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Les darons du rap donnent leur avis sur le clip de Sarcelleslite

10 jours après l'hystérie médiatique, Shone, Zoxea, Express D, Metek et quelques autres nous ont dit ce qu'ils pensaient de « 1er Pocheton », au calme.

Lundi 2 mars 2015, après la photo insolite d'une belette chevauchant un pivert et les derniers soubresauts du Goldmangate, les médias français lancent un nouveau #buzz : une vidéo de gamins entre 10 et 12 ans rejouant Noisey Atlanta à Sarcelles, tournée quelques semaines auparavant. Indignation, polémique, commentaire. Le mal était fait.

Deux semaines plus tard, les 3/4 des rappeurs français n'ayant pas voulu « se salir les doigts » pour commenter l'actu chaude (on ne peut vraiment pas leur en vouloir) et « l'avis d'Olivier Cachin » ne nous satisfaisant pas vraiment, nous avons demandé leur opinion à quelques figures de la scène, qui, l'actualité retombée, n'y sont pas allés par quatre chemins.

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[Le clip de « 1er Pocheton » de Sarcelleslite a depuis été retiré de YouTube en raison de la présence de contenu apprtenant à France Télévisions]

SHONE (Ghetto Fabulous Gang), 33 ans, Clichy-sous-Bois : « Est-ce que je trouve le morceau bon ? Ah nan frère, j’ai pas pris ça au sérieux. Je sais pas, quand tu connais le rap, tu sais que c’est pas sérieux ! Donc je ne peux même pas te dire si c’est bon, c’est juste … pas sérieux ! Après, toute la polémique autour, on dirait que c’est des mecs de 40 ans qui ont fait ça, en toute connaissance de cause. Il est tout à fait logique et évident de comprendre que c’est des petits qui s’amusent et qui veulent reproduire ce qu’ils ont vu des grands. Ce matin sur BFM, ils interviewaient les petits avec les visages camouflés… j’ai pas compris. Tout le monde a vu leurs têtes sur Youtube ! Et les petits expliquaient qu’ils voulaient juste faire comme les grands. Dans le morceau y'en a un qui dit « je laisse des traces, comme sur le cul de ta sœur » Mais hey, ils n'ont même pas encore de bite ! Donc on ne cautionne pas, mais de là à les condamner et à en faire toute une polémique…

Y’a des rappeurs de 40 ans qui racontent exactement les mêmes choses, c’est plutôt à eux de se poser des questions. Et eux, ils sont rémunérés par les majors, ils ont des budgets pour faire exactement les mêmes clips. Une chose est sûre : à l’époque, les rappeurs qu’on avait pour modèles n'étaient pas dans ce délire. Les rappeurs aiment se dédouaner et dirent qu’ils ne sont pas responsables, mais on joue quand même un rôle, en parallèle de l’éducation des parents. Ces petits, c’est les descendants des rappeurs actuels. Nous, on a grandit avec le Wu-Tang et 2Bal 2Neg. C’est une suite logique. »

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ZOXEA, 40 ans, Boulogne-Billancourt : « Il me semble que techniquement, un ou deux sortent du lot niveau rap. Par contre, à l époque, quand on faisait des petits délires gangsta, c'était vraiment pour nous, jamais je n'aurais osé montré ça à un public et encore moins à des membres de ma famille. » EXPRESSION DIREKT, 40 ans, Mantes-la-Jolie : « La qualité du produit … d’un point de vue technique et artistique, c’est équivalent à tout ce qu'on entend actuellement, même s’ils font ça à un niveau artisanal. Les mômes se sont amusés, et ça a fait flipper tout le monde. Sur ce point, on aurait tendance à adhérer au concept. L'idée de choquer avec des enfants, c’est pas nouveau : le rap s'adresse depuis quelques années uniquement à un public très jeune et ils reproduisent ce qu'on leur donne au quotidien. En faisant ce genre de rap, ils n'ont fait que parodier ce qu'on leur vend non-stop via les radios, télés et le web. Vu l'impact qu'a eu le clip, il ne serait pas surprenant que leur management, s'il assume, soit en contact avec une major à l'heure qu'il est. Ces canaux sont propriétaires de l'expression artistique et de la culture, des équipes travaillent sur le développement et la rentabilité. À notre avis, rien n'est spontané, et les thématiques exploitées dans le rap sont formatées et décidées dans des bureaux. Pour avoir été signés en major, et donc avoir côtoyé le show business et l'industrie de très près, on en a compris le principe. Pour trouver des artistes –entre guillemets- qui correspondent au format, on procède de la même manière qu’avec la télé réalité. Il y a la queue devant la porte. Quant aux rappeurs qui acceptent ces conditions, on sait qu'ils le font consciemment, et là-dessus, KRS One a tout dit dans 'MC's act like they don't know'.

