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Music

Kamaiyah remet la Bay Area au premier plan

Après son premier album « A Good Night in the Ghetto » et un featuring de choix aux côtés de YG et Drake, la rappeuse d'Oakland vous explique pourquoi elle est là pour rester.

Photos - Matt Vega

Vous connaissez le topo : les rappeurs sortent un tube local, obtiennent un deal régional, bossent sur leur album, finissent sur un morceau avec Drake, et deviennent connus. Voilà comment ça marche. Fin de l'histoire. Kamaiyah, la rappeuse de 24 ans originaire d'Oakland, l'a très bien capté, elle a d'ailleurs vu l'exact déroulé de ce scénario dans son esprit au cours de l'année dernière.

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« J'ai l'impression que beaucoup d'artistes s'en remettent aux algorythmes d'Internet, genre 'merde, c'est quoi la tendance en ce moment ?', et c'est bidon » m'a glissé Kamaiyah en cette chaude après-midi de printemps à Brooklyn. « Je ne veux pas réfléchir comme ça. »

C'était quelques semaines avant sa minute de gloire, un couplet sur « Why You Always Hatin’ », tube intersidéral du rappeur de Compton YG, accompagné de Drake. Mais Kamaiyah savait déjà avant de poser que son étoile allait briller d'un moment à l'autre. Sereine, posée et polie, jusqu'à ce qu'elle s'emballe sur un sujet qui la travaille, elle parle avec le ton de quelqu'un qui établit des plans sur le long terme.

L'automne dernier, Kamaiyah a sorti le morceau « How Does It Feel », titre à la fois dansant et méditatif où elle déclarait franco « j'ai été pauvre toute ma vie » avant de s'interroger : « ça fait quoi d'être riche ? » La chanson a aussitôt été saluée par ce qu'il reste de la critique et est tombée dans la boîte mail de quelques pontes de la West Coast, YG en tête, assurant un carton à son premier album, A Good Night in the Ghetto, avant sa sortie, en mars dernier. Beaucoup d'artistes se chargent d'abord d'attirer l'attention surr eux avant de développer leur propre son m'a fait remarquer Kamaiyah ; A Good Night in the Ghetto, à l'inverse, possède une esthétique clairement définie, chose assez rare sur un premier album.

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Mélangeant le G-Funk des 90's à l'approche plus pop et bouncy de la musique se faisant actuellement dans la Bay Area, le disque, comme son titre le suggère, est à l'image de cette basse lourde et moite, il renvoie instantanément à la langueur des nuits d'été dans les rues d'Oakland.

« Je veux juste faire une bande-son qui a du sens pour les gens comme moi, qui ont entre 18 et 25 ans » m'a t-elle expliqué. « Donc une musique qui se rapproche le plus de ce à quoi ressemble une bonne soirée dans le ghetto. »

Kamaiyah est une inconditionnelle des années 90, et sa musique capture l'atmosphère qu'on associe habituellement à nos morceaux préférés de cette époque, où la luxure renvoie simplement à la joie d'avoir plein d'alcool, et plein de potes pour le boire. «You so stressed and so pressed / got no hoes / get no sex / not me baby / I’m swagged up with Moet / I’m bossed up shawty / flossed up shawty / you gon’ need Jesus if you cross up shawty » chante t-elle sur le méga-funky « One Love », invoquant les esprits de Nelly et Warren G. Sa musique, comme elle, est franche et directe, sur « How Does It Feel », elle ne laisse aucun doute sur ses intentions : « If fame is the goal, we can’t get along ».

La célébrité n'est pas le but, ok, mais vous ne pouvez pas lui fermer la porte au nez non plus. Le mois prochain, Kamaiyah rejoindra la tournée d'été de G-Eazy pour quelques dates californiennes, en compagnie de Logic, YG et Yo Gotti. Et maintenant qu'elle a bénéificé du buzz de « Why You Always Hatin »—une face B qu'elle a filé à YG parce qu'elle ne voulait pas la sortir, soit dit en passant - on n'a plus qu'à attendre calmement que son plan se déroule, sans accroc.

