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Que sont devenus les skateurs du film « Kids » ?

20 ans après sa sortie, on a réuni les héros du premier film de Larry Clark histoire de savoir ce qu'ils étaient devenus et ce qu'ils pensaient de la nouvelle génération de skateurs.

Cet article est en lien avec la rétrospective sur Harmony Korine organisée au Centre Pompidou du 5 octobre au 6 novembre.


Toutes les photos sont de Derek Scancarelli

« Vous feriez mieux d'éteindre vos cigarettes, les employés municipaux arrivent », nous souffle Jefferson Pang, en désignant l'arche de Washington Square Park de la tête.

Vêtu d'un t-shirt Supreme, d'un short camouflage et de lunettes à monture écaille, l'ancien skateur professionnel suit des yeux les deux femmes arborant l'écusson du service des Parcs de New York sur leur uniforme kaki. Peter Bici, ancien skateur pro et co-équipier de Pang au sein de la team Zoo York lui demande, incrédule : « C'est interdit de fumer dans les parcs municipaux ? »

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Les choses ont bien changé depuis le temps où Pang, Bici et leur acolyte Mike Hernandez ridaient ce parc légendaire de Greenwich Village, à Manhattan. Il y a 20 ans de ça, ils se foutaient bien de se conformer aux décrets municipaux. La clique semait alors la zizanie et entamait les paroles de « Black Cop » de KRS-One à chaque fois qu'un flic venait leur prendre la tête. À un bloc de là, sur la 8ème Avenue, se trouvait l'épicerie où ils volaient leurs bouteilles de bière. À l'époque, ce parc ressemblait plus à un cirque ambulant, au sein duquel évoluaient samouraïs et acrobates, fumeurs de weed et dealers d'acides, metalheads et jeunes clubbers.

Mais pour Pang, dès que vous étiez entourés de votre bande de skaters, il n'y avait plus rien à craindre. À la fin des années 80 et au début des années 90, les seules choses qui comptaient pour eux, c'était le skate et faire un maximum de conneries. Le parc n'était qu'une des nombreuses escales de leur virées quotidiennes. Sur leur route, ils s'arrêtaient également au premier shop Supreme, au spot aujourd'hui fermé de Brooklyn Banks et sur le port maritime de South Street, avant de faire une halte sur la rue St Marks et Astor Place et dans tous les endroits où ils pouvaient trouver une bout de trottoir digne de ce nom.

En décidant de tourner un film sur cette bande, Larry Clark, qui passait pour la première fois derrière la caméra, et Harmony Korine, alors scénariste en herbe, ont, selon Hernandez, défini les contours d'une sous-culture dans la sous-culture. Kids a immortalisé leur adolescence dans un brouillard électrique de 90 minutes mêlant sexe, skate et bières tièdes. Il a également lancé les carrières de Clark et Korine comme réalisateurs et celles des actrices Chloë Sevigny et Rosario Dawson, qui y avaient décroché leur premier rôle.

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Une médiatisation qui a également profité au Washington Square Park, toile de fond de certaines scènes emblématiques du film où les jeunes Pang, Bici et Hernandez tracent avec leur bande, roulent des joints et cherchent les embrouilles. Dans ce groupe ultra-soudé, pas de clivages socieux ou raciaux : tout le monde était logé à la même enseigne.

Hernandez a aujourd'hui 44 ans et est pompier de la ville de New York, dans le secteur de Brooklyn. Bici a 42 ans, il a deux enfants et est également pompier, mais dans le Lower East Side. De son côté, Pang a fêté ses 43 ans, il est le père de deux enfants et gravite encore dans le monde du skate comme directeur national des ventes chez DC Shoes.

On a rencontré le trio sur leur ancien terrain de jeu à l'occasion des 20 ans de la sortie du film. On a traîné dans le parc, bu des bières bien cachées dans un sac en papier — jusqu'ici, un après-midi pas si différent de ceux qu'ils avaient l'habitude de passer quand ils étaient ados — et on s'est lié d'amitié avec la nouvelle génération de skateurs. Vingt ans plus tard, une seule question se pose : les kids d'aujourd'hui sont-ils toujours des Kids ?

Comme beaucoup de skateurs dans les années 90, Hernandez et Pang se sont rencontrés sur un coin de bitume de la ville. Alors qu'ils déambulait en skate dans le Bronx, Pang a entendu Hernandez chantonner un morceau de James Brown. Il s'est arrêté net et s'est présenté à lui. Partageant une passion commune pour le skate et la soul, ils se sont rapidement liés d'amitié.

