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Music

L'art du sample selon Joey Negro

Le magicien de la disco-house vous explique comment sélectionner de bonnes boucles sans dépenser trop de ronds.

Dave Lee, plus connu sous le nom de Joey Negro, est directement lié à l'émergence de la house au Royaume-Uni. De la création de Demix, la section dance de Rough Trade, en 1986, à la réalisation de mixes funky légendaires sur des labels comme Azuli, Nu Groove et Transmat, Lee et son bérêt-casquette ont joué un rôle indéniable dans le milieu. En plus de produire ses propres morceaux et de mixer dans tout un tas de clubs, il a toujours aimé chercher de nouveaux talents et fouiner chez les disquaires, pour réunir sur une même piste, classiques et mixes persos, destinés à des labels comme Strut ou sa propre structure, Z Records. A l'occasion de la sortie de sa compilation House Masters sur Defected, Joey nous en a dit plus sur l'art du sample.

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La règle de base du sampling est simple : si le morceau fait le buzz, les labels vont se ruer dessus pour avoir les droits et en dégager le ou les samples les plus cruciaux. Si on prend un titre comme « American Dream » que j'ai réalisé sous le nom de Jakatta, on peut entendre plusieurs parties du soundtrack d'American Beauty composé par Thomas Newman, ainsi que des accapellas de Stacey Q tirés du morceau « Two of Hearts ». Avec un morceau comme ça, les choses deviennent très complexes sur le plan légal. Les artistes que j'ai samplés demandaient des royalties sur le morceau. Et quand tu as deux personnes qui te demandent 75 % des profits chacune, il ne te reste plus grand chose à l'arrivée ! Avec les années, j'ai remarqué qu'en fait, les « victimes » du sample deviennent plus tolérantes, il y a moins d'exigence sur les pourcentages quand le sample est vraiment retravaillé et ne se limite pas à un simple copier-coller.

A la base, j'étais allé voir American Beauty, film que j'ai adoré. J'ai ensuite acheté la BO et, en l'écoutant, je me suis dit qu'il y avait des passages qui pourraient carrément bien sonner avec un beat house. Je l'ai ramené au studio et j'ai bossé dessus pendant une journée. Ensuite, j'ai ajouté la voix de Stacey Q. Je l'ai enregistré sous le nom de « American Booty » et le tour était joué. Même si ça n'a pas été un succès planétaire, j'en ai vendu quelques milliers d'exemplaires. J'ai ensuite réédité le morceau en y ajoutant cette partie chantée en indien. J'ai retravaillé le tout et je l'ai sorti. C'est là que Ministry of Sound s'en est mêlé et a réclamé les droits.

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Je reçois souvent des messages sur Facebook de gens qui me demandent comment faire pour obtenir les droits d'un sample. Les gens ne connaissent pas les démarches à suivre. Si t'es un petit label et que tu veux les droits d'un morceau qui appartient à une grosse maison de disques, alors c'est un vrai parcours du combattant. Ça peut parfois prendre jusqu'à un an. Souvent, ils doivent envoyer ton morceau à l'artiste samplé, qui doit prendre le temps de l'écouter. Le souci, c'est qu'il rejoint souvent la pile des trucs en attente, si vous voyez ce que je veux dire. Du coup, une fois sur deux, il passe à la trappe. Un autre problème : celui des droits d'enregistrement et de publication à obtenir auprès de différentes compagnies. Si tu es signé sur un gros label, les choses vont beaucoup plus vite car ces organismes sont habitués à ce type de démarche.

Aujourd'hui les samples ne se résument plus à de simples fragments de sept secondes. La plupart des gens savent que Withney Houston s'est fait sampler dans « Ride on Time » de Black Box. Si on écoute « Million Dollar Bill », on reconnait le morceau de Loleatta Holloway « We're Getting Stronger ». En gros, « Million Dollar Bill » est juste une réédition de « We're getting stronger » avec les lyrics de Whitney. À peu de chose près, c'est l'original, il n'y a aucune percussion ou élément supplémentaire. À l'écoute, ça parait super authentique, et c'est normal, parce que ça l'est vraiment.

