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Au royaume de Kem Lalot

Malgré les tempêtes, les annulations et les tentatives de pendaison, le programmateur des Eurockéennes tient depuis 2001 la barre d'un des principaux festivals français.

Photo - Alex Stevens Tout le monde aime les Eurockéennes. C'est comme ça. Même si on n'y va plus qu'une fois tous les 3 ou 5 ans, on a tous laissé un souvenir, un pincement de coeur ou une paire de pompes sur les bords du lac de Malsaucy. Même dans les bureaux de VICE, je n'ai pas réussi à trouver une personne pour en dire du mal. C'est dire. Certains l'aiment d'ailleurs tellement qu'ils l'ont baptisé « le seul festival breton de l'Est de la France ». Créé en 1989, les Eurockéennes de Belfort ont longtemps été le seul évènement d'envergure de ce type en France et ont marqué les années 90 en sortant de leurs manches une série de brelans infernaux (Sonic Youth/Faith No More/Lemonheads en 1993 ; Rage Against The Machine/Bjork/Helmet en 1994 ; Blur/Oasis/Body Count en 1995, Daft Punk/Ministry/NTM en 1996). Au tournant de la décennie, le festival a toutefois connu une douloureuse traversée du désert, dont il ne s'est remis qu'en 2001 avec l'arrivée de son nouveau programmateur Eric « Kem » Lalot. Un personnage a des lieues des clichés post-Live Nation, à la fois charismatique, modeste, tenace, aventureux et formé à la dure sur le terrain, du Noumatrouff, le club de Mulhouse dont il a assuré la programmation pendant 6 ans, à Well Spotted, le groupe de ses premiers concerts. On est allés le rencontrer à quelques jours de la 27ème édition du festival, qui aura lieu ce week-end, pour en savoir un peu plus sur le royaume de Kem Lalot. Noisey : Ça a été quoi ton parcours avant les Eurockéennes ? Vu que je suis du coin, je t'ai croisé assez régulièrement, d'abord avec ton groupe Well Spotted, puis au Noumatrouff à Mulhouse où tu étais programmateur.
Kem Lalot : À la base j'étais parti pour faire des études d'Histoire-Géo ! Bon, je jouais dejà dans Well Spotted à l'époque - enfin, plus exactement, j'ai remplacé leur batteur. Mais tu les accompagnais depuis le début.
Oui, j'étais plus ou moins leur manager, je leur filais des coups de main. Et puis j'ai foiré mes études, je me suis rendu compte que ça ne m'intéressait pas vraiment. À cette période là, on organisait déjà des concerts avec Well Spotted à Belfort, on faisait jouer les groupes de la scène noise française, tous nos potes comme Condense, Drive Blind, etc. Après avoir terminé mes études, j'ai été appelé pour le service militaire et, évidemment, je ne voulais pas le faire. Comme je n'ai pas réussi à me faire réformer, je suis devenu objecteur de conscience, ce qui m'a permis d'intégrer L'atelier des Môles, une association qui gérait pas mal de concerts à Montbéliard. Je ne programmais pas, mais je faisais plein de choses, de l'affichage à l'accueil des groupes. En parallèle, je continuais les concerts avec Well Spotted et après mon année d'objecteur, je me suis retrouvé au chômage. Un jour, j'ai eu l'occasion de faire jouer les Spermbirds, un super groupe de hardcore allemand. Le problème, c'est qu'il n'y avait aucun lieu dispo ni à Belfort, ni à Montbéliard. Au final, j'ai trouvé une salle qui s'appelait le Noumatrouff à Mulhouse et j'ai organisé le concert là-bas. Ça c'est hyper bien passé, on a fait 250 personnes un dimanche soir, plutôt inespéré. Le type qui s'occupait de la salle n'avait pas de programmateur à l'époque, du coup il m'a proposé de m'en occuper. Je me suis retrouvé à faire ça pendant 6 ans, de 1994 à 2000. Je m'occupais de tous les concerts, mais aussi du festival Bêtes de Scène et de la partie club. Ça m'a obligé à ouvrir mes horizons, parce que j'étais plutôt dans la noise et le metal et que là, j'étais obligé du coup de m'intéresser aussi à la chanson, au hip-hop, à l'electro, au reggae… Et c'est là que j'ai commencé à bosser avec Christian Alex, mon bras droit aux Eurockéennes, qui était à l'époque mon consultant-spécialiste en musique électronique. Il était programmateur à l'An-Fer, un club de Dijon et me donnait pas mal de conseils. En 2000, Jean-Paul Roland a pris la direction des Eurocks et c'est quelqu'un qui venait beaucoup au Noumatrouff, parce qu'il aimait bien la programmation. A force, on avait sympathisé, c'était devenu un ami. Pour le festival, il voulait un duo de programmateurs originaires de la région. Du coup, il est venu nous chercher, Christian et moi. Et on a commencé dès l'année suivante, en 2001.

