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Music

Lori Barbero nous a raconté ses souvenirs de la scène indie de Minneapolis

La batteuse de Babes In Toyland a vu Prince jouer devant 20 personnes, a hébergé Black Flag et a empêché Nirvana de descendre de scène.
Babes in Toyland lance bangs

Bien qu'elle passe aujourd'hui le plus clair de son temps Austin—où elle travaille pour le festival SXSW et dirige le label Good Horse Record Company— tous les musiciens que j'ai rencontré à Minneapolis, sa ville natale, la considèrent Lori Barbero, l'ex-batteuse des légendaires Babes In Toyland, comme LA plaque tournante de la scène locale, celle qui mettait tout le monde en relation, organisait les concerts et hébergeait les groupes chez elle. Et en la rencontrant aujourd'hui, ça me semble parfaitement évident : Lori est un concentré d'énergie pure, avec une mémoire hallucinante, des anecdotes à ne plus savoir quoi en faire, et surtout, surtout, un enthousiasme et une moivation indéfectibles. J'ai passé une après-midi avec elle à Minneapolis pour parler de la ville, de ses clubs, du parcours des Babes In Toyland et des groupes qui dormi sur son canapé durant les années 80 et 90, de Black Flag à Nirvana, en passant par Sonic Youth.

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On est juste devant le First Avenue, combien de fois tu as joué dans cette salle ?

Lori :

Je serais incapable de te le dire. On a passé 10 mois sur 12 en tournée, pendant près de 10 ans. Dès qu’on rentrait, on atterrissait là, c'était notre point de chute. C'est juste le meilleur club du monde, je le retrouve à chaque fois que je rentre d'Austin, c'est cool. Au début où j'y allais, il s'appelait encore Uncle Sams, puis Sams et enfin First Avenue. Et avant ça encore, c'était un arrêt de bus. À la fin des années 70, ils passaient du disco, et il y avait même un parquet lumineux. Plus jeune, j'ai gagné des concours de danse disco avec le frère de mon voisin, il m’avait appris à danser. J'étais très jeune, mais on se faisait un peu d'argent en allant danser.

Tu maîtrises toujours ?

Un peu, à Austin, le two-step n'est pas si éloigné du disco.

Quand es-tu passé du disco au rock ?

Lorsque j'ai déménagé à New York au lycée, en terminale. C'était génial, j'ai découvert le CBGB et j'ai pu y voir Queen. C'était mon meilleur concert, vraiment. C'était génial, j'ai toujours mon ticket et le t-shirt d’ailleurs. Mon premier concert, à Minneapolis, c'était les Jackson Five, quand ils étaient passés au Met Sports Center. Quand j'ai déménagé à New York, j'étais vraiment à fond dans Patti Smith. Je traînais avec Alan Vega (de Suicide) et d'autres types comme Johnny Thunders. Ils m'aimaient bien, j'étais jeune et un peu allumée. Je me sentais bien parmi eux.

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À quoi ressemblait la scène de Minneapolis quand tu as formé Babes In Toyland ?

On a commencé en 1987, au moment où beaucoup de musiciens quittaient la scène. J'étais déjà assez âgée quand j’ai rencontré Kate, on traînait ensemble et Michelle nous a rejoint ensuite. Il y avait vraiment de bons trucs à Minneapolis. Ce qui est cool quand tu es plus vieille, c’est que tu as déjà vu tous les plus grands groupes. J'ai vu The Replacements plein de fois, je traînais avec eux et avec Hüsker Dü. C'était marrant parce que tout le monde pensait qu'ils étaient en froid, mais ce n'est pas du tout ce dont je me rappelle. Tous les gens disaient qu'ils ne pouvaient pas se piffrer.

Et en fait ils étaient tous potes ?

C'est ça. C'était au sein même du groupe qu'ils ne s'entendaient pas ! Il y avait aussi The Suicide Commandos, un power-trio de Minneapolis de la fin des années 70, un des premiers groupes punk.

La scène était plutôt soudée en fait ?

Oui, c'était une petite scène, on se marrait bien. Au début des années 80, à l'époque de Jimmy Jam et de Terry Lewis, Prince jouait au club The Entry devant une vingtaine de personnes. Je travaillais un peu plus loin dans la rue, dans un bar punk rock, The Longhorn. C'est là que The Replacements jouaient, avec The Plasmatics. Iggy Pop aussi y était passé, il avait même arrêté son concert en plein milieu parce que des types devenaient très agressifs dans la salle.