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« Quand on voyait un autre skateur, on se dirigeait immédiatement l'un vers l'autre, raconte Bici. C'était il y a des années, mais je me rappelle que dès que je voyais un autre skateur dans la rue qui avançait dans ma direction, je m'élançais vers lui et on s'arrêtait pile l'un en face de l'autre. Ça ne fonctionne plus comme ça aujourd'hui. »

Alors qu'Hernandez était devenu ami avec Pang en un rien de temps, il était un peu plus réticent quand il a rencontré Bici. Rebuté par ses cheveux courts, ses Converses montantes blanches immaculées et l'implication de son frère dans la scène hardcore de New York, Hernandez pensait que Bici était un nid à embrouilles.

« Quand j'ai rencontré Pete, je pensais qu'il était dans un délire suprémaciste blanc », rigole Hernandez, réalisant la bêtise de son a-priori.

Grâce au skate, ils ont découvert des groupes comme Descendents, Gorilla Biscuits, Cro-Mags, Token Entry, Joy Division, Butthole Surfers, Dead Kennedys et Depeche Mode, pour n'en citer que quelques-uns. Selon eux, le punk et le hardcore avaient évidemment toujours leur place dans le milieu du skate à New York, mais au milieu des 90's, c'est le hip-hop qui régnait en maître absolu. Pour Hernandez, leurs goûts musicaux étaient très différents de ceux des skateurs de la côte ouest à l'époque.

Le Wu-Tang Clan, A Tribe Called Quest et De La Soul passaient en boucle, faisant office de bande-son tant pour leurs vidéos de skate que pour leurs fins de soirées. Il leur suffisait d'un petit Diamond D, Nas, Fat Joe, Biggie Smalls et de l'abum Daily Operation de Gang Starr pour skater des jours entiers. Un de leurs amis qui bossait en tant que Directeur Artistique chez Tommy Boy Records leur filait des cassettes de Gravediggaz et House of Pain, avant leur sortie officielle, pour qu'ils puissent les copier et les faire tourner. Et quand le gangsta rap de N.W.A. leur sapait trop le moral, ils se tournaient vers des trucs plus spirituels comme Jungle Brothers, Monie Love ou Queen Latifah.

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Michael Hernandez et Jefferson Pang

Lorsqu'ils sortaient la nuit, ils fréquentaient des clubs comme le Tunnel à Chelsea ou Mars dans le West Village. S'ils voulaient un aperçu de la scène musicale du moment, ils se pointaient au Bowery et faisaient un crochet par le CBGB. Comme ils ne voulaient pas payer l'entrée, ils rodaient généralement devant les portes du club, matant les skinheads et les bastons de rue pendant qu'Agnostic Front faisaient trembler les murs de ce lieu légendaire, aujourd'hui fermé.

Quand le gang se retrouvait impliqué dans une bagarre, le fauteur de trouble était bien souvent extérieur. Pang se souvient d'un incident au parc suite auquel Bici et Justin Pierce (qui joue le rôle de Casper dans Kids) ont fini menottés. « Un mec était en train de se branler en matant ma bite alors que j'étais dans la salle de bain. Je lui ai dit de dégager et il m'a attrapé, il ne voulait plus me lâcher », se souvient Bici. Paniqué, Pang a appelé ses potes pour le défendre. « Jeff s'est fait draguer, le type s'est fait tabasser », explique Hernandez.

La bande respecte à fond la nouvelle génération de skateurs pour son talent et son énergie, mais Pang ne retrouve pas le sentiment de camaraderie et de fraternité qui faisait la particularité de leur bande. « Maintenant les kids se détestent entre eux simplement parce qu'ils skatent. À notre époque, ça ne serait jamais arrivé. Tu te faisais exclure seulement si tu faisais un truc vraiment stupide. C'est la faute des nouvelles technologies aussi, ils se détestent tous sur Internet. Je peux t'assurer que ce genre de comportements merdiques n'arrivait pas avant. Ici, c'était un havre pour tous les marginaux qui se trimballaient sur des skateboards », raconte Pang.