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J'imagine que tu connaissais déjà très bien le festival. D'autant plus que tu y avais joué à plusieurs reprises.

Oui, Well Spotted y ont joué deux fois mais c'était avant que je devienne leur batteur. Cela dit, j'étais présent avec eux, vu que je m'occupais du groupe, et c'était un truc de fou pour nous à l'époque, surtout l'édition 1994 où on avait joué avant Helmet et Rage Against The Machine et où on avait pu les rencontrer et discuter avec eux. Ça reste un souvenir incroyable.

Tu arrives donc à la programmation des Eurockéennes en 2001. C'était une année assez particulière, tous les grands festivals des années 90 comme Reading, Pukkelpop ou Lowlands ont commencé à perdre de la vitesse à ce moment là, c'était vraiment le creux de la vague.

Oui, complètement. Et c'était le cas aussi pour les Eurocks qui avaient connu leurs heures de gloire entre 1994 et 1997 et qui commençait à décliner. Entre 1998 et 2000, le festival a pris un gros coup de vieux. Les programmateurs de l'époque ont fait pas mal de mauvais choix, en accumulant les têtes d'affiche sans vraiment se soucier de la cohérence de l'ensemble. Quand Jean-Paul Roland a repris les rênes, son idée c'était de redonner un nouveau souffle au festival en confiant la programmation à des gens de terrain, soit tout l'inverse des ce qu'il se passait à la fin des années 90, où tout était piloté à distance par une agence parisienne. Et ça a payé.

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Effectivement, ça a très vite repris. Aujourd'hui, les Eurockéennes, c'est d'ailleurs un des rares festivals qui réussit à taper très large tout en restant pointu et intéressant. En regardant la programmation de cette année, par exemple, au premier coup d'oeil, je me dis qu'il y a beacoup de choses qui ne sont pas pour moi, mais en regardant de près je me dis que de Die Antwoord à Sleaford Mods en passant par Seasick Steve, j'ai largement de quoi m'y retrouver quand même. On est loin des festivals façon événements-Live Nation qui se contentent d'empiler les 10 ou 15 mêmes noms.

On essaye de créer un truc à la fois cohérent et excitant. Ce qui n'est pas simple sur un festival généraliste comme les Eurocks. Pour le Hellfest ou la Route du Rock c'est différent, ils sont sur des segments bien particuliers. Nous, ils faut qu'on crée un équilipre entre hip hop, chanson, techno, pop, reggae, punk, hardcore, metal et indie-rock. Heureusement, on a un public qui est de plus en plus ouvert. On a la chance de vivre une période où les gens ne se limitent plus qu'à un style de musique. On a souvent des gens qui vienennt nous voir en disant : « non mais vous avez mis tel groupe de hip hop en face de tel groupe de metal, comment je fais moi, j'adore les deux ! » [

Rires

]

Photo - Valery Jacob

Les Eurockéennes ont toujours été un festival avec une fréquentation très locale. Il y a quelques années, ça représentait les deux tiers du public. C'est un truc que vous prenez particulièrement en compte ?