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Et Soul Asylum ? Il paraît que c'était un des meilleurs groupes de la ville en concert.

Oui, c'était le cas, quand c'était encore les vrais Soul Asylum. A l'époque où ils avaient leur deuxième batteur, on déconnait vraiment, c'était très cool. Après, ils ont joué à la Maison Blanche, puis ce pauvre Carl est décédé des suites de son cancer, et ça a été la fin. Par contre, Dave, le chanteur, joue encore.

Lori et Kim Taylor Bennett de Noisey.

Aujourd'hui, il y a beaucoup plus de filles qu’avant dans cette scène. C'était comment pour vous à l'époque ? Tu as dit par exemple que la presse parlait beaucoup de vous, mais quevous n'aviez que très peu de pouvoir au final.

Oui. Le rock est encore quelque chose de très masculin aujourd’hui. Je vois beaucoup de femmes qui font référence à la grande époque de la Motown. Mais à cette époque les femmes ne jouaient pas d'instruments, c'était cool, oui, mais elles se contentaient juste de chanter. J’aimerais que les femmes prennent possession des instruments et apprennent à en jouer. Quand j'ai commencé Babes In Toyland, je ne savais même pas ce que je faisais, et aujourd'hui encore, je ne sais toujours pas comment je fais ça. On me demande souvent des trucs du genre « tu peux donner une leçon de batterie à ma fille ?», et moi je réponds gênée : « euh non, je ne sais même pas comment j'y arrive ! »

Tu as tout appris par toi-même ?

Oui. Je ne sais même pas lire une partition et je ne pige toujours rien à ce que je fais. Je le fais, c'est tout. Tu ne vas tuer personne hein, tu t'émancipes simplement en faisant quelque chose de créatif. J'ai pu créer des liens avec des personnes que je n'aurai jamais pensé pouvoir rencontrer. On a fait notre première tournée en Europe avec Sonic Youth, et j'admire toujours autant ce groupe. Aujourd'hui, ma nouvelle idole est Lizzo. La première fois qu'on a joué ici, au Seventh Street Entry, c'était avec Dinosaur. À l'époque, ils ne s'appelaient pas encore Dinosaur Jr. - c'était juste Dinosaur. On répétait dans mon garage, et quand on a dû bouger le matériel, je n'avais pas la moindre idée de comment démonter une batterie. Finalement, je l’ai installé telle quelle dans le van, parce que je savais pertinemment que j'aurais été incapable de la remonter moi-même.

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On a roulé hyper lentement, pour ne pas la renverser. Arrivé là-bas, je faisais les balances et à côté de moi il y avait J. Mascis. Je tremblais de stress, et Ryan Anderson (qui est toujours l'ingénieur du son de la salle) m'a dit : « Lori, tape sur la caisse claire ! ». Tout le monde avait les yeux rivés sur moi, et la seule chose que j'ai trouvé à dire fut : « c'est laquelle la caisse claire ? ». Tout le monde s'est marré et moi j'avais juste envie de mourir. Mais les femmes ne doivent pas avoir peur d'avoir honte, elles

doivent

jouer d'un instrument. Tu peux toujours chanter ok, mais mets-toi à instrument, tu vas tellement plus te marrer. Et si ça devient chiant et que tu t'en lasses, tu peux toujours arrêter.

Lori et le réalisateur Lance Bangs.

Comment as-tu rencontré Lizzo ?

Je l'ai rencontrée par le biais de Har Mar Superstar. Lizzo faisait les chœurs sur une de ses tournées. J'avais déjà joué avec lui et je lui avais organisé plusieurs tournées. J'adorais son morceau « Batches and Cookies », je le passais quand je faisais des DJ sets. Elle est très forte. Elle se fout de tout. Elle dit ce qu'elle a à dire. Elle est mignonne, elle y va à fond, elle fait ce qu'elle veut, et ça tue.

Quand t’étais encore à Minneapolis, ta maison était un passage obligé pour les groupes, c'est ça ?

Je ne me rappelle même plus de tous les groupes que j'ai hébergés. J'avais une rampe dans mon jardin, donc il y avait aussi beaucoup de skaters qui traînaient. Tout le monde est passé chez moi, de Black Flag à Minor Threat. J'organisais des concerts

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all ages

, bien avant que le concept n'existe vraiment. Le premier concert de Nirvana avait eu lieu à l'Uptown Bar, à l'époque où j'y travaillais. Quand ils ont voulu quitter la scène, j'ai demandé à toutes les personnes du public de les en empêcher.

Ça devait être fou !

