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Music

De la fête d’anniversaire au bal de mariage : la solitude du DJ itinérant

Ils étaient présents à chaque étape importante de votre vie et vous ne les connaissez même pas.

Tous les DJ's ne peuvent pas se vanter d'être résidents dans un club. Tous les DJ's ne dorment pas dans des hôtels 4 étoiles, ou plus. Tous les DJ's ne sont pas reçus à l'aéroport d'Heathrow par un petit européen capricieux tenant un petit bout de feuille A4 où est écrit leur nom. Pour certains, la réalité est bien loin de tout ça, elle réside plutôt dans le fait de manger des sandwiches triangles sur le siège conducteur d'une Mondeo et d'essayer de faire danser de jeunes enfants gâtés et ingrats ou des familles entières d'adultes avinés tout aussi ingrats. Ce sont les hommes de l'ombre du monde de la dance music. Ce sont nos DJ's mobiles.

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Une DJ mobile peut recréer n'importe quelle ambiance demandée, à tout moment, grâce à ses piles de compilations triple-CD et ses spots lumineux customisés. Tout ça est suffisant pour faire glisser un homme sur les genoux au son de « Dancing Queen », que le morceau résonne dans les murs d'un foyer logement, d'une boum d'anniv ou lors de noces d'étain.

Qu'est ce qui leur confère donc ce côté à la fois solitaire et intouchable ? Est-ce leur rôle distancié qui leur permet à n'importe quel moment du jour ou de la nuit de sécher nos larmes en balançant pour la trentième fois de leur semaine « I'm in the Mood for dancing » ? Est-ce que ce sont les récurrents « tout le monde se lève ! » aux multiples tonalités balancés au micro afin d'inviter les 3/4 des gens assis à remuer ? Peut-être que tout ça vient de leur capacité à s'adapter à toutes les situations, qualité intrinsèque de la profession. Ils étaient là au mariage de vos parents, à votre baptême et aux 20 ans de votre cousin, mais vous ne les connaissez pas, vous n'avez même probablement jamais discuté avec eux, vous ne savez rien de leur vie, tout ce qu'il vous reste d'eux est leur tête baissée à l'arrière plan de cette photo jaunie où votre père bourré et votre oncle excité tentent de s'expliquer.

Chris, le boss de Abracadabra Disco à Norwich, est un homme qui a donné sa vie au disco mobile. Après avoir trimballé ses vinyles, CDs et maintenant ses disques durs dans toutes les boites de nuits des plaines du Norfolk depuis 46 ans, il sait de quoi il parle quand il s'agit de faire vibrer une famille rassemblée pour célébrer un événement magique. On lui a demandé de revenir sur sa carrière de DJ mobile et tenté de comprendre ce qui a fait de lui l'un des premiers à s'aventurer dans ce business. « Au début je faisais partie d'un groupe, un trio qui s'est transformé en quatuor, mais on se prenait tellement la tête par rapport à ce qu'on devait jouer, et où on devait jouer, que je me suis dit, stop. Alors j'ai fait mon bout de chemin tout seul. Je n'avais pas énormément de morceaux à cette époque. Je pensais qu'à ma première soirée, je ne devais pas avoir plus de 100 singles avec moi. »

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Après un petit séjour dans la Marine, pendant lequel il taquinait les platines d'un club de Gibraltar, il a commencé à vraiment s'intéresser au monde disco itinérant. Pour Chris, le temps qui passe a un sens. « Je ne peux pas plaire à tout le monde aujourd'hui. C'est pour ça que je vais arrêter l'année prochaine. L'industrie de la musique est trop vaste maintenant. Quand je jouais ABBA à l'époque, je savais que ça allait faire mouche et que les gens allaient danser. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. » Même s'il ne déchaîne plus les foules comme au climax de sa carrière, on aurait tendance à croire que son job est toujours amusant et que son rôle est super important lors des cérémonies qu'il anime, non ? « Non plus du tout. Je n'aime pas me dire que je suis important ou spécial. Si les gens s'amusent c'est super. Le truc, c'est que dans le Norfolk, les gens sont tellement arriérés qu'ils ne savent même pas comment en profiter. C'est compliqué de les faire danser. C'est un job très difficile. » Chris prend sa retraite l'an prochain et n'appréhende pas les samedi soirs à bercer une bouteille confortablement installé dans un fauteuil mou. Peut-être qu'un jour, il reviendra sur sa décision.