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Oui, d'autant plus que l'ancrage local est encore plus important aujourd'hui, parce qu'il y a de plus en plus de festivals qui se créent. Il y a 20 ans, les Eurocks, c'était quasiment le seul festival de plein air d'envergure en France ! Aujourd'hui, le public s'est resseré. Avant, on avait pas mal de gens qui traversaient la France pour venir chez nous, mais maintenant ces gens-là ont des festivals près de chez eux. Après, on a pas mal de Suisses, de Belges et

d'A

nglais aussi,

bizarrement.

Par contre, on a très peu d'Allemands, principalement parce qui'ls sont très bien servis chez eux. On a essaye de ne pas s'endormir sur nos lauriers en faisant évoluer le festival aussi bien au niveau de la prog que du côté du site, en essayant d'avoir un coup d'avance sur certains trucs qui, au final, feront la différence.

Justement, un truc que vous faisiez pas mal à une époque c'était les collaborations et créations exclusives. Je pense notamment à Griots & Gods qui réunissait dälek et les Young Gods et qui avait été particulièrement réussie.

Oui, on a beaucoup fait ça, il y a eu Dionysos avec un orchestre classique, la rencontre entre EZ3kiel et Nosfell, Griots & Gods, mais on a préféré arrêter à un moment, pour ne pas tomber dans la redite.

Surtout que c'est un format très casse gueule. Pour un truc génial, tu as énormément de ratages ou de trucs bancals.
On a pas eu de mauvaises surprises, heureusement, mais on savait qu'à chaque fois, on prenait un risque. Cela dit, là, on se demandait si on n'allait pas s'y remettre. Ça fait un moment qu'on ne l'a pas fait et ça recommence à nous titiller. Parce que ça reste des moments privilégiés. Quand tu veux faire jouer un groupe, tu deales avec l'agent, tu te mets d'accord sur le prix, tu payes et bam, c'est terminé. Alors qu'une créa, tu rencontres le groupe, tu discutes avec eux, tu les présentes avec l'autre partie, y'a tout un montage qui dure en moyenne deux ans, ça se fait étape par étape et je trouve ça hyper excitant et intéressant. On fait aussi des échanges. Là, on a fait un projet d'echange avec le Japon, on fait jouer 3 groupes de là-bas et on leur a envoyé 3 groupes d'ici. On est toujours à l'écoute de nouvelles idées. Et puis, même si le renouvellement des têtes d'affiche reste un souci en ce moment pour tout le monde, vu qu'il y a de moins en moins de jeunes groupes qui peuvent prétendre à une place de tete d'affiche et qu'on tourne donc souvent sur les mêmes, il reste des groupes qu'on a pas encore eu et qu'on aimerait avoir. Et dans les groupes de taille intermédiaire, on essaye d'éviter ceux qui jouent partout tout le temps et de programmer des gens qui ont peu tourné avant, qu'on a très peu vu en France. Comme Sleaford Mods ou Antemasque, par exemple. Les Eurockéennes, c'est aussi le festival GéNéRiQ, qui se déroule pendant 4 jours, en février, dans plusieurs villes de l'Est de la France. C'est quoi pour vous, un genre de laboratoire ?
Oui, on s'en sert pour tester des choses. Et ça nous permet aussi de retrouver le coté club et cette proximité avec les artistes et le public qui nous manque un peu sur les Eurocks, forcément.

Il y a un festival aujourd'hui que vous considérez comme un modèle ? Qui vous inspire ?
En termes de découvertes, je dirais le SXSW parce qu'on peut y voir énormément de choses, notamment en hip-hop. Sinon, il paraît que Roskilde au Danemark est incroyable, j'aimerais beaucoup y aller, mais c'est compliqué vu que ça tombe en même temps que les Eurocks. Mais on m'en a dit énormément de bien, visiblement le site et l'accueil sont assez dingues. Christian Alex : Perso, j'aime beaucoup Bestival [festival du DJ Rob Da Bank sur l'île de Wight] qui arrive à aller au-delà de la musique, en confiant des espaces à des collectifs de drag queens avec des décors délirants. Il y a des trucs dans tous les coins, mais ça reste cohérent. En France, on attend vraiment ça. C'est un truc qui ne s'est pas encore développé.