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Le hip-hop qui nous a donné notre force, on l'a utilisé parce qu'il était marginal et en contradiction avec notre environnement. Dans un système qui faisait de nous des déchets, des rebuts, on a trouvé avec le rap une voie qui était la seule possible pour briller. Chez ExpressD, personne n'a suivi de cursus scolaire poussé. L'image au départ est celle d'une bande de racailles, ce qui nous correspondait plutôt bien. La provocation, la violence, l'outrance faisaient partie de notre environnement, et on les a naturellement cultivés. Ce serait hypocrite de critiquer ceux qui en font usage. Ceci dit, c'est un point essentiel : comme on était inadaptés au système scolaire, le hip-hop était notre centre de formation, on avait donc conscience que notre mode de vie était le fruit d'une histoire. Pour faire court : on avait une conscience politique, on savait qui étaient les maîtres et que nous étions les esclaves. Tout ce qu'on a fait artistiquement venait de là. Pour conclure : oui, on aurait pu être à leurs places, ce sont nos petits frères, mais premièrement, à 10-12 ans, nos parents ne nous auraient même pas laissé aller sur le tournage d'un clip. Et deuxièmement, on a toujours fait quelque chose de différent de ce que tout le monde faisait. Ca reste un clip parmi tant d'autres, les gamins se sont amusés, rien de plus. Que ça plaise ou non, c’est secondaire. » ALKPOTE, 34 ans, Evry-Courcouronnes : « J’ai pas regardé le clip en entier, j’ai pas pu. J’ai trouvé ça naze, de ouf. Musicalement, c’est pas bon, mais c’est même pas le soucis. Je te parle de bambins ! Ils sont pas à leur place là-dedans. Leur place est devant Gulli ou Cartoon Network. Ou même Disney Channel. J’entends parler de condamner les petits… ça sert à rien. C’est de leur âge, ils sont juste cons.

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Si j’étais tipeu aujourd’hui, je sais pas comment je serais. Surement pire qu’eux. Je ferais des trucs encore plus débiles. Après, ça dépend de ton entourage. Les darons ont leur mot à dire, leur responsabilité. Même si c’est pas entièrement leur faute, ils doivent prendre leurs responsabilités. Qu’est ce que les petits font dehors ? Ils devraient être à la garderie, ou au sport. »

T.KILLA, 30 ans, Villiers-le-Bel : « Ça a la forme d'un morceau de trap actuel. Niveau texte, c'est « on vend, on te tire dessus », etc. La seule différence c'est que c'est des petits. Pareil niveau clip, ça ressemble à ce qui se fait en ce moment. Y'a rien d'innovant, frère : ils sont dans leur quartier, y'a deux plans dans le clip, voilà. Les réactions, que ce soit le maire de Sarcelles, la justice… c'est beaucoup de bruit pour rien. Si tu cherches bien, y'a un million de petits qui font ce rap là. J'en connais. Qu'ils aient 10, 12, 13, 14 ans, ça change rien : s'ils veulent vivre dans ce truc, ils le feront. Le maire va faire quoi, leur interdire de rapper ? Je pense qu'ils ont grandi avec cette imagerie là, c'est tout. Ils essaient de copier tout ce qu'ils ont vu avant. Qu'est-ce que tu veux faire ? C'est pour ça que je trouve les réactions ridicules, y'a rien de vraiment spécial dans tout ça. Faudrait juste qu'ils essaient de copier autre chose, ou de faire quelque chose d'un peu plus musical.