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Les gens pensent souvent que le sample ne concerne que les vieux vinyles poussiéreux prisés par les « diggers » sur les marchés aux puces. En réalité, beaucoup de morceaux récents sont samplés aussi. J'adore « Pushing On » de Oliver $ et Jimi Jules par exemple. Le morceau contient des voix d'Alice Russel — un truc funky à la James Brown— et l'intro de « William's Blood » de Grace Jones. L'assemblage des deux passages est parfait. Avec les voix, on a vraiment l'impression d'entendre un morceau street-funk du début des années 70. Sampler une voix peut toutefois s'avérer délicat. Si les accapellas sont généralement composés de plusieurs harmonies, c'est vraiment dur de les retravailler, alors que si les voix sont simples, tout devient plus facile. Certains morceaux que vous entendez dans les mashups sont des voix simples. Ça explique pourquoi les voix « parlées » sont plus souvent utilisées dans les samples. Elles nécessitent moins de boulot.

Il ne faut jamais travailler les voix à la va-vite. Rien qu'en regardant le titre d'un morceau, tu peux souvent deviner qui est samplé dessus, et je n'aime pas ça. Le premier volume du LP pirate Accapela Anonymoussorti en 1988, était bourré de voix tirées de grands classiques de la disco dont « Ride on Time », « Son Of a Gun » et beaucoup d'autres. Ces morceaux ont été repris jusqu'à l'épuisement. Je suis beaucoup plus âgé que les gars qui se lancent dans la house ces jours, c'est un fait, et c'est hyper chiant pour moi de réentendre toutes ces rengaines, je me farçis toutes ces avalanches de remixes alors que j'appréciais les originaux. C'est quand j'entends des voix qui n'ont pas été utilisées sur 50 morceaux différents que ça devient intéressant. C'est comme ces nouveaux trucs qui sonnent comme du garage old school des 90's. J'en écoutais beaucoup à l'époque. Si le morceau est excitant, alors c'est cool. De la bonne musique reste de la bonne musique, peu importe l'époque - je sais la reconnaitre. Mais si le titre ne contient rien de plus qu'un gimmick old school, je zappe.

Aujourd'hui, je m'intéresse aux morceaux dont je n'arrive pas à reconnaître le sample original. Si je connais déjà le titre de base je vais me dire « ok, c'est une bonne idée », mais ça ne va pas me transcender non plus. J'aime entendre des choses nouvelles. En fin de compte, tu en oublies tout le reste et tu te concentres juste sur le sample. À moins que quelqu'un fasse un truc vraiment dingue avec un sample, j'aurais toujours tendance à préférer l'original.

Un morceau comme « The Bomb ! » de Kenny Dope a ce pouvoir. « Street Player » de Chicago devient quelque chose de diabolique. C'est un classique new-yorkais pondu par un groupe mainstream surtout connu pour leur ballade « If You Leave Me Now », alors qu'en réalité, c'est un groupe de pur soul-jazz composés de blancs funky. « Street Player », la reprise d'un ancien tube de Rufus, est de loin leur morceau le plus disco. Pour dire vrai, même si Rufus a été l'auteur de grands morceaux, la reprise qu'a fait Chicago a carrément mieux marché. La plupart des échantillons samplés par Kenny Dope sont des trucs que Chicago avait aussi ajouté à ses arrangements. Ce qui est un peu bizarre car David Wolinski, l'auteur des textes originaux, bénéficie de tous les droits. Il est aussi l'auteur de « Fate », écrit pour Chaka Khan et samplé par Stardust sur « Music Sounds Better With You », donc on peut dire qu'il s'en est bien sorti au niveau des droits !

Je crois qu'un morceau comme « The Bomb ! » n'a pas été créé dans l'optique de devenir un tube. À la base, c'était un son super underground, un morceau de club qui allait en fait devenir un véritable hit populaire. Il y a plusieurs exemples qui montrent que les meilleurs morceaux de dance, sont ceux qui, à la base, n'ont rien de commercial, et qui à force d'être matraqués en boîte, finissent par devenir populaires. Il faut un long processus d'attente, et c'est commun à tous les morceaux. C'est ça la magie du sample sur le dancefloor. Tu l'attends encore et encore… jusqu'à ce que le morceau explose enfin. Suivez Joey sur Facebook / Soundcloud / Twitter