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Music

Le Butcherettes est le dernier groupe punk du village

Rencontre avec Teri Gender Bender, indomptable leader du groupe mexicano-américain qui compte Iggy Pop, Henry Rollins et Shirley Manson parmi ses fans.

Lorsque Teri Suarez du groupe punk mexicano-américain Le Butcherettes se recouvre de sang, ce n'est pas juste pour la provoc. La théâtralité du sa musique et de son esthétique sont en réalité intimement liées à la violence obscène de Guadalajara, sa ville d'origine et à la fascination de son pays pour la mort et le sacrifice. En espagnol, le sensationnalisme morbide de Teri prend le nom d'« amarillismo ». En anglais, on se bornera à dire que c'est hyper punk. A Raw Youth, le quatrième album de Le Butcherettes, dépeint exactement ce qu'on peut ressentir quand on découvre Iggy Pop et Black Flag dans un village du fin fond du Mexique plongé dans la terreur. Ado punk dans la ville fasciste de Guadalajara, Suarez s'est abritée derrière la musique, fuyant la corruption ambiante et les effusions de sang. Pour elle, le punk est bien plus qu'un simple esthétique. C'est une question de vie ou de mort.

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À la tête de Le Butcherettes depuis 8 ans, Suarez s'est transformée en Teri Gender Bender, une figure visionnaire du rock contemporain, adulée aussi bien par Henry Rollins et Iggy Pop que par Shirley Manson. La voix de Gender Bender n'est pas sans rappeler Karen O à ses débuts, le tablier ensanglanté et les guitares aiguisées comme des couteaux de boucher en plus - comme vous pourrez le constater à l'écoute de A Raw Youth, qui sort aujourd'hui sur Ipecac. « Ce disque est une ode aux rebelles », m'explique Gender Bender au téléphone depuis El Paso, après avoir fracturé son van pour récupérer son téléphone portable.

Noisey : A Raw Youth tire son inspiration de la jeunesse en général mais est-ce que tu peux me parler de ta jeunesse à Guadalajara et de ce qui t'as poussé à écrire de la musique ?
Teri Gender Bender : C'est difficilement descriptible, mais en grandissant à Guadalajara, j'ai rencontré les personnes les plus humbles et les plus travailleuses de ma vie. C'est fou, il y a deux extrêmes, tu peux faire la connaissance de personnes bienveillantes, humbles et très travailleuses, pas suffisantes pour un sou, et à deux pas, dans le même bloc, tu peux te retrouver face à des ravisseurs et à des bandits. L'histoire du Mexique est chaotique, dans tous les sens du terme.

Comment ça ?
Le Mexique a été bâti sur le sang des sacrifices humains. Toutes les pyramides qui ont été érigées ici sont parfaitement alignées avec le soleil et la lune. Ces pyramides ont été construites avec le sang des esclaves, je pense que c'est pour ça que la culture mexicaine est obsédée par la mort. On célèbre les morts et les tragédies. Si quelqu'un se fait renverser par une voiture, tu auras les moindres détails de l'accident à la télé, non-censurés. En espagnol, on parle d' « amarillismo », je ne sais pas s'il y a une traduction anglaise, mais c'est la fascination morbide des médias.

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En anglais, on parle de « bottleneckling » quand les voitures ralentissent pour jeter un coup d'oeil au carnage. C'est comme du porno d'atrocités.
Oui, cette fascination pour l'horreur est très ancrée dans notre culture. C'est très intense, parce que le Mexique vit entre deux extrêmes. D'un côté, tu as cette ultra-violence et de l'autre, des personnes très pieuses, qui sont convaincues, en leur âme et conscience qu'il y a quelque chose de sacré et de surnaturel dans ce pays. Et tout ça s'équilibre, au final.

Comment as-tu découvert le punk américain ? Tu parles souvent de ton amour pour Iggy Pop et Black Flag.
J'ai eu l'immense privilège de baigner dans la culture américaine puisque mon père travaillait à Denver. Il s'est installé là-bas après s'être fait agresser à Mexico. Le moment était venu de trouver un endroit où ma famille puisse se sentir en sécurité. On lui a proposé un poste de gardien de prison et il a accepté.