Ce sens de la résignation colle également à la peau d'Andy Tugby, l'homme derrière SoundONE Disco. En plus d'être, selon ses propres mots, « moyennement connu au niveau national », il est certain que son soundsystem fut la première discothèque mobile de Cornwall. Avec trente ans d'expérience au compteur, il admet qu'il préfère jouer à des fêtes pour enfants plutôt qu'à des mariages, « les boums d'enfants durent environ deux heures, alors que les mariages durent, durent et durent… » A-t-il au moins le sourire lorsqu'il joue pour ces « journées inoubliables » ? « Rarement, les mariages sont souvent synonymes de soirées pourries où des femmes d'une quarantaine d'année demandent à se trémousser sur « Gimme Gimme Gimme ». Personne n'a le truc. Il y 60/70 personnes qui s'amusent et soudain quelqu'un veut entendre Robson & Jerome. Comme ils sont trop saouls, ils tombent sur le matériel sans même s'excuser. » Andy est aujourd'hui un homme fatigué de « Uptown Funk », allergique à « All About That Bass », et malheureux d'avoir joué « Happy » sans cesse pendant des années.

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Chris et Andy nous dépeignent un bien triste tableau. Ils étaient les DJ's mobiles de la vieille école, ce style de mec qui inspirait l'image d'un mercenaire du divertissement, tentant désespérément de fendre l'obscurité d'un rayon de soleil dans une salle de balle ou lors d'une Bar Mitzvah. Mais ce destin était prévisible, non ? Peu importe le job, tout le monde s'en lasse au bout de 30 ans.

À Londres, j'ai rencontré Paul Linney de Spectrum Disco. Malgré ses trente ans d'expérience, et son attachement aux pépères années 60s, il chérie son travail. Contrairement à Andy et Chris, il joue aussi dans de vrais clubs et fait des sets de tech-house à Ibiza dès qu'il en a l'occasion. « La différence entre moi et les autres DJ's, c'est que quand quelqu'un fait appel à moi, il embauche un vrai DJ, pas juste un type qui passe de la musique. Si les gens veulent un vrai DJ, avec une expérience, du métier, il faut payer le prix. S'ils payent moins, ils auront une performance naze réalisée par un vieux gars chiant. »

Avec Paul, on a clairement l'impression que son métier est différent de celui exposé par nos deux DJ's précédents. « Récemment, j'ai joué pour un mariage dans l'Essex et c'était vraiment cool. Le couple avait invité un ancien finaliste de X-Factor, moi, DJ Luck et MC Neat. » Je lui ai parlé de la difficulté que Chris rencontrait pour continuer à ameuter la foule sur le dancefloor. « En effet. Dans ce milieu, tout le monde rencontre ce type de difficultés. Pour moi, c'est synonyme d'échec. Tu dois faire avec ce que tu as. Il faut jouer « Vogue » ou les Spice Girls avant d'être en place. Dans ce métier, tu apprends vraiment à étudier les réactions humaines, lire sur les visages et les corps. Mais parfois, comme par exemple quand je joue à la soirée Audi Polo, c'est encore plus simple. A droite tu as une fille à moitié nue, à gauche une autre qui crache du feu, et au milieu, DJ Fresh qui te supplie de prendre les platines, à ce moment là, le boulot est quasi fini pour toi. »

Voilà un échantillon de trois styles bien différents de DJ itinérants. Mais ne tirons pas de conclusions hâtives. On voit en tout cas que ces âmes hardies qui endurent de longues journées dans de vieilles granges et des nuits sans fin dans des églises dans le seul but de réunir des gens de tous horizons pour les faire profiter de l'effet spirituel de la danse on un point commun : ils sont masochistes.

Rarement honorés, peu remerciés, jamais célébrés et inconnus, ils continuent de tracer péniblement leur route. Comme nous tous, les factures les obligent à continuer, à assister non sans souffrance une petite de six ans chanter seule sur du Nicki Minaj. De ce point de vue, sont-ils vraiment si différents des DJ's qu'on trouve dans nos clubs traditionnels ? Y a-t-il une vraie différence entre entendre Andy Tugby jouer « Sweet Dreams (Are Made of This) » nuit après nuit, Jeff Mills passer « The Bells » ou encore Armand Van Helden passer « You Don't Know Me » dans chacun de leurs sets ?

D'un côté, cet esprit de clocher est ce qui donne au métier cette forte impression de tristesse digne d'une station balnéaire hors-saison. De l'autre, le côté provincial et unique de ces DJ's itinérants est clairement à mettre en avant dans un monde où tout a tendance à s'uniformiser de manière terrifiante. Ces types ne passeront sûrement jamais de maxis Nu Groove, et vous détesteront certainement si vous le faites, à raison, mais pourquoi ne pas vous offrir les services d'un DJ mobile la prochaine fois que vous organiserez une crémaillère ou un enterrement de vie de garçon ? Il apportera en plus sa propre boule à facettes.

Suivez Josh sur Twitter : @bain3z