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Music

Justin Broadrick revient sur son enfance à Birmingham et sur la genèse de Godflesh

Des sorcières, des nazis et des types qui ressemblent à Robert Smith.
Godflesh
Godflesh
Godflesh

Justin Broadrick, le chanteur et guitariste de

Godflesh

, se remet petit à petit d'un virus qui lui a détruit l'estomac. Le mois dernier, lui et Ben Green, bassiste et co-fondateur de Godflesh, ont traversé la Manche pour aller semer chaos et désolation au Hellfest de Clisson (

on y était aussi

).

« Trois jours après notre retour du Hellfest, Ben et moi avons chopé une chiasse d'enfer, avec des bouffées de chaleur, des frissons »

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nous confie Broadrick sur Skype,

« c'était infernal, ça a duré une dizaine de jours et aujourd'hui encore, je ne me sens pas très frais… »

Quand on a eu Broadrick au téléphone, il s'apprêtait à repartir pour le Japon avec son autre groupe, Jesu. Au départ, on comptait lui poser quelques questions sur le nouveau EP de Godflesh,

Decline & Fall

et sur leur album à venir,

A World Lit Only By Fire

– le premier album depuis leur séparation en 2002. Mais comme

on l’avait déjà plus ou moins fait ici

, on a préféré qu'il nous parle de sa rencontre avec Ben et de leur adolescence dans les banlieues pourries de Birmingham au début des années 80. Broadrick s’est laissé aller et nous a révélé plein d’histoires de famille mêlant sorcellerie, nazis et bootlegs des Stranglers.

Noisey : Quand as-tu rencontré Ben ?

Justin Broadrick :

On vivait dans le même quartier pourri à l'est de Birmingham. Quand je l'ai croisé pour la première fois, c'était un petit punk – lui aussi m'avait repéré parce qu’on portait le même type de fringues. Puis on s’est mis à traîner ensemble, j'avais 14 ans et lui 19. Ses deux meilleurs potes étaient Paul Neville, qui a plus tard fait partie de Godflesh, et Diarmuid Dalton, aujourd'hui bassiste dans Jesu. Ça fait 31 ans qu'on est super potes – bon, sauf pour Paul, lui c'est encore une autre histoire. Ça fait tellement longtemps, c'est dingue.

Tu te rappelles de la première fois que vous avez traîné ensemble ?

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Dans notre cité, on s'asseyait souvent sur les marches devant les HLM. Le terme américain c’est « appartments » mais ça inclut une connotation un peu luxe, soit tout l’inverse de la réalité. Ces apparts n'avaient rien de luxueux, c'était juste des logements sociaux de merde construits au dessus de petits commerces tout aussi merdiques. Avec un pote, on s'asseyait sur ces marches et on passait notre temps à zoner comme tout punk de 14 ans. J’avais un T-shirt des Stranglers, Ben passait souvent devant nous et savait qu'on écoutait le même genre de trucs. Il s'habillait un peu comme Robert Smith des Cure, avec la même tignasse – ce genre de look post-punk un peu goth. Là où on vivait, il n'y avait que des hooligans, qui évidemment ne nous appréciaient pas et cherchaient tout le temps à nous cogner. Donc un mec comme Ben, c'était un peu une exception. Et même si l’on était plus jeunes que lui, il nous a tout de suite trouvé cool.

Un jour, on s'est croisés et je crois que j'avais essayé de lui vendre un bootleg des Stranglers. J'avais pas mal de bootlegs à l'époque. C'était des bootlegs sur cassette. J'avais un double lecteur de cassettes donc je pouvais faire plein de copies et j'essayais de les refourguer à d'autres gamins du quartier pour me faire un peu de thune. C'est à ce moment là qu’on a vraiment discuté pendant que je tentais de lui vendre un live de 1977 des Stranglers, ou un truc du genre – et je crois même que Ben l'avait acheté. Ça a forgé notre amitié, il avait dû le prendre par politesse, et pour établir une connexion avec ces « kids qu’il trouvait cool ». Pour moi, c'était lui le mec cool, déjà parce qu'il était plus vieux que nous, et surtout parce qu'il ressemblait à Robert Smith. Ensuite, il m'a présenté Paul et Diarmuid, et c'est là que tout a commencé.

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Votre premier groupe s’appelait Fall Of Because, c'est bien ça ?

Ouais, c'était surtout le groupe que Ben et Paul avaient fondé, avec une boîte à rythme. En fait, je me suis un peu emparé de leur groupe, je les ai convaincu que je pouvais assurer la batterie. J'allais chez eux le soir, quand leurs parents étaient au lit. On s'enfermait dans l'une des chambres, à fumer des joints en écoutant de la musique. Des trucs d'adolescents quoi. Avant que Ben et Paul me parlent de Fall Of Because, j'avais déjà eu quelques groupes avant, dont Final.

J'ai quitté l'école à 15 ans et le dernier jour, j'avais organisé un concert au Mermaid Pub de Birmingham. J'avais invité tous les types de mon école qui avaient des groupes, dont Napalm Death. Fall Of Because et Final participaeint également à la fête. C'était gratuit, mais seulement 25 gusses se sont pointés – qui étaient pour la plupart des membres des groupes, et il y avait aussi un type qui promenait son chien. Un fiasco, mais qui m’a quand même donné envie d'organiser d'autres concerts. J'avais vu Fall Of Because répéter dans la chambre du père de Ben, ils étaient clairement influencés par les Cure – d'où leur look. Leur son se situait quelque part entre

Faith

et

Seventeen Seconds

, mais avec une boîte à rythmes – assez banale, la moins chère du marché. Ils étaient à la fois fans de Dead Kennedys, des Buzzcocks et de Black Sabbath. Ben chantait, mais ça ressemblait plus à des murmures, comme s'il récitait des monologues. On était en 1984 et ils étaient déjà bien en avance sur leur époque. Quelques mois plus tard, j'ai rejoint Napalm Death et j'ai pris Fall Of Because en main en leur filant quelques albums de hardcore, comme Discharge et d'autres trucs comme Swans et Sonic Youth. Puis tout s’est enchaîné.

