Kem Lalot : À la base j'étais parti pour faire des études d'Histoire-Géo ! Bon, je jouais dejà dans Well Spotted à l'époque - enfin, plus exactement, j'ai remplacé leur batteur. Mais tu les accompagnais depuis le début.
Oui, j'étais plus ou moins leur manager, je leur filais des coups de main. Et puis j'ai foiré mes études, je me suis rendu compte que ça ne m'intéressait pas vraiment. À cette période là, on organisait déjà des concerts avec Well Spotted à Belfort, on faisait jouer les groupes de la scène noise française, tous nos potes comme Condense, Drive Blind, etc. Après avoir terminé mes études, j'ai été appelé pour le service militaire et, évidemment, je ne voulais pas le faire. Comme je n'ai pas réussi à me faire réformer, je suis devenu objecteur de conscience, ce qui m'a permis d'intégrer L'atelier des Môles, une association qui gérait pas mal de concerts à Montbéliard. Je ne programmais pas, mais je faisais plein de choses, de l'affichage à l'accueil des groupes. En parallèle, je continuais les concerts avec Well Spotted et après mon année d'objecteur, je me suis retrouvé au chômage. Un jour, j'ai eu l'occasion de faire jouer les Spermbirds, un super groupe de hardcore allemand. Le problème, c'est qu'il n'y avait aucun lieu dispo ni à Belfort, ni à Montbéliard. Au final, j'ai trouvé une salle qui s'appelait le Noumatrouff à Mulhouse et j'ai organisé le concert là-bas. Ça c'est hyper bien passé, on a fait 250 personnes un dimanche soir, plutôt inespéré. Le type qui s'occupait de la salle n'avait pas de programmateur à l'époque, du coup il m'a proposé de m'en occuper. Je me suis retrouvé à faire ça pendant 6 ans, de 1994 à 2000. Je m'occupais de tous les concerts, mais aussi du festival Bêtes de Scène et de la partie club. Ça m'a obligé à ouvrir mes horizons, parce que j'étais plutôt dans la noise et le metal et que là, j'étais obligé du coup de m'intéresser aussi à la chanson, au hip-hop, à l'electro, au reggae… Et c'est là que j'ai commencé à bosser avec Christian Alex, mon bras droit aux Eurockéennes, qui était à l'époque mon consultant-spécialiste en musique électronique. Il était programmateur à l'An-Fer, un club de Dijon et me donnait pas mal de conseils. En 2000, Jean-Paul Roland a pris la direction des Eurocks et c'est quelqu'un qui venait beaucoup au Noumatrouff, parce qu'il aimait bien la programmation. A force, on avait sympathisé, c'était devenu un ami. Pour le festival, il voulait un duo de programmateurs originaires de la région. Du coup, il est venu nous chercher, Christian et moi. Et on a commencé dès l'année suivante, en 2001.
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On a pas eu de mauvaises surprises, heureusement, mais on savait qu'à chaque fois, on prenait un risque. Cela dit, là, on se demandait si on n'allait pas s'y remettre. Ça fait un moment qu'on ne l'a pas fait et ça recommence à nous titiller. Parce que ça reste des moments privilégiés. Quand tu veux faire jouer un groupe, tu deales avec l'agent, tu te mets d'accord sur le prix, tu payes et bam, c'est terminé. Alors qu'une créa, tu rencontres le groupe, tu discutes avec eux, tu les présentes avec l'autre partie, y'a tout un montage qui dure en moyenne deux ans, ça se fait étape par étape et je trouve ça hyper excitant et intéressant. On fait aussi des échanges. Là, on a fait un projet d'echange avec le Japon, on fait jouer 3 groupes de là-bas et on leur a envoyé 3 groupes d'ici. On est toujours à l'écoute de nouvelles idées. Et puis, même si le renouvellement des têtes d'affiche reste un souci en ce moment pour tout le monde, vu qu'il y a de moins en moins de jeunes groupes qui peuvent prétendre à une place de tete d'affiche et qu'on tourne donc souvent sur les mêmes, il reste des groupes qu'on a pas encore eu et qu'on aimerait avoir. Et dans les groupes de taille intermédiaire, on essaye d'éviter ceux qui jouent partout tout le temps et de programmer des gens qui ont peu tourné avant, qu'on a très peu vu en France. Comme Sleaford Mods ou Antemasque, par exemple. Les Eurockéennes, c'est aussi le festival GéNéRiQ, qui se déroule pendant 4 jours, en février, dans plusieurs villes de l'Est de la France. C'est quoi pour vous, un genre de laboratoire ?
