QUAND MOBB DEEP S’APPELAIT POETICAL PROPHETS
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« Faut que je te présente un pote. Vous devriez bien vous entendre. » C’est ce qu’un camarade de Prodigy lui annonce le premier jour du lycée. Option art & design. Ben ouais, les mecs sont un peu créateurs à la base. Quand la cloche sonne, Prodigy rejoint son futur partenaire, qui est en pleine baston devant le bahut. Les présentations sont faites. Prodigy avait entre temps pris la sage décision d’arrêter la danse et de se mettre sérieusement au rap. C’est lui qui figure sur la B.O. de Boyz N The Hood sous le nom de Lord-T (The Golden Child) ! Big-up à Eddie Murphy.
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En même temps, c’étaient pour un poster de Slick Rick quoi. Personne n’a jamais pu entrer dans le cerveau d’Havoc, le beatmaker et l’homme de l’ombre de Mobb Deep, celui aux couplets les plus assassins. Personne n’a encore moins compris le projet d’Havoc ce jour de 1993 alors qu’ils avaient rendez-vous dans les bureaux du plus gros label rap du moment pour un probable contrat à la clé. Russell Simmons les trouvaient trop jeunes pour les signe. On vous rappellera. Résultat : deux balles perdues. Et un casier.
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« On appelait le crack ‘he-mes’, les cigarettes ‘bogies’ et la bière St. Ides ‘thainy’. Le mot ‘thainy’ provenait de notre propre langage cryptique, un truc qui s’apparentait à du pig latin. C’est ce gamin, Bumpy, qui avait inventé ce code rebaptisé le Thun Language. Par exemple, au lieu de s’appeler ‘son’ entre nous, on disait ‘thun’, et ‘thorty’ au lieu de ‘shorty’. C’est devenu vraiment complexe. Bumpy avait un problème de diction qui le faisait parler naturellement de cette façon, mais nous, on s’est répproprié ça comme l’argot de notre quartier. On utilisait même de l’argot pour l’argent – un billet de 100 dollars était un ‘man’, les billets de 50 des ‘half a man’, ceux de 20 des ‘dubs’, ceux de 10 des ‘demons’ et un billet de 5 dollars était surnommé un ‘fever’. La police, c’était les ‘jakes’ d’après la série TV des années 80 Jake and the Fatman [La Loi est la loi] et un téléphone était un ‘jack’. ‘Shine’ ou ‘special effects’ désignaient les bijoux, se faire sucer c’était un ‘head spin’ et du sexe normal un ‘back spin’. On faisait et sortait des trucs que personne n’avait encore vu auparavant. »
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Un extrait du moodboard de Shook Ones part 2
Qu’est ce qui symbolise le mieux l’essence du rap new-yorkais que la vidéo de « Survival of the Fittest » ? Rien. Les bidons s’posent des question ? Possible. Le génie c’est la réalité ? Oui Hegel. De grands gestes de bras dans des vêtements super amples autour de poubelles cylindriques en fer et en proie aux flammes, c’est ce qu’on peut retrouver dans chaque bonne vidéo de rap et un type s’était d’ailleurs amusé à toutes les répertorier sur un blogspot qui s’appelait tout simplement « Flaming garbage cans in hip hop videos » et qui a migré depuis sur Facebook.
Da Youngsta’z Rocca La Brigade QUAND ILS TOURNAIENT AVEC LIMP BIZKIT
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Tourné par Lawrence Page en 2004, et renvoyant à leur quatrième album Murda Muzik présente le mélange crime/rap que vivaient chaque jour les rappeurs de Queensbridge. Les principaux rôles sont tenus par les rappeurs Big Noyd, G.O.D. Part.III et Twin Gambino. On y voit aussi Havoc (qui déambule en doo rag et costume ), Prodigy (qui mange des carottes rappées en pull orange) et quelques apparitions furtives de Cormega et Nas qui eux ne font strictement rien. Le scénario : une vague histoire de vendeurs de poudre blanche voulant arrêter les bêtises pour se lancer à fond dans le rap, appuyés par leurs parrains de la Mobb. Tout ça est agrémenté de fusillades à bout portant, de bastons de rue (Twin défigure un mec avec la crosse de son ruger, tranquillement, en pleine journée), de sexe avec grosses fesses, de poignées de main interminables et de doudounes North Face. Un film à voir uniquement sur téléphone portable. (Suivront Blackout et Full Clip, pour les plus téméraires)
QUAND ILS ONT SIGN É SUR G-UNIT
Traîtres ! Argent sang et rap sale : la deuxième carrière de Mobb Deep peut enfin commencer. Tout le monde est remis à sa place. En cadeau de bienvenue sur son label, 50 Cent leur offre une Porsche chacun, merci Fifty ! Prodigy et Havoc découvrent ce que l’éthique de carrière signifie, en businessman ultime, 50 ne pratique ni les drogues, ni les femmes. Et ça fascine Prodigy, qui lorgne déjà vers le straight edge depuis un moment. Parallèlement, les femmes blanches sont maintenant dans les clips, tout est « Outta Control ». Nicole Kidman et Lindsay Lohan deviennent des fans n°1 de Mobb Deep. Mais quel déodorant utilisent-t-ils ? Le groupe tourne partout sur la planète, leur avion prend feu en direction du Chili, mais ils survivent. Et pour la première fois dans l’histoire du rap, ils performent en Inde.