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« C'est un morceau que je n'allais jamais sortir, et il s'est transformé en gros single pour un autre » m'avoue t-elle au téléphone, quelques jours après la diffusion du titre. « Voilà la magnitude et le pouvoir qui résident dans ma musique. Je m'en tape de ce que tu penses. A l'arrivée, je fais un truc dont on se souviendra encore dans 5 ou 10 ans. »

Noisey : Qui sont les gens sur la pochette de A Good Night in the Ghetto ?
Kamaiyah : Tous mes meilleurs potes. On a pris la photo devant la maison de mon meilleur ami, James. C'est comme mon frère. C'est lui qui pointe son doigt vers nous, en bleu, sur la pochette. C'était chez lui. C'est lui qui a le cancer ?
Oui. Ca doit être un truc très dur à gérer quand tu es aussi jeune.
Oui. C'est tellement inattendu. Et ça m'apprend à quel point la vie est importante, qu'il faut faire attention à soi et à sa santé. Parce que tu sais, imagine-toi mourir du cancer à 24 ans, c'est vraiment taré… [Edit : James est décédé entre la réalisation et la publication de cette interview.] T'étais quel genre d'élève à l'école ?
J'étais la petite maline du fond de la classe, plutôt populaire. J'étais celle qui n'écoutait jamais mais qui, quand on lui posait une question au tableau, était capable de répondre. Donc les profs me détestaient. Je faisais en quelque sorte la pluie et le beau temps en classe, et eux se disaient « OK, je ne peux pas la virer parce que je sais qu'elle bosse, mais putain elle me fatigue parce qu'elle déconcentre tous les autres ! » Voilà comment ça se passait. Et le rap ? Comment tu t'y es mise ?
Grâce à Bow Wow, le voir à la télé m'a donné envie d'écrire, parce que j'étais une gosse comme lui. Je me suis rendue compte que je pouvais faire des rimes, alors je me suis dit « merde, allons-y », et je n'ai jamais arrêté depuis. Quand j'ai eu 11 ans, un mec qui avait un studio a vu que je savais rapper parce que je participais à un club de jeunes talents avec d'autres garçons et filles, et il a dit à ma grand-mère - son fils rappait aussi - « je trouve que votre petite fille a vraiment un truc, peut-être qu'on pourrait la faire enregistrer ». Puis il m'a dit « il faut que tu écrives tes propres lyrics, et sans jurons » Il fallait accepter ces règles pour pouvoirbosser chez lui.

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Il avait un cahier des charges très fourni. Il y a plein de trucs que tu n'étais pas autorisé à faire. C'est pour ça que sur mon album, tu peux entrendre des morceaux sans aucune insulte comme « Mo Money Mo Problems » ou « Swing My Way ». Et ce nest même pas contrôlé, parce que j'ai appris comme ça. J'ai été littéralement entraînée à ne pas jurer. Il me répétait « je ne pense pas qu'un enfant doit être grossier ». Même en plein milieu du putain de ghetto, il était là, « ne fais pas ça ». Et j'ai l'impression que ça m'a inculqué un sens du professionalisme parce que désormais, quand je vais au studio, je suis prête. Je peux enregistrer une chanson en 10 ou 15 minutes parce qu'on m'a appris très jeune à mémoriser mes raps, et à ne pas jurer. Peut-être pour que tes morceaux passent en radio, que tu puisses passer à la télé, et ce genre de trucs. Et ça te force à être plus créative aussi.
Voilà. Tu dois remplacer les insultes par d'autres choses, penser rapidement. « Damn », vite un synonyme de « damn » ?! [Rires] Donc tu as commencé à enregistrer dans le studio de ce type dès l'âge de 11 ans ?
Oui, et j'ai arrêté vers 14 ans. C'était l'époque où le mouvement hyphy était hyper populaire à Oakland, et moi je voulais faire ce type de son. Lui me disait « non, tu ne peux pas faire ça. Tu ne peux pas enregistrer ça ici. » Alors je me suis barrée. Et j'ai commencé à fréquenter un lieu qui s'appelait le Youth UpRising où il y avait des studios pour les kids du centre-ville. J'ai commencé à faire mes propres trucs là-bas. Comment tu as vécu l'explosion du hyphy ?
C'était fascinant, exaltant. Un truc sur lequel tu ne pouvais même pas mettre de mots. C'était un choc culturel. Un style de vie, un rite de passage à Oakland, et dans la Bay Area en général. Et je me disais, « OK, tu ne veux pas que je cède à ce truc, mais c'est ce que tout le monde fait ! C'est un style de vie. Je ne vais pas t'écouter et je vais faire ce dont j'ai envie. » Mais on est toujours en bons termes hein, je lui parle encore de temps à autre.

