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Music

Comment le beef qui sommeillait depuis des années entre Kendrick Lamar et Drake a éclaté sur « Compton »

Désolé Dre, mais ton retour a été éclipsé par une guerre fratricide pour le trône du rap game.
Ryan Bassil
London, GB

Si vous ne le savez pas encore c’est que vous êtes sûrement toujours à la Grande-Motte (sans 3G) : l’œuvre finale de Dr Dre a leaké la semaine dernière—une bande-son librement inspirée du biopic sur NWA Straight Outta Compton qui est finalement, comme le journaliste Jeff Weiss l’a écrit « bien meilleur que n’importe quel album de rap produit par un ermite milliardaire de plus de 50 ans ». C’est bien pour ça que tout le monde s’empresse de donner son avis dessus (« Bonnie Banane va t-elle clasher Dre qui lui a piqué son beat ? »), même si ça vous énerve au plus haut point. Mais mettons la symphonie de Dre sur pause pendant quelques instants pour nous focaliser sur son bienheureux protégé, Kendrick Lamar, invité sur trois chansons de Compton. Sur deux d’entre elles—« Darkside / Gone » et « Deepwater »— certaines lignes ont été interprétées comme un clash subliminal envers le rappeur le plus brûlant du Canada, Drake.

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Voici les passages en question :

« Darkside / Gone » : « Got enemies giving me energy I wanna fight now / Subliminally sent to me all of this hate / I thought I was holding the mic down »

« Deepwater » : « Motherfucker know I started from the bottom »

« They liable to bury him, they nominated six to carry him / They worrying him to death, but he's no vegetarian / The beef is on his breath, inheriting the drama better than / A great white, nigga, this is life in my aquarium »

Si vous optez pour une lecture orientée, sans camp pré-établi, alors « Darkside / Gone » fait directement référence au titre « Energy » de Drake et « Deepwater » cite également « Started From the Bottom », pseudo que Drake utilise dans sa ville natale et sur son prochain disque, Views From the 6. Au début, la nouvelle et son titre en forme de puits-à-clicks (« Kendrick Lamar clashe Drake ») semblait aller un peu vite en besogne. Mais quand on se remémore ces derniers mois d’interaction glaciale entre les deux hommes, mises en relief par les débats autour du fameux couplet de Kendrick sur « Control » en 2013, alors il devient clair qu’une tension bien réelle existe entre les deux rappeurs. Reprenons donc la saga à zéro.

Selon Drake lui-même, il n'a « jamais été insouciant—tout ce qu’il fait est toujours calculé ». C'est ce qu'a prouvé le récent beef qui l’opposait à Meek Mill. Meek a été bombardé de réponses sans avoir le temps de dire ouf avant que Drake, lors de l’OVO fest, performe devant une avalanche de memes dans le but d’humilier Meek qui l’avait accusé d’utiliser des ghostwriters. Drake est sorti victorieux de cette bataille par un quasi-consensus et a été propulsé sur le trône en tant que nouveau roi du rap. Le débat reste ouvert.

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Kendrick et Drake ont d'abord été potes. Drake a été le premier rappeur, en dehors du camp Lamar, à entendre Section.80. Par la suite, il ne lui a pas simplement offert un featuring, mais carrément un interlude entier sur Take Care, en 2011. Kendrick lui a rendu la pareille sur Good Kid, M.A.A.D. City ; ils sont partis en tournée ensemble et ont sorti « Fuckin' Problems » avec A$AP Rocky (qu’ils continuent à jouer en live). Mais depuis que Kendrick a balancé « Control » en 2013—dans lequel il interpelle 11 rappeurs en leur demandant de « placer la barre plus haut » - Drake se sent menacé. Une tension qui a poussé Kendrick à déclarer, l'an dernier : « Endin' our friendship, baby, I'd rather die alone ». Drake, lui, s’est fendu sur « Energy » d’un sobre « I got rap niggas that I gotta act like I like / But my actin' days are over / Fuck them niggas for life, yeah. » Alors qu’est ce qui s’est passé, bordel ?

Comme avec Meek, mais avec un peu plus de subtilité, Drake a tenté de balayer la menace Kendrick d’un malicieux mais néanmoins haussement d’épaules. Quand le couplet de « Control » est sorti, Drake a fait l’autruche. « Ça me paraît ambitieux comme idée » a t-il déclaré à Billboard en 2013. « Je connais très bien Kendrick et je sais qu’il ne me met à l’amende dans aucun domaine. Quand ce jour arrivera, on pourra réétudier le sujet. »

Dans une autre interview, donnée un peu plus tard à Elliott Wilson, Drake feinte à nouveau : « Vous êtes en train d’écouter [« Control »] là ? Je suis pressé de voir ce que [Kendrick] va faire parce que c’est maintenant qu’il va devoir prouver sa consistance. Ça fait, quoi, un album ? Il faut plus qu’un album pour prouver sa solidité. J’attends de voir ce qu’il va faire. Il a un putain de talent. Mais si on parle compétition, je me fais plus de soucis niveau consistance, sur le corpus des œuvres. Je parle de hits, comme Kanye West. Kanye est toujours le mec qui va penser et faire les choses comme personne. C’est les mecs comme ça que je veux surpasser. »

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Avec le recul, on voit que Drake utilise un double-langage. En deux phrases, il considère Kendrick comme un « putain d’artiste talentueux » puis comme un mec qui manque de consistance et de hits. En deux temps trois mouvements, Lamar est relégué au niveau en dessous. Le truc, c’est que Kendrick n’a jamais pris directement Drake pour cible – après avoir invité ses collègues à faire des efforts, Lamar terminait son couplet de « Control » par un « I’ve got love for [you all] » - le type reste sympa et hip-hop, quoi qu’il arrive.