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Le nom du groupe vient d'un morceau de Killing Joke, non ?

C'était plus une combinaison, parce que Fall of Because c'est aussi le titre d'un des chapitres d'un livre d'Aleister Crowley. J'ai découvert Crowley avec Killing Joke, je devais avoir 11-12 ans, ils en parlaient dans des interviews au tout début des années 80. Leur obsession pour l'occulte me fascinait. Ma mère et ma grand-mère s'étaient déjà essayées aux sciences occultes – en fait, ma grand-mère était une

sorcière blanche

. J'étais attiré par tout ce qui avait trait à l'occulte. D'ailleurs, je ne sais plus s'ils s'appelaient déjà Fall Of Because avant que je les rejoigne, mais c'est moi qui leur ai fait découvrir Killing Joke. Je me souviens que lors de notre première rencontre, ils s'appelaient encore OPD, pour Officially Pronounced Dead. J'avais dû leur proposer ce nouveau nom, je ne m'en rappelle plus.

Attends, ta grand-mère était sorcière ?

Ouais, ouais – je pensais t'en avoir déjà parlé, mais en fait non [

Rires

]. Ma mère s'est essayée à la sorcellerie aussi, avant qu'elle ne prenne de la drogue et tombe dans la religion. Ma grand-mère était Allemande, et ma mère est née en Allemagne elle aussi. Malheureusement, ma grand-mère a été forcée à travailler avec les chemises brunes de l'Allemagne nazie. Elle est restée là-bas jusqu’à la chute de Berlin. C’est là qu’elle a rencontré mon grand-père qui était un soldat anglais pendant la guerre. Ils ont vécu en Allemagne pendant quelques années, à Bielefeld, et c'est là que ma mère est née. Ensuite, elles sont parties s'installer en Angleterre, avec mon grand-père. Mais pendant une bonne partie des années 30, ma grand-mère et mon arrière-grand-mère pratiquaient la magie. Toutes les femmes de ma famille côté Allemand étaient des sorcières blanches en fait. Ma grand-mère appartenait à un sabbat, elle allait souvent danser nue dans les bois.

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Tu te fous de moi.

C'est une histoire de fou je sais [

Rires

]. Quand les nazis sont arrivés, ma grand-mère travaillait comme dactylo pour un journal allemand. Une fois au pouvoir, les chemises brunes ont fait le ménage dans tous les journaux, mais elles avaient besoin du personnel, donc elles ont contraint les employés à prêter serment à Hitler. Pour forcer ma grand-mère, les nazis l'ont pendu à la plus haute fenêtre de l'immeuble en la tenant par le pied, jusqu'à ce qu'elle jure qu'elle travaillerait pour ces connards. Elle a dû taper toute cette propagande dégueulasse pour les jeunesses hitlériennes.

C'est une sacrée histoire…

J'ai grandi avec toutes ces histoires, mes grands-parents me les racontaient quand j’allais les voir. Tard le soir, ils se réunissaient pour boire et parler de sorcellerie. Mon arrière-grand-mère est morte durant la guerre, mais elle « visite » encore ma grand-mère la nuit. Les récits étaient assez détaillés, par exemple sur les épées utilisées lors des rituels. Ça me faisait flipper, même si ce n'était que de la magie blanche.

Ta grand-mère t'a déjà parlé de ses pratiques de sorcellerie ?

Pas vraiment… C'était une femme très étrange et très froide. Elle a vu tellement d'horreurs durant la guerre, surtout vers la fin, quand elle a été enfermée deux mois dans un camp de concentration. Elle a vu des gens qu'on alignait pour les abattre d'une balle. Elle était très détachée de tout. Quand elle me gardait, j'avais tellement peur d'elle et de mon grand-père que je restais dessiner assis en silence. C'était très intimidant. Ma grand-mère a débarqué en Angleterre en 1953, ma mère avait alors six ans et elle n'a jamais perdu son accent allemand. Elle ne m'a jamais trop parlé de ce que ma grand-mère avait traversé, mais j'entendais leurs conversations depuis la chambre d'à côté. Je ne sais toujours pas, aujourd'hui, dans quel camp de concentration elle a été internée. Je sais juste qu'ils forçaient les prisonniers allemands à se tenir devant des gigantesques piles de cadavres. Une horreur inconcevable. Elle était à Berlin quand les Russes ont débarqué et se sont eux aussi mis à commettre des horreurs sur la population allemande, des viols de femmes et d'enfants. Elle aussi est passée par là. Donc à l’époque où j'étais enfant, elle s’était transformée en statute depuis longtemps.

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Toutes ces histoires ont dû te traumatiser quand t’étais gosse.

C’est sûr que ça m’a marqué, tout au long de ma vie. J'ai entendu tout ça alors que j’étais un gamin, sans la maturité nécessaire et sans jamais pouvoir m'entretenir vraiment sur ce sujet avec ma grand-mère et mon grand-père. Ils sont décédés maintenant, et ne m'ont laissé que ces étranges souvenirs. Quand on sait tout ça, la musique que je fais n'a plus rien d'étonnant.

J. Bennett connaît beaucoup trop de sorcières, il devrait se méfier. C'est sans doute pour ça qu'il n'est pas sur Twitter.

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