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Tout le monde voulait faire ce style de son à cette période ?
Hmm… En fait c'était carrément un nouveau mouvement, que beaucoup ne connaissaient probablement pas, comme le punk rock quand il est arrivé. Donc tu avais des groupes comme The Pack, puis ensuite Go Dav, dans lequel jouait Bobby Brackins. Il y avait ces deux vagues, qui ont plus tard muté en de la pure mob music, où tout le monde gueulait « ahhh, bang em up, shoot shoot, kill kill. » Et le HBK Gang a débarqué. Et toi, dans quelle scène tu te sentais le mieux ?
Moi tu sais, je suis plus une meuf groovy, une meuf nineties, tu vois ? Dans la Bay, tu as plein de types de musiques différentes, qui ne marcheront pas forcément à un niveau national, et international. Il a fallu que je trouve un moyen de transcender ça. J'ai toujours eu l'impression que ma musique était nulle part à sa place, mais aujourd'hui, je trouve qu'au poin de vue de la production, ma musique garde l'essence de la Bay Area. Je me suis toujours dit que je lutterai pour être plus qu'une simple artiste avec sa petite réputation dans la Bay. Il fallait que je transforme cette niche en quelque chose de plus global. Tu travailles depuis longtemps avec le même producteur, CT. Parle-moi de lui.
Je l'ai rencontré au centre Youth UpRising justement, quand j'avais 16 ans, et on a eu un bon feeling ensemble. Il avait construit une sorte de home-studio chez lui, avec son colloc de l'époque. On passait nos nuits là-bas. On a enregistré des tonnes de trucs qui n'ont jamais vu le jour là-bas. Il connaît mieux que parsonne mon histoire, il comprend ce que je veux, mon éthique de travail et comment je fonctionne.

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Si on devait passer « a goog night in the ghetto » ensemble, tu proposerais quoi ?
Juste une bonne teuf, sans drame, sans personne qui se fait tirer dessus, sans baston. Voilà ce que j'appelle une bonne soirée au quartier. Tu vois. Juste rider tranquille, chiller avec les potes, et rentrer chez soi sans problème, un peu défoncé, sans que les flics te chopent, après avoir bouffé chez Jack N the Box— c'est le seul truc ouvert à minuit. Des trucs lambda quoi. A good night in the ghetto. Il y a certaines de tes chansons qui te tiennent plus à coeur que d'autres ?
« For My Dawg » est le morceau le plus dur que j'ai jamais écrit. Mais paradoxalement, la partie la plus dure du titre a été la production. Pendant la composition du beat, j'ai tellement pleuré qu'au moment d'enregistrer, j'étais super-bourrée, et c'est venu tout seul, sans larmes. Quand je le réécoute par contre, j'en verse toujours une, parce que bon, il n'y qu'à écouter les lyrics… Je parle de mon frère malade, qu'on évoquait plus tôt. Et ensuite je parle d'un autre ami proche qui est mort l'année dernière. Il est mort un 4 juillet, c'est un sujet sensible. C'était très dur pour moi d'écrire là-dessus. Mais je sentais qu'il fallait que je le fasse. C'était la dernière chanson du projet, et il fallait que je lui en dédie une.

Il y a eu une transition depuis que tu ne fais plus uniquement de la musique pour tes potes et qu'elle est écoutée par la terre entière ?
Je traite les gens comme des êtres humains. Je reste humble et modeste. Pour moi c'est le meilleur moyen d'avoir du succès. Rester humble. Beaucoup d'artistes laissent la notoriété leur retourner le cerveau - et bon, j'en suis pas encore là, mais je n'ai pas l'impression que ça va beaucoup m'affecter, j'ai toujours pensé que ça finirait tôt ou tard par arriver. Je le perçois simplement comme un juste retour sur mon travail. Le rap est comme un boulot. Il faut être à l'heure, assidu. C'est pareil. Considère l'art comme un job, plutôt que comme un truc que tu fais pour te marrer, ou pour attirer l'attention. Tu as appris quoi durant toutes ces années à faire de la musique ?
Que chaque artiste doit développer son propre son. Personne ne devrait te dire ce que tu dois faire. J'ai l'impression que souvent, de nouveaux gens débarquent avec un morceau, un disque, mais ils n'ont pas un son. Et ensuite ça retombe comme un soufflé, parce qu'il n'ont pas pensé à créer et à développer leur propre identité sonore. Moi je suis dans le game depuis longtemps, bien avant de percer, j'ai commis toutes les errreurs habituelles. Pour moi c'est la chose la plus importante en tant qu'artiste, avoir sa propre formule, être à l'aise dans c que tu fais, et une bonne alchimie avec tes collaborateurs. Et beaucoup de gens n'ont pas ça.

Il n'y a pas de formule définie. Je voulais prouver en sortant un album complet, après « How Does It Feel », que j'étais plus qu'une one-hit-wonder. Je compose une oeuvre au sein de laquelle on peut trouver des sons tout aussi bons. Vous verrez que je ne joue pas. Vous vous direz « cette meuf est là pour rester, elle va devenir énorme. » Suivez Matt Vega sur Instagram et Kyle Kramer sur Twitter.