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Pour Hernandez, ce ne sont pas forcément les kids qui ont changé, mais la ville. « Les attentats du 11 septembre 2001 ont complètement bouleversé la dynamique de la ville. Maintenant il y a des caméras partout, ils ont fait en sorte que la ville devienne plus sûre, plus propre et plus encadrée », dit-il en martelant le bitume avec son pied. « Le New York dans lequel on a grandi n'était pas aussi réglementé. »

Aujourd'hui, il suffit d'un bagage abandonné à Penn Station pour semer la panique. L'époque où les jeunes pouvaient se faufiler dans les parkings souterrains du World Trade Center est bel et bien révolue. Ils y accédaient par une porte qui donnait sur le système d'aération du building et ils se baladaient dans les couloirs, ou bien ils rentraient dans les garages dès qu'une voiture en sortait. « On faisait des grinds et des lipsides au milieu des courants d'air. Si quelqu'un faisait la même chose aujourd'hui, on le taxerait de terroriste », rigole Bici.

Kids a placé les skateurs de New York sous le feu des projecteurs et des tas d'opportunités se sont bientôt présentées aux membres de la bande. Le trio a fait partie de la team Zoo York, s'envolant jusqu'au Japon pour skater. Les Kids étaient connus par les jeunes du monde entier, particulièrement leur pote et co-équipier, Harold Hunter, dont le charisme et le rôle dans le film ont particulièrement marqué les esprits. Bici porte encore aujourd'hui un t-shirt à l'effigie de son pote, décédé des suites d'une overdose en 2006. Il se rappelle avoir été dans le même avion que Notorious B.I.G dans le courant des années 90, alors que la guerre entre le hip-hop de la côte est et le hip-hop de la côte ouest faisait rage. Embarqués en classe éco à destination de Los Angeles, Pang, Bici, Hunter et Vinny Ponte, un autre rideur de la team Zoo York avaient repéré Biggie Smalls, tout en bling, assis en classe business. Après avoir atterri, Biggie a vu Hunter skater dans un coin de l'aéroport de Los Angeles. Le rappeur est allé à sa rencontre et s'est présenté. « Biggie avait reconnu Harold pour son rôle dans Kids », raconte Bici.

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Hernandez, Pang et Peter Bici sur leur ancien terrain de jeu.

Certains, comme Bici, savaient que leur avenir serait lié au skate. Les autres skataient, mais juste pour le plaisir. « Me faire sponsoriser n'était pas un but. Une fois que je suis passé pro, ça ne m'a plus intéressé, » se souvient Hernandez.

Alors que le groupe débat des mérites des réseaux sociaux et de la nouvelle génération de skateurs, un jeune skateur en baggy, T-shirt gris et casquette à l'envers passe devant nous. On essaye de lui faire signe, mais il ne nous remarque pas. « Tu vois ce que je te disais ! », s'exclame Bici.

Peu de temps après, le kid ride à nouveau dans notre direction et on parvient finalement à retenir son attention. Il pose un pied à terre et son visage s'illumine quand il reconnaît Pang. Quand on lui demande s'il a vu Kids, il s'eclame : « Putain, mais c'est ici que vous tabassez le mec ? » Pour toute réponse, le groupe éclate de rire.

Il s'appelle Zack, il a 22 ans, les cheveux noirs et courts et une pointe d'accent qui trahit ses origines de Louisiane. Il a fini depuis quelques heures son job de plonge à Greenpoint, Brooklyn. On lui demande ce qu'écoutent les Kids d'aujourdh'ui. « De la trap », nous répond-t-il. Pour Hernandez, ce genre de musique n'a rien de nouveau : « C'est juste du rap sudiste ». Mais les vidéos de skate de Zack, filmées chez lui en Nouvelle-Orléans, reviennent aux sources avec des morceaux des Hot Boys et de Big Tymers — le genre de son qu'il écoutait à l'époque où il skatait dans le Sud et qu'il essayait de s'introduire furtivement dans le skate-park privé et tout nase de Lil Wayne, aujourd'hui fermé. C'est peut-être pas comme s'infiltrer dans le World Trade Center mais ça reste une intrusion.

