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Music

Tout le monde se lève pour Lady Leshurr

Après avoir foutu la zone sur YouTube pendant toute l'année 2015, la rappeuse de Birmingham débarque à Paris.

En moins d'un an, une rappeuse a métamorphosé l'expression « Queen’s Speech », la téléportant des salons de Buckinhgam aux rues de Birmingham. Aujourd'hui, chaque fois qu'on tombe sur ces deux mots, « Queen’s Speech », c'est pour nous rappeler que Lady Leshurr vient de sortir un nouvel épisode de sa série de freestyles. Son concept de vidéos en 5 parties a agité 2015 du début à la fin, naviguant entre déconne, envolées lyriques et piques appuyées. Après avoir délivré quelques conseils d'hygiène (« Brush your teeth ! »), Leshurr poursuivait sans transition : « I've got a dark skin friend that looks like Rachel Dolezal / And I've got a light skin friend that looks like Rachel Dolezal ». Chacun de ses freestyle était accompagné d'une vidéo YouTube réalisée en une prise, le quatrième épisode ramassant plus de 15 millions de vues au passage.

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À une période où le rap anglais et le grime n'ont jamais été autant présents dans les médias, on est obligés de remarquer que quasi chaque artiste qui marche aujourd'hui vient de Londres. Dans la musique britannique urbaine, un artiste avec un accent non-londonien est toujours perçu par le mainstream comme une sorte de musicien de niche, pour initiés (exemple : Bugzy Malone). Voilà pourquoi le parcours de Leshurr, dont la popularité a explosé en quelques mois malgré son identité régionale très marquée, a pas mal de choses à nous apprendre.

« Être Noire c'est déjà une chose. Ajoute à ça le fait que je sois une fille noire et que ne vienne pas de Londres, et je coche toutes les mauvaises cases ! Mais je suis là pour briser les barrières. »

La scène rap britannique qui l'a influencé au départ, et qui l'influene toujours, reste un milieu à dominance masculine, malgré le boulot effectué par des pionnières comme Ms. Dynamite, Shystie et d'autres. « On n'est toujours pas classées en tant que 'rappeuses' mais comme 'meufs qui rappent' - genre, t'es bonne pour une fille. »

Leshurr a décollé à la suite d'une apparition dans le film criminel 1 Day, tourné à Birmingham. Le statut immédiatement culte du film, centré sur la vie d'un gang, où ne figuraient que des acteurs amateurs, a précédé son succès dans la musique. Wiley, Ghetts, Kano et d'autres ont tous tweeté des trucs positifs à propos de sa musique, et quand elle a commencé à bouger à Londres - notamment pour enregistrer des freestyles sur la Tim Westwood TV ou SBTV—elle a finit de convaincre tout le monde. « Les gens me reconnaissaient, 'oh mais c'est la meuf de ce film !' » rigole Leshurr. « J'imagine que mon accent est une bouffée d'air frais parfois. Je ne connais aucune autre rappeuse à Birmingham de toute façon, donc c'est cool de représenter la ville. »

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Mais ça n'a pas été aussi simple. En 2013, dans une interview pour The Guardian, Leshurr avançait que l'industrie musicale « ne savait pas quoi faire avec les femmes. » Les labels l'approchaient parce que son buzz était déjà important, mais ils voulaient déjà la faire changer son image et sa musique. Elle a même été contactée par Atlantic Records, uniquement parce qu'ils voulaient la faire enregistrer un clash contre Nicki Minaj.

« J'ai réalisé à ce moment là que l'industrie musicale ne savait vraiment pas quoi faire avec nous, en termes de marketing ou de carrière. J'avais l'impression que leur seule stratégie était de retourner les filles les unes contre les autres. Les médias essaient de monter des beefs imaginaires, ça me rend dingue. Je suis pour l'émancipation de la femme - je représente la cause alors je ne mettrai jamais une autre femme à terre. Je ne clasherai jamais quelqu'un bêtement. »

Neuf mixtapes et un break d'un an plus tard, Leshurr est revenue sur les radars début 2015 avec les freestyles susmentionnés, où elle se lâchait complètement. Elle m'a avoué avoir complètement arrêté d'écouter de la musique durant sa pause, et après avoir ré-intégré le monde de la musique, elle a senti que le fun n'y était plus. Pour revenir, elle devait frapper un grand coup, et elle l'a fait en s'autoproclamant reine du game. « J'ai structuré tout ce que je voulais faire, comment je voulais appeler ça, et j'ai balancé le truc. Je crois que la raison du buzz instantané est que personne ne faisait ce que j'ai fait au moment où c'est sorti. »