Si j'avais leur âge en 2015, je sais pas si j'aurais pu faire ça… À cet âge-là, j'écoutais déjà des mecs qui avaient du texte, que ce soit les Américains ou les Français. Faudrait voir dans quel mode de vie j'aurais été aussi. Mais j'espère que j'aurais pas fait un simple copié-collé de la Trap, que j'aurais mis un peu ma sauce à moi, vu que c'est ça mon caractère, pas suivre la tendance comme un putain de mouton. Si on parle du fait de mettre des gamins dans un clip violent… Moi déjà je trouve dégueulasses les clips de Rihanna le cul à l'air. Dans ce cas précis, ça dépend de l'éducation que tu donnes à ton gosse. Fille ou garçon faut savoir les écarter de toutes ces saloperies là et leur expliquer que la vraie vie c'est pas ça. Si ton fils se retrouve là-dedans c'est que t'as pas fait le boulot. S'il commence à brandir des guns et faire le fou, bah t'as pas géré. T'as pas géré comme un bon père congolais tu vois (rires). Si t'avais été un bon le petit serait pas là en train de faire le con. Mets du plomb dans la cervelle de ton gosse avant qu'il se mange une vraie bastos et qu'il se relève pas, tout simplement. »

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JACK MANY (LMC Click), 33 ans, Grigny : « Je n'ai pas écouté et je ne le ferai pas, parce qu'artistiquement, je n'ai rien à apprendre de la part d'enfants ! En tant que daron, je me dis juste que c'est la conséquence du monde actuel donc ça ne me choque pas. Tout est dans l'éducation… Personnellement, j'aurais certainement pas fait ça si j'avais leur âge en 2015, et c'est dû a mon éducation parentale et sociale. » HYPE, 32 ans, Bondy : « Je pense que c'est un très bon clip et un très bon son pour des rappeurs de leur âge. C'est très encourageant. Ils posent mieux que certains adultes signés en major. C'est drôle, ça me rappelle quand je voyais Lil Wayne dans les clips de Cash Money à 13, 14 piges. Ils sont dans les codes du rap de 2015, dans le phrasé et dans l'imagerie. C'est vraiment bien.

Si j'avais 10-12 ans en 2015 et que je me rendais compte que je suis nul en sport, j'aurais sûrement fait du rap. Et quand tu fais du rap, que t'aies 10 ans comme eux ou 48 ans comme Kool Shen, quand on te propose de clipper, tu y vas. Ça me rappelle les débats entre commercial et underground cette histoire. À partir du moment où tu sors un CD, tu es commercial. Donc moi des clips comme ça j'aurais essayé d'en faire 55 jusqu'à ma majorité. »

TONY (La Comera), 30 ans, Grigny : « Le morceau ne me plaît pas plus que ça. Je ne suis pas très fan des bébés rappeurs (même a l'époque de Lil Bow Wow, Lil Romeo…) mais au niveau de ce qui ce fait aujourd'hui, les petits se débrouillent tant bien que mal. En tant que papa et tout simplement en tant que jeune de quartier, je me pose la question : où sont les parents ? Moi quand j'avais 10-12 je rêvais d'autres choses, pas de devenir gangsta rappeur ! » ZEKWE RAMOS, 28 ans, Evry : « Ce que j'en pense artistiquement ? Ils rappent trop mal, je me suis arrêté au premier al hamdulilah. Est-ce que j'aurais pu faire ça si j'avais leur âge en 2015 ? À 10 ou 12 ans, en 2015 ou en 1922, il est impossible « d'éjaculer sur la ce-fa ou le cul de ta re-soeu ». D'éjaculer tout court même. Moi je juge la musique en premier. Ils peuvent faire des signes nazi en couche culotte, si ça tue artistiquement je supporterais. Là c'est juste odieux. Et c'est pas parce que je suis plus vieux ou que je suis père. Ça, j'en fais complètement abstraction. J'en ai marre que dans ce pays on politise et socialise tout et n'importe quoi. C'est censé être de l'art, une culture. Personnellement, j'ai beaucoup de connaissances dans cette culture et ceci est de l'ultime merdasse sans âme, sans talent et sans crédibilité surtout. Regarde : une petite américaine de 10 ans maquillée qui chante de ouf ça choquait déjà en France, mais ils étaient pas capables de voirle talent. C'est le plus inquiétant avec ce truc. Au final, les médias en parlent, ça leur fait un buzz de ouf alors que ça mérite pas, c'est nul. Parce qu'on politise tout, on se sert de tous les outils à des fins politiques. Montrer des petits de 10 ans qui ont du talent, c'est inutile. »