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Quelques minutes plus tard, Zack et les anciens pros font quelques ollies par dessus des poubelles et s'essayent sur les rebords en béton du parc. Devin, un pote de Zack natif de Louisiane de passage à New York, ne tarde pas à les rejoindre. Devin a 18 ans, il n'a jamais vu Kids et confie ne pas trop connaître la scène skate de années 90. Comparé à ce dont était capable notre bande d'amis des années 90, Devin est un enfant de choeur. Il aime rider en écoutant A$AP Rocky mais aussi beaucoup le Wu-Tang, comme ses aînés. Il ne boit pas et ne fume pas de weed et, hormis quelques disputes occasionnelles avec ses parents, il n'a jamais dû faire face à de réels problèmes familiaux et n'a pas eu à se battre pour s'intégrer. « Je passe ma vie à skater, c'est tout », explique-t-il. On voit difficilement les liens qui persistent entre la nouvelle génération de skateurs et la bande de hooligans de Zoo York. « On skate, c'est ce qui compte. C'est ce qui nous lie les uns aux autres, ça peut paraître idiot, mais moi ça me parle et j'y crois. »

Hernandez, Pang et Bici discutent de skate avec Zack.

Toujours dans le coin, on fait la connaissance de Zach (avec un H, cette fois), un skateur du Texas qui aime rider en écoutant Bun B et Pimp B, ce genre de rap de Houston. Il s'avère que Zach est le fils de Mike Kelly, un mec qui gravitait dans la bande avec laquelle les Kids skataient à l'époque. Zach a grandi avec un père skateur et il est parfaitement conscient des différences entre le monde du skate actuel et celui des années 90. L'ambiance fraternelle et l'attitude marche-ou-crève de l'époque de son père n'a plus sa place dans le monde du skate ultra-marketé d'aujourd'hui. « Je connais des tas de types qui ont une planche de skate, le chapeau, la chemise, les pompes et les chaussettes qui vont avec. Ils ont tout l'attirail nécessaire pour skater, explique-t-il. Mais, au final, ils s'en foutent pas mal du skate. » Pour Zach, Kids parle d'une époque qu'on ne pourra jamais recréer. « Ils se pointaient ici, ils skataient comme ils l'entendaient, ils faisaient tout ce qu'ils voulaient quand ils le voulaient. Moi aussi j'adorerais passer ma vie à faire ça, mais aujourd'hui ce n'est plus possible. »

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Hamilton Harris et Hernandez

Quelques minutes plus tard, la bande tombe sur Hamilton Harris, un des autres jeunes qui a joué dans Kids et qui s'est arrêté à Washington Square Park sur un coup de tête. Il ne s'attendait pas à se retrouver au milieu de telles retrouvailles. Dans le film, c'est Harris qui enseigne au public l'art de rouler un joint. Vêtu d'un dashiki, le sourire aux lèvres, il a toujours un peu d'herbe dans sa poche, prête à l'emploi. Résidant actuellement aux Pays-Bas, il est toujours en contact avec la bande de son adolescence. « Je suis né et j'ai grandi ici, je ne l'oublierai jamais. »

Harris a lancé une campagne sur Kickstarter pour financer un documentaire intitulé The Kids, sur son gang de skateurs de l'époque. Ce documentaire reviendra sur la production de Kids et sur les origines de ses jeunes acteurs, dont Bici, Hernandez et Pang. Bici l'aidera aussi à produire le film. En repensant au film original, Harris déclare que l'important à propos de Kids, ce n'est pas le côté sensationnel, mais l'état d'esprit général. « L'énergie retranscrite dans le film est bien réelle. Il n'y a rien de factice dans l'énergie que dégageaient les personnages. Il n'y avait pas de spectacle, pas de répétition, c'était totalement sincère. »

Ces jeunes qui ont grandi dans la pauvreté et la drogue, avec des parents absents se sont créées un groupe bien plus soudé que n'importe quelle famille. L'amour qu'ils se portaient les uns les autres était plus fort que tout, rendant les personnages et le film totalement intemporels. « C'est un documentaire auquel on a rajouté une touche de sensationnel avec le Sida et l'obsession de Telly pour les filles vierges, explique Pang. Mais c'est exactement ce qu'on faisait dans la réalité. Les soirées dans le film étaient juste un peu plus intenses que celles qu'on vivait. Mais sinon, c'était quasiment un documentaire, avec très peu de script. »

Oui, les kids resteront toujours des kids, mais aucun d'eux n'arrivera à la cheville des Kids.

Hamilton Harris et Peter Bici ont travaillé sur le documentaire The Kids.

Derek Scancarelli est sur Twitter. Raffaela Kenny-Cincotta aussi.