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Filmé pour le street-DVD Smack , le nouveau buzz-rappeur de NY, Saigon, tenant un album de Mobb Deep dans les mains déclare : « J’en ai marre de ces mecs rincés. Ces vieux enculés doivent laisser la place aux nouveaux. Y’en a marre de leur vieux rap de merde. » Quand la bande de Queensbridge tombe dessus, ils sont sous le choc. Ben ouais, ils lui ont rien fait. Croisé dans un club quelques jours plus tard, Saigon se fond en excuse, comme une petite merde. Mais en vrai fourbe, il continuera de répandre de la perfidie sur le duo pour se faire mousser. C’est l’escalade et en 2007, la bagarre éclate. Vous pouvez vous passer le ralenti ci-dessus et revoir le pain sous tous les angles.
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Contrairement à Prodigy, Havoc aurait paraît-il plongé de plus en plus profond dans l’alcoolisme pour oublier sa panne d’inspiration. Quand la biographie de Prodigy est sortie, s’attardant dans de nombreux chapitres sur leurs rapports, Havoc et d’autres gens impliqués n’ont pas aimé ce qu’ils ont lu, et la pression n’a eu plus qu’à exploser. C’est ce qui s’est passé sur Twitter quand Havoc a traité son ancien frère de pédé et de balance, après avoir lancé une rumeur de mariage entre lui et Rihanna. Complètement pété le type. Le beef qui dormait depuis des années au sein de Mobb Deep a enfin éclaté au grand jour pour le plus grand bonheur des haïsseurs. Avant qu’Havoc ne déclare que les tweets ne venaient finalement pas de lui. Pédé !
QUAND ILS ONT CR É É LEUR PREMIER CROWDFUNDING
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129% ! Prenez ça les rageux. Le dernier et huitième album de Mobb Deep, réuni et réconcilié, s’appelle comme leur deuxième, The Infamous, est sorti le 1er avril 2014, soit 20 ans après le premier, en version double-CD sur le label Infamous Records avec sur le CD2 des chutes de The Infamous 1 et des nouveaux morceaux sur le CD1. Vous suivez putain ? Vous êtes déjà en train de tracer sur votre fixie The Infamous c’est ça ? J’espère au moins que le cadre est en carbone pour 1150 $.
QUAND PRODIGY A D É CLAR É LA GUERRE AU JOURNALISME
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Le 9 avril dernier, Pitchfork a mis 10/10 à la réédition de l’album The Infamous dans une chronique de 14 paragraphes que personne n’a lu en entier. Excepté Prodigy. 21 minutes après la publication, le Head Nigger In Charge a balancé un tweet assassin dirigé contre le rédacteur. T’es pas de notre sang, on te connaît pas, tu parles pas de nous ! Bah ouais fallait mettre un 20/10 tant que t’y étais mec ! Un débat est aussitôt lancé sur Twitter et relance la question du journalisme rap (un blanc qui n’a jamais vendu de crack a t-il le droit de chroniquer un disque voyou ?). Mmm… Nous vivons toujours dans l’attente d’une intervention d’Oliver Cachin.
Les citations proviennent de My Infamous Life, The autobiography of Mobb Deep’s Prodigy de Albert Johnson et Laura Checkoway, publié par Touchstone Books en 2011.
Rod Glacial préfère Hell on Earth et il est sur Twitter @FluoGlacial
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