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Music

Quoi que vous en pensiez, nous vivons l’âge d’or du r'n'b français

Oubliez les années 90 et 2000 : de Ta-Ha à Sônge, en passant par Hamza et OK Lou, le genre n'a jamais été aussi riche et diversifié qu'en ce moment.

OK Lou - Photo via (crédit - Maciek Pozoga)

La scène française a toujours eu des années de retard sur les modèles anglo-saxons. C’est un fait et on ne pourra rien y changer. Dans le rock, le rap, l’électro ou le r’n’b, c’est à chaque fois pareil : des tendances émergent en Angleterre et outre-Atlantique, finissent par être récupérées par des artistes français qui se les réapproprient et les recrachent plus ou moins selon leur propre grammaire. Là où je veux en venir, c’est que si les Etats-Unis ont accueilli à bras ouverts les productions d’Aaliyah, d’Usher, des Destiny’s Child, des TLC (qui reviennent cette année, d’ailleurs) ou des Neptunes dans la seconde moitié des années 90, il a fallu attendre le début des années 2000 en France pour qu’une scène r'n'b commence à émerger et à s’implanter sur les ondes radios : K. Reen, Assia, Wallen ou encore Kayna Samet se posent alors prêtresses d’un genre mal aimé qui, malgré la gloire et le succès des artistes, reste un plaisir coupable chez beaucoup d’auditeurs.

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Pourtant, le genre n’a pas toujours eu à rougir. En France, on a même eu quelques classiques : « Tu me plais » de K.Reen et Def Bond, « Celle qui dit non » de Wallen, « R’n’b de rue » de Matt Houston. Sans parler de tous ces rappeurs (impossibles à mentionner ici) ayant fait appel au chant maniéré de diverses chanteuses pour habiller leur refrain :

« Qui est l’exemple

? » de Rohff avec Kayliah, « Destinée » de Booba avec Kayna Samet, « Sexe, pouvoir et biftons » d’Arsenik avec Assia, « Le Jour où tu partiras » d’Oxmo Puccino avec K. Reen, « Tourner des pages » de Saya et Passi, « Match nul » d’Eloquence et Kayliah… Une vraie idylle en fait, quand bien même le rap français semble prendre le terme « r’n’b » comme une insulte.

Entre un Rim’k qui prétend avoir

« la voix rauque »

et pas

« une voix de chienne comme Pharrell »

sur « Portrait » et un Kool Shen hostile en 2004 (

«

Dis leur qu'j'suis trop vieux qu'j'me défonce et puis qu'j'tiens plus debout

/

Que j'fais d'la R&B que j'mélange l'art et l'biz »

sur « On a enfoncé des portes »), on peut même dire que le r’n’b est sous-évalué, étroitement lié à de la musique pour pucelles pré-pubères. Sentiment d’autant plus justifié que ses propres figures de proue s’en sont parfois détachées :

« J’ai besoin d’être possédée, et avec ce R&B français, ça ne marche pas »,

disait Kayna Samet dans un numéro de

Rap Mag

en juin 2004, oubliant sans doute qu’elle n’a pas toujours mérité le statut de « Mary J. Blige française » qu’on lui avait confié.

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S’il fallait dater le moment où tout a commencé à aller de travers pour le r’n’b en France, sans doute faudrait-il remonter au jour où les gens ont compris qu’ils pouvaient en faire leur métier et se faire un paquet d’oseille avec, où les médias ont commencé à comprendre qu’ils pouvaient transformer ces Cendrillons du ghetto (Leslie, Nâdiya, Amel Bent ou toute autre incitation au meurtre) en de véritables

success stories

.

Pourtant, derrière ces niaiseries et les multiples caricatures qu’elles ont engendré depuis (le fameux « Moi, je stoppe sur mon flex » de l’humoriste-banquier Gad Elmaleh ou ce

sketch sur le plateau du Grand Journal

), le r’n’b a toujours fait force de propositions plus innovantes : le son ample et chaud des Nubians, les beats presque G-funk d’Hasheem, les textes globalement bien ficelés de Wallen (merci Abd Al Malik), ceux de Said (merci Shurik’n) ou encore les prods innovantes de DJ Kore.Seulement voilà, on est en 2016 et la situation ne semble pas avoir beaucoup changé : ni la richesse des textures, ni la supposée légèreté des lyrics ne sont prises au sérieux. On les résume à des effets de manche, parfois relous, souvent agaçants. Qu’importe que le r’n’b français ait changé ou non, le verdict tombe : il est gnangnan, adapté à la discothèque de votre petite sœur et devrait tout aux nouveaux pontes du r’n’b

made in US

(Frank Ocean, Miguel, Drake, Tinashe ou ILoveMakonnen). Non seulement, c’est très exagéré, mais il est intéressant de se demander ce que les artistes évoqués plus bas font avec ces références avant de soupçonner un quelconque pompage stylistique.