La réaction de Drake a montré qu’il n’a finalement pas pris la provocation de Kendrick à la légère, même si les deux étaient potes à la base. Au lieu de ça, Drake balance des réponses à l’emporte pièce, comme ce passage que beaucoup ont également interprété comme un tacle, sur « The Language » : « Fuck any nigga that’s talking shit just to get a reaction / Fuck going platinum, I looked at my wrist and it's already platinum / I am the kid with the motor mouth. » C’est là que tout est parti en couilles.

Dans un freestyle aux BET Awards, Kendrick a balancé « Nothing’s been the same since they dropped ‘Control’ / And they tucked a sensitive rapper back in his pajama clothes » désignant Drake comme un gamin immature. On peut imaginer qu’il avait trouvé infantile le comportement de Drake après « Control » : le rap a toujours eu la volonté de pousser les autres à frapper plus fort. C’était à nouveau une menace et Drake a une fois de plus intériorisé, pour finir, quelques mois plus tard, par basculer. Puisqu’il calcule tout, il savait probablement que mettre Kendrick en colère pouvait mettre un coup à sa carrière, alors l’an dernier, lors du festival OVO, il a apaisé les tensions en déclarant : « Kendrick était sur mon album. On est partis en tournée ensemble. C’est un des négros les plus durs du moment. C’est une figure. Il devrait être ici ce soir. Il y a des tas de rois dans ce game. »

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L’éloge de Drake sonnait aussi faux qu’un présentateur de talk show introduisant son « formidable invité » : il voulait rattraper son année passée à alterner fouet et carresses, parce qu’il ne voulait pas que Kendrick franchisse le pas pour de bon – et l’atomise – alors qu’il aurait très bien pu lui avouer combien il le kiffait des mois plus tôt, après la sortie de « Control » par exemple. Sur son dernier disque, To Pimp a Butterfly, Lamar souligne l’importance du respect. Kendrick a pu se rendre compte que l’attitude de girouette de Drake signifiait un manque flagrant de respect envers ses frères de la communauté hip-hop. Alors, quelques mois après l’apparition de Drake au festival OVO, ce qui devait arriver arriva, Kendrick a lâché les chiens. Dans son couplet sur le morceau de « Pay For It » de Jay Rock que certains ont aussitôt interprété comme une réponse au morceau « The Language » de Drake, le californien annonçait la couleur : « I tell 'em all to hail King Kendrick, resurrectin' my vengeance / been dissectin' your motormouth, 'til I break down the engine… endin' our friendship, baby, I'd rather die alone / your diaphragm is dietary, what you eatin' on ? »

Ce qui nous amène au morceau « King Kunta », toujours sur To Pimp a Butterfly, qui est peut-être le clash le plus subliminal jamais écrit. Ce couplet, devenu désormais célèbre : « A rapper with a ghost writer ? What the fuck happened ? / I swore I wouldn't tell / But most of y'all sharing bars like you got the bottom bunk in a two man cell » —préfigurait déjà les accusations de Meek Mill. À un autre endroit du morceau, Kendrick affirme que « the whole world talkin’ » et que les gens veulent « cut the legs off him. »

Dans un autre contexte, ça aurait pu être un egtotrip lambda, mais dans les deux ans qui ont suivi la sortie de « Control », s’il y a un type qui a tenté de couper les jambes de Kendrick, c’est bien Drake. Ici, rien à voir avec Meek Mill, le Canadien sait qu'il court à sa perte s'il se lance dans un clash frontal. Il a donc continué à jouer au serpent. Sur Compton, les couplets de Kendrick mettent Drake en garde et lui rappellent qu’en lui manquant de respect, le canadien s’est aventuré dans la mare aux requins. Et si on en croit Lamar, il aurait quelques secrets sur Drizzy qui pourraient finir sur disque s’il le poussait à bout.

Le beef entre Drake et Meek Mill a donné du grain à moudre à un paquet de gens. Il s’est dit que le « mythe s’était légèrement effondré » ; certains ont vu en lui « un nerd devenu jock » ; et quelques-uns en également profité pour lui apporter leur soutien, parce que « Drake créé une musique qui transcende les cultures ». Malgré les différences flagrantes entre son beef fulgurant avec Meek Mill et sa longue discorde subliminale avec Kendrick, Drake a été démasqué : c’est le plus gros manipulateur du rap game. Il s’acharne sur des opposants plus faibles (Meek) mais ne peut pas le faire avec un artiste de son calibre, se reposant sur des tactiques plus que limites pour masquer son jeu.

Les couplets de Kendrick sur Compton sont des tacles appuyés sur Drake, avec crampons vissés - ils laissent clairement entendre qu’il ne va pas tolérer le comportement de Drizzy très longtemps. Dans un article publié sur NPR, le journaliste Kris Ex indique que des artistes comme « Kendrick Lamar et J.Cole ont l’air complètement désintéressés par le jeu consistant à savoir qui deviendra le roi » et que si Drake occupe actuellement le trône du rap, c’est parce qu’il est vendeur, que c’est un bon produit, et sa musique aussi. En gros, Drake fait tomber la monnaie. Mais s’il se fourvoie dans un beef face à Lamar, il ne s’agira plus de savoir qui est le roi de ceci ou de cela, il s’agira de l’interprétation du mot « respect ». La question qui se pose alors est la suivante : Drake va t-il mordre dans l’appât que Kendrick lui tend ? Ryan Bassil est en beef sur Twitter.