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Music

Les 7 Merveilles du monde de Francis Cabrel

On vous explique pourquoi le Neil Young du Lot-et-Garonne est le dernier mec vrai de la variété française.

À moins que vous ne soyez quelqu'un de vraiment à part – genre un fan de Larry Clark -, vous avez sans doute passé vos premiers mois d'existence à baver sur le parquet de vos parents en essayant désespérément de tenir debout. Pour moi, cette période a également coïncidé avec l'écoute répétée du plus grand succès de Francis Cabrel, Samedi soir sur la Terre, album écoulé à plus de 3 millions d'exemplaires – un record toujours homologué par le Guinness Book.

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Si je vous dis ça, c'est parce que je m'étonne encore, après toutes ces années, de ne pas considérer le Neil Young du Lot-et-Garonne comme un mec craignos, à la différence de pas mal de mes passions de l'époque – Téléfoot par exemple. J'ai même poussé le vice jusqu'à réécouter l'ensemble de sa discographie ces derniers jours, après avoir lu sa biographie controversée, signée Alain Wodrascka. Depuis sa sortie en librairie, Cabrel, les chemins de traverse provoque en effet pas mal de remous, évoquant notamment l'infidélité supposée de ce type qu'on n'imaginait pas vraiment coureur de jupons.

En fait, me taper les 13 albums de Cabrel a été une partie de plaisir en comparaison de la lecture des 300 pages de cette biographie à la syntaxe toute pétée et remplie de poncifs qui révèlent clairement la haine de Wodrascka pour « les bobos-parisiens qui n'ont jamais aimé Cabrel à sa juste valeur ». Alors certes, j'ai appris que Jean-Pierre Mader aimait Kraftwerk et que le néologisme téléramisé était accepté par les maisons d'édition de France, mais même à 13,99 euros en format e-book, c'est cher payé.

Mais revenons en à Francis, l'homme derrière le banger « Les Murs de poussière ». Cabrel aurait juste pu devenir un énième vieux ultra-gênant de la chanson française, une statue botoxée squattant les soirées de Patrick Sébastien (et contrairement à notre Ministre de la Famille, je n'ai rien contre Patrick Sébastien) ou alors un mec un peu démodé dont personne ne peut jamais dire avec certitude s'il est mort ou vivant – comme Charles Aznavour, bloqué à tout jamais entre le Pandémonium et le canapé rouge de Drucker. Mais non. Cabrel est le dernier type sur Terre qui a le droit de revendiquer son amour pour la chanson populaire. Il continue à prouver à la « jeune » génération - Delerm, Bénabar et consorts – qu'il ne suffit pas de citer Verlaine sur la scène des Francos pour être un intellectuel.

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Cabrel n'a même pas cette prétention. Il défend une vision assez simple de la chanson sans tomber dans l'abîme du rock protestataire hexagonal ou de la variété qui s'inspire de Polnareff sans réaliser qu'il n'y a qu'un seul et unique Amiral au sein du Monde Libre. Afin de célébrer le carton que fait son nouvel album, In Extremis (à l'artwork total-darkwave), voici une liste 100 % arbitraire des 7 Merveilles du monde de Francis Cabrel.

Francis Cabrel sur la scène de la Music'Halle. Photo via

Merveille n°1 : La Music'Halle d'Astaffort

Petite commune de 2058 habitants selon l'Institut national de la statistique et des études économiques, Astaffort doit faire face à un taux de chômage qui dépasse les 13%. Malgré une déprime économique chronique, cette bourgade compte dans ses rangs un ambassadeur de poids en la personne de Francis Cabrel, qui contribue sans relâche au développement de son village - un peu comme Kant avec Königsberg. Le chanteur est d'ailleurs à l'origine des Rencontres d'Astaffort, événement annuel qui a lieu sur la scène de la Music'Halle de la ville.

Pour faire simple, on peut dire qu'Astaffort est le symbole parfait d'un type qui est casanier par peur de l'avion – comme le meilleur joueur de foot des vingt dernières années, Dennis Bergkamp – et qui aime des trucs comme « la pluie, le beau temps, la boue. » Alors ok, aimer tout ça c'est être profondément chiant. Sérieux, il manque plus que « les étoiles » et on se croirait à un congrès d'EELV. Mais bon, Cabrel est aussi chiant que les bouquins de Giono et ça ne m'empêche pas de penser que Regain est le seul livre sur la campagne qui vaille la peine d'être lu.