Oui, on s'en sert pour tester des choses. Et ça nous permet aussi de retrouver le coté club et cette proximité avec les artistes et le public qui nous manque un peu sur les Eurocks, forcément.Il y a un festival aujourd'hui que vous considérez comme un modèle ? Qui vous inspire ?
En termes de découvertes, je dirais le SXSW parce qu'on peut y voir énormément de choses, notamment en hip-hop. Sinon, il paraît que Roskilde au Danemark est incroyable, j'aimerais beaucoup y aller, mais c'est compliqué vu que ça tombe en même temps que les Eurocks. Mais on m'en a dit énormément de bien, visiblement le site et l'accueil sont assez dingues. Christian Alex : Perso, j'aime beaucoup Bestival [festival du DJ Rob Da Bank sur l'île de Wight] qui arrive à aller au-delà de la musique, en confiant des espaces à des collectifs de drag queens avec des décors délirants. Il y a des trucs dans tous les coins, mais ça reste cohérent. En France, on attend vraiment ça. C'est un truc qui ne s'est pas encore développé.Kem : Après, nous on a un souci par rapport aux autres festivals, c'est qu'on a un site qui est magnifique mais exigu, et on a utilisé à peu près toutes les configurations possibles…
Kem : Oui, mais on veut le faire évoluer. Après, c'est compliqué parce qu'il y a des choses qui sont immuables comme la grande scène par exemple. Cala dit, là, on est en train d'explorer de nouveaux terrains qui servent pour le moment à l'accueil artistes et qu'on aimerait pouvoir ouvrir au public. Ça demandera quelques travaux et aménagements, mais c'est faisable. De toute façon, il faut que le festival évolue. On ne pourra pas faire 10 ans de plus sur le même modèle. La dernière nouveauté qu'on a introduite, c'était la scène de La Plage, qui est aujourd'hui une scène emblématique des Eurocks. On est dans la reflexion permanente. Ça fera 15 ans l'an prochain que vous avez les clés du festival. Sur toutes ces années, il y a un moment particulier qui vous a marqué, une image qui vous reste en tête ?
Eh bien, on a été sévèrement bizutés à notre arrivée en 2001 puisque la première journée du festival a été anulée à cause d'une tempête. Je me suis dit : putain c'est ma première année et ce sera aussi la dernière, le festival est foutu ! [Rires] On était sous un vrai déluge, il fallait évacuer, et au final, ça n'a duré que 20mn ! Du coup, le public pensait qu'on allait reprendre, mais il y avait des structures qui avaient bougé avec le vent et puis, à partir du moment ou l'annulation avait été prononcée par la préfecture, on ne pouvait plus revenir en arrière. Du coup, les gens geulaient, c'était l'enfer. Le point positif c'est qu'on a fait complet le jour suivant, par contre on est repartis dans les emmerdes le dimanche avec l'annulation de Motörhead. Mais on en est sortis plus forts. Et on a eu du bol au final parce que l'orage est remonté sur Strasbourg où là, les choses ont été nettement plus dramatiques. Il y a eu 20 morts sur un festival de musique cassique avec des arbres qui sont tombés sur le public… Dans un autre genre, toujours en 2001, pendant que Fantômas était en train de s'installer sur scène, il y a une technicienne pas très bien dans sa tête qui a commencé à grimper tout en haut de la structure et qui a essayé de se pendre avec un cable… Ça a beaucoup marqué Mike Patton, qui m'en reparle à chaque fois que je le croise. OK. Vous avez un souvenir plus positif pour terminer ? [Rires]
Ah oui, plein ! Mais s'il faut en retenir un, sans la moindre hésitation, ce sera le passage de Daft Punk en 2006. Il y'avait une telle attente pour ce concert, c'était fou ! On avait jamais vu autant de monde aussi tard devant la grande scène et dès que ça a démarré c'était l'hystérie. Il y en a plein d'autres qui m'ont marqué mais ça c'était vraiment incroyable. La 27ème édition des Eurockéennes aura lieu ce week-end à Belfort avec, entre autres, Die Antwoord, Eagles Of Death Metal, Run The Jewels, Sleaford Mods, iLoveMakonnen, Forever Pavot, The Shoes, Seasick Steve, Rone, Electric Wizard, The Soft Moon, Pusha T et Off!. Lelo Jimmy Batista est le rédacteur en chef de Noisey France. Il est sur Twitter - @lelojbatista