Non, il n'y avait pas grand monde dans la salle, mais on ne voulait pas les laisser partir ! Après on est resté trainer ensemble et c'est comme ça que notre amitié est née. Je ne me rappelle même plus de l'année exacte, mais c'était il y a très longtemps, au tout début de leur carrière. Prince a écrit un morceau sur l'Uptown Bar. Ce club n'existe plus aujourd'hui malheureusement, il y a un Apple Store à la place.

Triste… Ça t'ennuie que les gens t’interrogent tout le temps sur ton passé ?

Non pas du tout. Je n'ai aucun regret, vraiment. C'était super. Je regrette juste de ne pas avoir acheté cette superbe statue de dragon chez ce vieil antiquaire, il y a une trentaine d'années. Mais ce dragon en bronze est bien mon seul et unique regret.

Si c'est ton seul regret, c’est réglo.

Je suis très fière de ma ville, des gens que j'ai pu rencontrer, et de ceux que je continue à fréquenter. Nous sommes de Minneapolis – Saint Paul, les villes jumelles, et nous voulons juste faire de la musique. J'ai créé un groupe pour pouvoir jouer de la batterie. La batterie c'est la colonne vertébrale de la musique. Quand j'ai commencé à jouer, je m'en foutais pas mal de savoir qu'on pouvait être appréciées pour ça. Et même si on ne nous aimait pas, je m'en foutais tout autant. Ce qui compte, c'est de pouvoir faire ressentir quelque chose à la personne qui t'écoute. Je fais de la musique parce j'adore voyager, j'adore les filles de mon groupe, jouer de la batterie et écrire de nouvelles chansons. Si on peut toucher les gens de quelque façon que ce soit, si on peut leur donner envie de jouer d'un instrument, de faire jouer des groupes ou de lancer un label, c'est génial. Si on peut toucher ne serait-ce qu’une seule personne, alors on aura réussi à rendre le monde meilleur.

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Un jour tu as reçu une lettre d'une fille ultra déprimée du Wisconsin qui envisageait de se suicider, et tu lui as répondu. Que s'est-il passé ensuite ?

Elle avait toujours voulu jouer de la guitare, je lui ai donc dit de s'en acheter une. Et que si elle avait besoin d'aide pour l'acheter, on trouverait une solution ensemble. Elle était vraiment très jeune. Beaucoup d'adolescents ne comprennent pas que les choses finissent par s'arranger. Elle a finalement pu s'acheter une guitare et elle m'a répondu que lorsque qu'elle jouait, elle pleurait… des larmes de joie. Je pense encore à elle aujourd'hui. Je me demande où elle en est maintenant. La maison dans laquelle j'habitais, et où j'hébergeais des groupes a été rasée. C'est assez triste. Ils l'ont détruite pour en faire un parking. On avait une boîte aux lettres, je répondais à toutes les lettres et j'écrivais. C'était important à mes yeux – j'aime communiquer avec les autres. Quand quelqu'un m'écrivait, même une simple carte postale, et même si c'était vraiment personnel, je prenais à chaque fois le temps de répondre. J'ai fait ça pendant longtemps. Je crois même avoir donné mon numéro de téléphone sur notre premier album. J'ai peut-être encore le même numéro. Je n'ai jamais écouté l'album, je vais le ressortir pour voir.

Attends, tu n'as jamais écouté ton album ?

Non. J'étais en studio, on l'a mixé et quand on l'a fini, c'était bouclé. Je ne l'ai jamais écouté !

Babes in Toyland à l'époque.

Vu que plein de groupes se reforment, on peut espérer revoir Babes in Toyland ?

Peut-être. Ça fait 12 ou 13 ans qu'on ne s'est pas réuni au grand complet. Il faudrait que je réécoute nos albums. J'ai écouté un de nos morceaux récemment, mais je n'ai même pas pu l'écouter en entier, ça me stressait trop. Il faudrait tout réapprendre, vraiment. Tout le monde dit qu'il suffit de s'y remettre pour que tout revienne, comme le vélo. Mais là, il me faudrait plutôt un tricycle, pour l'équilibre. Je n'ai rejoué aucun de nos morceaux depuis notre dernier concert, qu’on avait donné au First Ave d'ailleurs, sur un coup de tête. Et c'était cool, c'est une bonne façon de faire finalement.

Depuis l'entregistrement de cette interview, Babes In Toyland ont confirmé leur reformation pour des concerts à venir en 2014.

Kim Taylor Bennett est sur Twitter - @thektb