À Denver ?
Ouais. Il était très bon dans son boulot. Quand je suis arrivée à l'école là-bas, j'étais entourée de kids qui adoraient des groupes « punk » qui moi, me semblaient bidon. Je les trouvais trop superficiels. Pour moi, le punk ne se limite pas à la musique, ça implique aussi des opinions. Il faut que tu croies à ce que tu fais et à ce que tu dis, que tu sois de droite ou de gauche ou que tu composes des morceaux sur les fleurs… Tu dois y croire et te donner à fond. Au Mexique, les Dead Kennedys ont été un groupe déclencheur pour moi. Bikini Kill, également. J'ai commencé à fouiller sur Internet. J'avais besoin qu'on me montre d'autres réalités, parce que je n'arrivais pas à croire ce qui se passait autour de moi.

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Sur un morceau de A Raw Youth, Iggy Pop chante avec toi en espagnol. Parle-moi de cette collaboration. Le titre de l'album, A Raw Youth, a quelque chose à voir avec lui ? Pour moi, ça sonne comme la combinaison de ses albums Raw Power et Lust for Youth.
Ce n'était pas volontaire, je l'ai réalisé après la sortie de l'album ! Je suis hyper reconnaissante de l'avoir eu sur l'album, c'est une icône du punk mais aussi une personne que j'admire énormément. Il est tellement touche-à-tout et c'est vraiment cool qu'il soutienne encore des jeunes artistes ainsi que des artistes actifs depuis 20 ans. Ce n'est pas seulement le cas d'Iggy, ça vaut aussi pour Henry Rollins. Il vient de faire un truc avec Savages, par exemple.

Exact. Iggy Pop a même collaboré avec des artistes pop, comme la chanteuse Sky Ferreira.
Oui, et c'est vraiment génial de voir qu'ils collaborent encore avec d'autres aujourd'hui. Ils ne se disent pas qu'ils ont suffisamment donné et qu'il est maintenant temps de rentrer hiberner chez eux pour le restant de leurs jours. Ils sont encore à la recherche d'un contact humain. Shirley Manson est une déesse. C'est une des personnes les plus humbles que j'ai eu la chance de rencontrer. Elle est très franche et elle a des avis sur tout. Elle se moque de ce que peuvent penser les autres et elle veut toujours avoir son mot à dire. Ca m'a beaucoup motivée parce qu'au Mexique, j'ai grandi entourée de femmes qui n'osaient pas parler et avaient peur d'aller à l'encontre de la culture. Enfin, ça vaut surtout pour les femmes issues de la génération de ma mère et de la génération de ma grand-mère. Henry s'exprime sur ce en quoi il croit. Iggy Pop est un type vraiment brillant et malin.

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Le son de A Raw Youth est nettement plus propre que celui sur Cry is For the Flies et Sin Sin Sin. L'énergie garage de Le Butcherettes est toujours bien présente, mais c'est beaucoup moins brutal que vos anciennes productions. C'est assez électronique, en fait.
Omar [Rodriguez Lopez, guitariste de The Mars Volta et At the Drive-In] est l'un des meilleurs producteurs que je connaisse. Il sait comment s'y prendre avec le matériel analogique, c'est sa génération. C'est très intéressant de voir que même si on travaille avec du matériel numérique, Omar sait toujours comment faire ressortir un son qui rappelle les cassettes sur l'album. On a fait un grand saut depuis Cry is for the Flies et Sin Sin Sin. Pour cet album, je lui ai expliqué que j'avais très envie de faire une ode aux rebelles à travers les âges, qui s'étaient battus pour ce en quoi ils croyaient, même s'ils pouvaient être tués pour leur opinions ou avoir leurs familles incarcérées ou torturées. Selon Omar, il fallait contrebalancer ça avec une production plus propre, pour que le message soit plus direct. Les voix sont également plus pures, avec beaucoup moins de réverb'. Je lui ai présenté tous les morceaux que j'avais en tête pour A Raw Youth. Par exemple, le morceau « Sold Less Than Gold » a une mélodie qui met de bonne humeur, elle est mignonne, légère, alors que les paroles sont très sombres. C'est l'histoire d'une femme du Moyen-Orient qui a été vendue par sa famille parce que sa vie était moins précieuse que de l'or. Il faut réussir trouver un équilibre entre tous ces éléments. On s'ennuierait s'il fallait toujours relier la musique aux émotions. Ça finirait par n'être que du bruit.