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JP MANOVA, 36 ans, Paris : « Je trouve le son en lui même plutôt bien produit. D'ailleurs je me demande si c'est pas une face B d'un truc cainri. Au niveau du clip, ça m'a également l'air totalement inspiré par Bobby Shmurda et ses clips à 50 $ et 75 millions de vues en basse qualité, tournés avec 20 potes dans la rue d'a coté.

Aurais je pu faire la même à 12 ans ? Je ne suis pas contemporain de cette culture des gamins d'aujourd'hui, les choses étaient différentes pour nous. Nous faisions sûrement des choses que les plus vieux devaient trouver bidon. Ce que l'on voit dans ce clip, c'est l'expression d'une culture en rapport direct avec l'époque de ces marmots, ils miment maladroitement les modèles que les gros labels bombardent en priorité dans leurs oreilles et sur leurs écrans de téléphones. Je n'y vois rien de réellement nocif tant qu'ils ne croient pas vraiment à ce qu'ils racontent et qu'ils fassent bien leurs devoirs en rentrant chez eux. Je ne doute pas, par ailleurs, qu'au moins l'un d'entre eux que son daron a reconnu dans le clip ait du prendre quelques coups de ceinture… » SOFIANE, 30 ans, Le Blanc-Mesnil : « Rien de méchant pour moi. Rien de plus choquant que leurs aînés. Le maire de Sarcelles a sûrement besoin de buzz… Que dire des trentenaires armés dans les clips ? Artistiquement, le texte reste à bosser mais pour la com' je leur mets 7/10 . Ça sert à rien cette polémique. Il doit y avoir une centaine de groupes du même âge et du même genre sur Internet. Ils ont juste eu la poisse de tomber en période d'élections. La rue a changé, sa musique aussi ! Le scandale, c'est que des gens en soient étonnés. Personnellement j'ai 2 enfants… que je ne laisserais JAMAIS rapper ! Par rapport au milieu surtout. Et pour leur éviter de s'afficher, éventuellement, ahah. Mais cracher sur les parents de ces petits c'est n'importe quoi. Ils éduquent sûrement leurs enfants du mieux qu'ils peuvent, mais sont trop occupés à les nourir pour tout surveiller… »

METEK, 35 ans, Paris : «

Je pense que c'est nul. Je pense qu'ils n'ont pas écrit ça et je pense que tous ceux qui disent que ce n'est pas nul sont lâches. Je pense que Chief Keef est le père de toute cette merde et que le jour où il a décidé de faire un clip chez sa mère, il a enfanté le rap français des années 2010. Je pense que Chief Keef ne reviendra jamais et que c'est normal. Je n'ai jamais vu de conscience politique dans le rap hormis Kery James.

Mon père a été assassiné. Je n'aurais jamais fait un clip pareil, même à cet âge là. Pas 'pour de faux'. Ma mère m'interdisait de jouer avec des armes à feu factices. Le fait que les Blancs nous haïssent et me mettent dans le même sac qu'eux ne me fait pas rire. Mon 5 titres sort le 16 mars. Il est bon, voire plus que bon. Je vais chercher du travail dans la restauration tout à l'heure. Comme tous les mois on va me regarder comme si j'étais rentré en disant 'bonjour, Allah akbar, t'aurais pas du feta'. Alors je pense que c'est aux gens de quartier d'interdire ça et à personne d'autre. Tous les jours je lutte contre le cauchemar tentant de prendre une véritable arme à feu pour payer le loyer. Bien sûr, le fait que ces petits sont tous mignons et innocents ne m'échappe pas, mais il est plus facile d'insulter les enfoirés que les enculés. »

Genono, Yérim et Salim sont tous sur Twitter pour réagir sur l'actu. Pas vous ?