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En l'espace de 18 mois, on a vu Skepta en couverture de Fader, Drake avec un tatouage BBK (le crew de Skepta), Novelist bosser avec Ratking, Krept & Konan monter en flèche, Kanye West branchant la scène grime pour le rejoindre à la cérémonie des Brit Music Awards, et bien d'autres choses. Mais Leshurr n'est pas omnibulée par l'opinion des Américains sur ce qui se fait en Angleterre. « On a ce qu'on a, et on l'a construit nous mêmes : c'est Anglais, c'est Britannique, c'est à nous » explique t-elle. « Si les Américains veulent s'intéresser à nous et à ce qu'on fait, qu'ils nous respectent et nous dédiacent, alors qu'ils le fassent, mais je ne pense pas qu'on ait besoin de caution. On sait tous que ce qu'on fait ici tue, c'est pour ça que ça existe depuis si longtemps. »

Ceci n'exclut évidemment pas une potentielle carrière en Amérique : « Le côté visuel est important pour moi, que des gens se sentent concernés par ce que tu dis, ce que tu fais. Et c'est plutôt rare à notre époque, quand je mate des clips je trouve que les gens ne font pas les choses à fond. Je veux changer ça. Je veux que les gens entendent ce que j'ai à dire. Si tu as une histoire à raconter, y'a pas de raison, avoir un accent et être Britannique est un plus finalement, ça te démarque des autres rappeurs américains. »

On a ensuite évoqué la performance de Kanye West aux Brit Awards, lorsqu'il a convié plusieurs gros noms du grime et du rap anglais à participer à la première de son morceau « All Day » en live (souvenez-vous, le lance-flammes). Un truc qui me trotte encore dans la tête : pourquoi il n'a invité aucune artiste féminine à se joindre à la fête, genre Leshurr ou Little Simz ?

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« Je n'y ai pas vraiment réfléchi sur le coup, mais ouais, on n'a pas vraiment l'attention qu'on mérite. On est balayées sous le tapis, 'Oh, c'est juste elle', et on n'est même pas mentionnées aux côtés de Skepta et de gens comme ça. On est toujours placées dans la case 'pas mal pour une meuf' et c'est horrible. C'est un des points sur lequel je veux insister en 2016. Je veux être sûre que nos noms rejoignent ceux des artistes établis en Angleterre et aux Etats-Unis. »

Leshurr a été nominée aux MOBO awards en 2015 et son excitation et sa gratitude sont très palpables quand elle en parle : « J'avais l'habitude de noter sur un papier les objectifs que je voulais atteindre, et celui-ci était un de mes but principaux l'année dernière. Je me disais que si je faisais un maximum de buzz avec tous mes “Queen's Speech”, je serais nominé pour un MOBO, et c'est ce qui s'est passé. » (Et c'est encore ces diables de Krept & Konan qui ont raflé la catégorie de meilleur artiste hip-hop)

Cette année, Leshurr va enfin sortir son premier album studio. Ce sera un condensé de tout ce qu'elle a fait jusqu'à maintenant, en ajoutant des éléments de ses deux autres disciplines : la comédie et la danse. Elle projette aussi un film, et une ligne de vêtements où l'on pourra se procurer le célèbre crop top Queen qu'elle porte dans ses vidéos.

Ces derniers mois, on a vu le pouvoir que certains gros noms avait sur la perception du public. Aujourd'hui, plus personne n'est étonné de voir figurer un morceau de grime dans un top de fin d'année (Stormzy, Skepta, etcetera) ou qu'un duo de rap anglais écrive des morceaux pour Wiz Khalifa et Jeremih (Krept & Konan).

Mais il manque encore un truc : la présence des femmes au même niveau. Le récent documentaire Through the Lens of Hip-Hop : UK Women en apportait les preuves évidentes : les meufs sont bel et bien là et elles ont la niaque. Depuis trop longtemps maintenant, les Anglaises dans le rap ont été plus perçues comme une anomalie plutôt qu'une inéluctabilité. On espère qu'avec le succès de Little Simz et le futur album de Lady Leshurr, une nouvelle génération de femmes britanniques vont s'en inspirer, prendre le micro à leur tour et avoir un impact plus important sur le futur du rap anglais.

J'avais quand même une dernière question à lui poser avant de partir, vu qu'elle a passé la majorité de l'interview à me répéter que la scène actuelle avait perdu son fun… Combien de fois par jour la reine se brosse t-elle les dents ? « Deux fois, le matin et le soir. J'ai réussi à me procurer ce dentifrice spécial appelé Boca avec ce type qui fournit des célébrités comme Kirsten Dunst et Brad Pitt. Il y a un truc dans le dentifrice qui t'aide à bien dormir, et le lendemain matin, tu es frais et au taquet. Et ça marche plutôt pas mal ! » Lady Leshurr sera en concert à la Maroquinerie (Paris) le 9 janvier et on vous fait gagner des places par ici. Vous pouvez suivre Nilu sur Twitter.