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Les anciens du studio Condorcet, en compagnie de Richard Anconina. Photo via

Merveille n°2 : Le studio Condorcet de Toulouse

Selon l'inénarrable portail WikiHow.com, il est indispensable de créer une chaîne YouTube pour devenir un chanteur célèbre en 2015. Dans les années 70, l'enfer du click n'existait pas encore, alors on se rabattait sur les concours de chant organisés par Sud Radio pour sortir de sa condition de prolétaire du 5ème art. Avant d'accueillir Robert Ménard pour animer sa matinale, la station écoutée par les gens qui aiment le rugby a permis à Cabrel d'enregistrer son premier 45 tours au studio Condorcet de Toulouse.

Comme le dit avec justesse La Dépêche du Midi en évoquant la Ville Rose sous les années Giscard et Mitterrand, « les ingénieurs et les musiciens [étaient] sur place, et comme à Nashville-Tennessee, on [venait] à Toulouse-Garonne enregistrer son album ». Cabrel passera pas mal de temps à « Toulouse-Garonne », où il côtoiera Richard Seff – le mec derrière Gold - et Manu Katché, tout en s'adonnant sans relâche à la guitare.

Je vous vois déjà sourire avec condescendance, mais Francis Cabrel n'a rien d'un musicien dominical qui traînasse le long du Canal Saint-Martin. Vous en connaissez beaucoup des branleurs amoureux de Jack Johnson qui ont participé à la rédaction de Luthiers et guitares d'en France, hein ?

Lower East Courbevoie.

Merveille n°3 : Le loft dans le Marais

Vendre plus de 600.000 albums quand on a moins de trente ans change un homme – du moins, c'est ce que les différents canaux d'informations m'ont appris depuis mon enfance. Dépression nerveuse à la Keanu Reeves ou alcoolisme meurtrier à la Marc Cécillon, la célébrité comporte son flot d'emmerdes que Francis Cabrel a dû dompter du haut de sa chaloupe parisienne coincée dans le 3ème arrondissement.

Après avoir déménagé de Courbevoie pour prendre la direction d'un 140 mètres carrés dans le Marais – un changement que seuls les amoureux des angles droits du Corbusier désapprouveront – Cabrel aurait pu partir à vau-l'eau. Au final, il défoncera sans ménagement le charity business des années 80 avec sa chanson « Des gens formidables » après être retourné vivre à Astaffort dès la naissance de son deuxième môme. C'est le genre de type qui parle de son « retour aux racines » sans que ça ne me choque, perdu au beau milieu d'un village qui aurait pu accueillir La carte aux trésors - époque Sylvain Augier morphinomane, bien sûr.

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Merveille n°4 : L'aquarium des Grands Lacs de Duluth

J'imagine que certains parmi vous n'en ont rien à foutre, mais sachez que Duluth est la ville d'origine de Bob Dylan, un mec qui emmerde profondément tous les homo sapiens nés après 1970. Victime d'un tropisme américain générationnel, Cabrel - né en 1953 - a lui aussi été touché par le syndrome Hugues Aufray. Cette maladie dégénérative oblige les types vieillissants à sortir un album de reprises de Dylan.

Sérieux, est-ce que vous avez déjà écouté « Knock knock, ouvre-toi porte du ciel » ? À part un oncle éméché qui « parle des arabes », je ne vois pas plus gênant que ça. Le 11ème album de Cabrel, Vise le ciel, ne fait pas exception et contient de vrais moments de gêne intemporelle.

Malgré tout, In Extremis prouve que le chanteur de 61 ans sait utiliser le mythe de l'Homme à l'harmonica – pas Charles Bronson, hein – avec la décontraction d'un vieux qui n'en a plus rien à foutre de rien. D'ailleurs, Cabrel n'hésite même plus à balancer une sérénade sur la crucifixion de Jésus alors que le marché de la chanson religieuse est trusté par des prêtres dont l'audience se compose à 96% de mecs qui défendent les Chrétiens d'Orient sur les forums du Figaro. Rien à foutre, je vous dis.