Kem : Après, nous on a un souci par rapport aux autres festivals, c'est qu'on a un site qui est magnifique mais exigu, et on a utilisé à peu près toutes les configurations possibles…

Christian : Non, le vrai souci, c'est qu'on est en France, avec des lois et des règles sur la construction qui sont infernales pour les évènements ephémères comme le nôtre. On a aussi une nouvelle génération d'équipes techniques qui ne conçoit les choses que dans le compliqué, dans l'industrialisation, alors qu'on a parfois des idées simplissimes. Du coup, on se retrouve dans un combat perpétuel avec nos interlocuteurs. Photo - Guillaume Gue Le site du festival, c'est ce qui fait une grande partie de son charme et de son identité. J'imagine que vous souhaitez y rester.
Kem : Oui, mais on veut le faire évoluer. Après, c'est compliqué parce qu'il y a des choses qui sont immuables comme la grande scène par exemple. Cala dit, là, on est en train d'explorer de nouveaux terrains qui servent pour le moment à l'accueil artistes et qu'on aimerait pouvoir ouvrir au public. Ça demandera quelques travaux et aménagements, mais c'est faisable. De toute façon, il faut que le festival évolue. On ne pourra pas faire 10 ans de plus sur le même modèle. La dernière nouveauté qu'on a introduite, c'était la scène de La Plage, qui est aujourd'hui une scène emblématique des Eurocks. On est dans la reflexion permanente. Ça fera 15 ans l'an prochain que vous avez les clés du festival. Sur toutes ces années, il y a un moment particulier qui vous a marqué, une image qui vous reste en tête ?
Eh bien, on a été sévèrement bizutés à notre arrivée en 2001 puisque la première journée du festival a été anulée à cause d'une tempête. Je me suis dit : putain c'est ma première année et ce sera aussi la dernière, le festival est foutu ! [Rires] On était sous un vrai déluge, il fallait évacuer, et au final, ça n'a duré que 20mn ! Du coup, le public pensait qu'on allait reprendre, mais il y avait des structures qui avaient bougé avec le vent et puis, à partir du moment ou l'annulation avait été prononcée par la préfecture, on ne pouvait plus revenir en arrière. Du coup, les gens geulaient, c'était l'enfer. Le point positif c'est qu'on a fait complet le jour suivant, par contre on est repartis dans les emmerdes le dimanche avec l'annulation de Motörhead. Mais on en est sortis plus forts. Et on a eu du bol au final parce que l'orage est remonté sur Strasbourg où là, les choses ont été nettement plus dramatiques. Il y a eu 20 morts sur un festival de musique cassique avec des arbres qui sont tombés sur le public… Dans un autre genre, toujours en 2001, pendant que Fantômas était en train de s'installer sur scène, il y a une technicienne pas très bien dans sa tête qui a commencé à grimper tout en haut de la structure et qui a essayé de se pendre avec un cable… Ça a beaucoup marqué Mike Patton, qui m'en reparle à chaque fois que je le croise. OK. Vous avez un souvenir plus positif pour terminer ? [Rires]
Ah oui, plein ! Mais s'il faut en retenir un, sans la moindre hésitation, ce sera le passage de Daft Punk en 2006. Il y'avait une telle attente pour ce concert, c'était fou ! On avait jamais vu autant de monde aussi tard devant la grande scène et dès que ça a démarré c'était l'hystérie. Il y en a plein d'autres qui m'ont marqué mais ça c'était vraiment incroyable. La 27ème édition des Eurockéennes aura lieu ce week-end à Belfort avec, entre autres, Die Antwoord, Eagles Of Death Metal, Run The Jewels, Sleaford Mods, iLoveMakonnen, Forever Pavot, The Shoes, Seasick Steve, Rone, Electric Wizard, The Soft Moon, Pusha T et Off!. Lelo Jimmy Batista est le rédacteur en chef de Noisey France. Il est sur Twitter - @lelojbatista