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Tu as récemment déménagé de L.A. pour t'installer à El Paso, Texas. Pourquoi ?
Pour plein de choses. La mort, l'amour, ma mère.

L'amour ?
L'amour de ma famille. Je me sentais très seule à L.A. Même si j'étais entourée de gens géniaux et de très bons amis, ma mère et mes frères me manquaient. À ce moment-là, ils vivaient à Guadalajara, mais un terrible incident a forcé ma mère a déménager à El Paso. Aujourd'hui, j'habite avec ma mère, c'est génial de l'avoir à mes côtés.

C'est marrant, au départ j'ai pensé que tu avais bougé à El Paso pour t'enfermer dans une grange comme Karen O l'avait fait pour le dernier album des Yeah Yeah Yeahs. Le gens te comparent souvent à Karen O, en tant que chanteuse et pour ta présence scénique.
Wow, je ne savais pas ça. Mortel. À environ une heure d'El Paso, il y a un studio d'enregistrement cool, le Sonic Ranch, les Yeah Yeah Yeahs y ont beaucoup enregistré, et je comprends parfaitement pourquoi elle a voulu aller là. C'est un endroit très beau et isolé, et les nuits étoilées tu as l'impression d'être dans l'espace. C'est magnifique.

Tes concerts sont esthétiquement très soignés, tu utilises beaucoup le sang et les costumes. Quand tu composes, tu imagines la manière dont tu vas jouer le morceau en concert ? Ou tu le penses comme un procédé séparé ?
Tu sais quoi ? Ta question défonce, figure-toi que je n'y avais jamais pensé avant. Pour moi, ça vient après. Quand tu composes, tu essayes plutôt de visualiser le monde que tu es en train de créer. Je me pose toujours la question de ce que j'essaye de créer avec mon morceau. Donc je reprends les paroles et j'essaye de me les représenter, visuellement. Dans le morceau que j'écris en ce moment, j'imagine que je suis coincée dans un placard, entourée de poupées de cire immobiles, que je leur hurle dessus et les supplie de me répondre. Je veux donc parle de tout ça, sans être trop directe non plus. J'essaye en permanence de ne pas utiliser des mots trop galvaudés, mais je veux que ma mère, qui parle espangol et anglais, puisse aussi les comprendre. Je souhaite que les paroles soient aussi compréhensibles pour les gens dont l'anglais n'est pas la langue maternelle. Parfois, je traduis des expressions espagnoles en anglais et le résultat est ridicule. Ringo Starr a inventé « A Hard Day's Night », ce n'est pas une vraie expression anglaise. Il disait des trucs marrants et il en faisait des expressions.

Dernière question : quel message espères-tu que les gens retiennent de A Raw Youth ?
J'ai récemment réalisé que si tu te bats pour un camp, tu dois t'attendre à ce que le camp adverse se batte avec la même passion. Il faut toujours se poser des questions et faire des recherches, pas uniquement dans les livres, mais dans la vie en général. Avant, je jugeais beaucoup mon père. Je ne comprenais pas pourquoi il buvait autant alors qu'il avait une femme aimante et des enfants, puis j'ai compris qu'il avait ses raisons. Et si je ne peux pas comprendre ça, et que je me considère comme une artiste tolérante et ouverte d'esprit, ça signifie juste que je suis conservatrice. Je ne me concentre que sur les émotions, et c'est bon de savoir mettre les choses en perspective. Heureusement, je fais de la musique et je n'ai pas à m'exprimer directement sur le pétrole et tout ça, parce que franchement, je n'y connais rien. J'y comprends rien. La seule chose que je peux dire c'est « Oh mon Dieu, je suis tellement heureuse d'être en vie. »

A Raw Youth est disponible sur iTunes.

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