Pour moi, ce serait Big Freedia, qui vient de la Nouvelle Orléans et qui appartient à une culture très loin de nous. Elle a commencé comme choriste de Katey Red, une drag queen locale. Katey Red, tu vois, elle joue à la Mutinerie devant 20 personnes. Big Freedia a un vécu très fort et elle dégage une bienveillance très humaine.

Je citerais aussi Zebra Katz, qui, lui, vient d'une classe haute, éduquée, a fréquenté une école d'Art mais s'est tout de même heurté au racisme. Sur scène, il joue sur les clichés de la maladie mentale, du danger. Il joue sur les codes. Et puis je citerais une artiste que j'aime beaucoup, Christeene, une drag queen qui renvoie une image super sombre à la gueule de la communauté. C'est la pute du bois, la réalité de la minorité sexuelle, loin du glamour.

Benoît :

A noter que pendant le festival il n'y aura pas que des concerts.

Anne :

Ce qui est important, c'est la mise en contexte. Donc il y aura des projections, des débats, des expositions pour ne pas être trop brutal, et pouvoir assoir le propos et le rendre clair et explicite, pour tous.

Adrien Durand est bruyant et fier sur Twitter - @AdrienInBloom