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Merveille n°5 : Le familistère de Guise

J'ai quelques regrets dans ma vie. 1/, la fin de Lost. 2/, le 23 octobre 2011. 3/, n'avoir jamais bu un verre avec Charles Fourier. Ce socialiste utopique avait imaginé une organisation de la vie sociale en petites communautés autonomes rassemblées au sein de bâtiments où le mot participatif n'était pas encore un slogan de campagne de Ségolène Royal. Les gens auraient vaqué à leurs occupations sans avoir à supporter d'interminables querelles entre deux partis majoritaires qui prétendent que « la sécurité est la première des libertés ».

Francis Cabrel, c'est à peu près ça. Un type plutôt de gauche mais qui évite de donner son avis sachant très bien qu'au fond, les gens ne sont plus liés à la politique que par leur déclaration d'impôt. En plus, ça lui permet de ne pas être associé à des chanteurs qui se prétendent socialistes tout en défendant le principe fraternel nommé « optimisation fiscale ». L'ancien conseiller municipal d'Astaffort, élu sous la bannière des sans-étiquettes, reste quand même un mec ouvert dont la filiation maoïste et lot-et-garonnaise lui fait dire avec sagesse que « le cannabis ne [lui] paraît pas beaucoup plus nocif que le pastis ». Prends ça, Christian Estrosi !

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Philippe Manoeuvre lui aussi va aux Chandelles. Photo via

Merveille n°6 : Les Chandelles de Paris

Francis Cabrel est-il le symbole d'une société qui sombre dans les flammes du stupre et des rapports non-protégés ? En lisant le bouquin d'Alain Wodrascka, on pourrait le croire. Après tout, « Le Noceur » enchaîne les nuits « chaudes en alcools, en farines légères » pendant que le déglingo de « Samedi soir sur la Terre » vit « une aventure qui commence sur le siège arrière d'une voiture ».

Cokehead et présumé responsable de plusieurs interruptions volontaires de grossesse, Francis Cabrel est peut-être l'enfant terrible de la scène hexagonale RFMisée – ouais, je m'y mets moi aussi. Au final, même si Wodrascka oublie qu'il y a une différence entre la scène et la vie réelle, imaginer le sexagénaire chanter « Je t'aimais, je t'aime et je t'aimerais » pendant que 10 personnes partouzent autour de lui ne peut le rendre que plus sympathique.

Le jazz band du Preservation Hall. Photo via

Merveille n°7 : Le Preservation Hall de la Nouvelle-Orléans

« J'ai l'impression d'écrire la même chanson depuis 30 ans, en essayant de l'améliorer à chaque fois. » En faisant cet aveu dans le JDD en 2012, Cabrel a prouvé une fois de plus qu'il planait à des années-lumières au dessus d'une nation qui a érigé le mot « changement » en slogan politique imaginé par les cerveaux asthéniques de TBWA. Au fond, d'où vient l'homme derrière « Petite Marie » ? Tout simplement de l'Amérique esclavagiste qui a vu naître le jazz, un coin perdu où les Blancs caucasiens collent des stickers du drapeau confédéré sur le pare-brise arrière de leur pick-up en faisant la nique au protocole de Kyoto.

Attention, Francis Cabrel est toujours à moins que zéro sur l'échelle John McCain, son truc, c'est la défense de l'opprimé du fin fond de la Louisiane, du noir pris en étau entre le propriétaire terrien blanc qui a exploité ses ancêtres.

Le jazz, Cabrel en parle et s'en inspire pour « Les Fontaines du jazz » et « Pas si bêtes », sans doute les 2 titres les plus OK d'In Extremis. J'imagine que ces chansons ne passeront jamais sur Nostalgie, l'audience étant composée à 75% d'anciens partisans de l'OAS. Elles m'ont d'ailleurs fait penser à « Saïd et Mohamed », ode anti-raciste du prince d'Astaffort, qui se foutait déjà de la gueule de l'équation musulman = mauvais français en plongeant les cinq membres en avant dans l'abîme de la chanson de gauche.

Au final, c'est ça, Francis Cabrel. Un mec attachant et ultra naïf, qui a le mérite de mépriser notre civilisation 2.0 surtout bonne à produire des community managers et des gonzes insignifiants qui parlent en kilo-euro.

Continue comme ça, Francis. Tant que tu passes tes étés entre Bayonne et Hossegor et que tu évites le croissant démoniaque qu'est la Côte d'Azur, tu auras toujours mon soutien. Romain a réussi à écrire cet article sans citer une seule fois « La Corrida ». Il est sur Twitter.