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Ici, le r’n’b ne peut être vu comme une solution de facilité, un genre où rien ne sert de passer des heures à écrire des textes bourrés de rimes riches puisqu’il est destiné à des midinettes au QI encore inférieur à celui des deux chanteurs de Tragédie réunis. Que ce soit Bonnie Banane, OK Lou ou même PC Music, tous prouvent que le r’n’b, bien aidé par l’émergence d’Internet, a au contraire eu raison ces dernières années de l’uniformisation et s’est ouvert un horizon beaucoup plus éclectique qu’auparavant.

Après tout, si l’Angleterre est prête à offrir une seconde chance à Craig David, si les Etats-Unis parviennent à se renouveler aussi régulièrement, il n’y a pas de raison pour qu’une nouvelle génération d’artistes, peut-être plus Blancs et plus portés sur la contemplation que sur la notion d’efficacité, ne prouve une fois pour toute que l’on sait maîtriser l’art du r’n’b en France.

Alors, oui, ce r’n’b s’éloigne de ses origines noires et semble parfait pour plaire « aux Blancs par sa sophistication », pour paraphraser le journaliste du

New York Post

Jozen Commungs. Oui, il sonne parfois trop tendance et passe en rotation lourde dans les haut-parleurs des magasins Urban Outfitters, mais il serait dommage, au nom d’a priori anciens et peu fondés, de se passer des beats hypnotiques de « Leonardo », du

chant autotuné d’OK Lou

ou de

« Now » de Sônge

, à faire passer Banks pour une musicienne écoutée uniquement par des attachées de presse (ce qui est probablement le cas).

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Intéressons-nous donc à la diversité du r’n’b actuel, à commencer par celles qui, preuve d’un certain détachement vis-à-vis des générations précédentes, osent l’utilisation de l’anglais. Il y a bien sûr

Claude Violante

et Christine & The Queens, qui font du r’n’b un véritable objet pop, véhiculent toutes les deux une image androgyne et se confrontent aux

haters

les plus extrêmes sur les réseaux sociaux – bon,

dans le cas de « Here » de Christine & The Queens et Booba

, c’est plutôt justifié, mais ça a au moins le mérite de montrer une autre facette des duos rap/r’n’b.

Il y a aussi des figures plus undergrounds comme Ta-Ha, ex-Parisienne désormais basée à Tokyo qui affole à l’heure actuelle les sous-vêtements des journalistes de

Fader

et de

Dazed

avec ses productions futuristes, ses morceaux lâchés gratuitement sur le web, ses clips DIY, ses collaborations courageuses (Issue ou les productions du Japonais JJJ et du Parisien NxxxxxS) et son look de caillera branchée. Jusqu’alors, ce genre de tentatives n’existait pas au sein de la scène française.Tout est réalisé sans véritable but, sans ambition solide, sinon celle de tromper l’ennui, et ça reflète assez bien cette fameuse génération Internet, influencée par des époques et des esthétiques aussi contradictoires que le hip-hop des années 90, la culture geek, les musiques électroniques, la pop ou le r'n'b des deux dernières décennies.Il existe évidemment un tas d’autres façons de faire du r’n’b. Certains donnent l’impression d’en proposer tout en ayant un pied bien implanté dans le hip-hop (c’est le cas de

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Hamza avec son flow hyper mélodieux et ses gimmicks empruntés aux pontes d’Atlanta

), d’autres se positionnent aux frontières de l’underground et du mainstream (Ideal Corpus ou même OK Lou qui, dans une interview au magazine

O

, dit :

« Clairement, il y a des chansons de Rihanna qui me donnent envie de pleurer. Et oui, j’ai été élevée à la Star Ac et ça ne me pose aucun problème. Au lieu de ne retenir que le vulgaire, je tente plutôt d’en extraire la beauté. »

), tandis qu’un groupe comme

Holybrune

prouve que le r’n’b n’est plus seulement là pour accompagner les rappeurs le temps d’un refrain plus ou moins douteux, mais bien pour servir des ambiances à mi-chemin entre fantasmes de grand banditisme et mises en scène cinématographiques.

Le problème des critiques visant le r’n’b, ce n’est donc pas qu’elles manquent de réflexion, c’est qu’elles reculent devant l’évidence, distribuent les bons points par décision et calcul plus que par goût et refusent l’innovation. Une attitude très française, finalement, mais qui entretient les stéréotypes d’un style musical a priori standardisé où tout le monde chantonne sur le même modèle préconçu alors que celui-ci, depuis deux décennies, n’a cessé d’évoluer et de prôner le mélange des genres.