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Music

Faire de la musique quand on est maniaco-dépressif

« Je me demandais pourquoi personne n'avait jamais écrit de morceau sur ces jours où tu annules tous tes plans pour pouvoir t'asseoir sous la douche, pendant six heures, tout habillé ? »

Photo - Tom Connolly

Salut, je m'appelle Andy et depuis dix ans maintenant, je fais de la musique sous le nom de Caïna. J'ai différents problèmes mentaux. Je suis maniaco-dépressif et j'ai un trouble anxieux généralisé, ainsi qu'un syndrome autistique.

Ça fait vingt ans que j'écoute du metal et à peu près autant de temps que je souffre de ces troubles mentaux. À cause de tout ça, ou parce que j'étais un petit con, je ne me faisais pas énormément d'amis quand j'étais plus jeune. J'ai réussi à m'évader grâce au heavy metal. Cette musique m'a permis de libérer mon imagination et de nombreux musiciens sont devenus de vrais modèles à mes yeux. Mais plus je vieillissais, plus les questions fusaient dans ma tête. Il y avait pas mal de morceaux qui parlaient des asiles, de la folie, mais rien qui me touchait directement et qui reflétait réellement mes expériences. Je me demandais si je n'avais pas tort d'écouter ce genre de musique. Et si ce n'était pas fait pour moi, finalement ? Et puis, en 2002, j'ai découvert le black metal et les portes d'un nouveau monde se sont ouvertes. Enfin un genre entièrement dédié à la dépression ! Et puis non… ça ne me parlait pas davantage. Où sont les morceaux qui parlent des mecs incapables de sortir de leur lit qui passent deux jours sous les couvertures à ne rien faire d'autre que de tripoter les moutons coincées dans leur nombril ? Pourquoi personne n'a jamais écrit sur l'expérience incomparable que représente une journée où vous annulez tous vos plans pour pouvoir vous asseoir sous la douche, pendant six heures, tout habillé ?

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La réponse est simple : parce que tout le monde trouverait ça bizarre et que les morceaux seraient insupportables. D'une certaine manière, j'ai réussi à surmonter tout ça pour me faire une place dans le metal. Il y a quelques temps, j'ai déclaré que je ne pouvais pas être une personne normale et un chanteur metal en même temps. Pourquoi ? Parce que, dans le miroir, derrière ces rides prématurées et les cicatrices que la vie m'a infligées, je vois toujours l'adolescent que j'ai été. Et j'ai l'impression de lui devoir quelque chose.

Je ne prétends pas parler au nom de tous ceux qui souffrent des mêmes problèmes que moi, je mets seulement en avant mon expérience personnelle. Pour montrer aux enfants qui ne seront pas dans la norme et qui, comme moi, trouveront une porte de sortie dans la musique, ce que c'est de jouer dans un groupe quand on a des troubles mentaux.

1. VOUS NE VOULEZ RIEN FAIRE

L'élément-clé de la réussite, c'est de faire les bonnes choses au bon moment. Et l'élement-clé de la dépression, c'est justement d'être incapable de faire les choses au moment où il faudrait que vous les fassiez. C'est comme si toutes les couleurs présentes dans ce monde disparaissaient pour laisser place à une espèce de brouillard gris et poisseux. On pourrait croire que c'est une atmosphère parfaite pour écrire des morceaux bien sombres et malsains, mais quand vous êtes dans cet état, vous ne pouvez rien faire. Absolument rien. Prendre une brosse à dent devient quelque chose de totalement impossible. Prendre une guitare et jouer quelques notes, répondre à des emails ou se souvenir du concert booké dans un stupide élan d'optimisme désespéré : tout ça devient impossible.

2. VOUS VOULEZ TOUT FAIRE

Si le terme « bi-polaire » parle nettement plus aux gens depuis quelques années, je continue à préférer celui de « maniaco-dépressif », car lorsque le brouillard d'un épisode dépressif se dissipe, il est souvent remplacé par un incroyable sentiment d'euphorie et de vitalité. Et là, vous voulez tout faire, peu importe ce que c'est, vous y allez. Un concert au Portugal lundi prochain ? Parfait. Un show à Londres le lundi suivant ? Génial. Une session studio lundi ? Mortel. Vous voyez ce que je veux dire? Vous finissez par prévoir tellement de choses que ça se transforme en une longue rangée de dominos. Et là, la question n'est pas de savoir si l'un d'entre eux va tomber, mais quand il va tomber. Et le résultat n'est généralement pas beau à voir.

3. VOUS AVEZ BESOIN DES AUTRES

« Peut-on parler de satanisme avec un psychotérapeuthe ? » C'est une question qu'on m'a posé dans une interview. Même si on m'a parfois reproché de les dénigrer, j'ai énormément de respect pour le metal et sa culture. Le metal est synonyme de pouvoir, de dignité et de radicalité. C'est un milieu sans compromis. Quand une personne est, comme moi, atteinte de troubles mentaux sévères, elle perd toute notion de pouvoir, de dignité et de radicalité. Et c'est son propre cerveau qui les lui vole. J'ai commencé à réfléchir à tout ça quand j'étais jeune. J'avais un peu honte, parce que je voyais tous ces mecs à l'identité et à l'image très fortes, alors que moi, je dépendais de tout un tas de personnes. Je devais chaque semaine parler à un docteur de mes heures de sommeil, lui dire combien de fois je me masturbais, combien de fois j'avais pensé à me suicider. Et puis je me suis dit : pourquoi est-ce que ce serait si noble de n'avoir besoin de personne ? La plupart des groupes de metal sont, justement, des groupes. On a tous besoin de quelqu'un et c'est très bien comme ça.

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4. VOUS FAITES UN BOULOT QUI VOUS TERRIFIE

En février 2013, j'ai fait une grosse dépression nerveuse, dont je me remets à peine aujourd'hui. Ça m'a pris du temps, mais j'ai réussi à me sortir de cette crise et à la surmonter en me mettant constamment en danger. J'ai invité plusieurs musiciens à jouer dans mon projet, que je menais seul depuis 9 ans. J'ai commencé à jouer live en 2009, en me retrouvant par fois tout seul sur scène. Avant ça, j'évitais tous les défis, tous les conflits et tout contact humain, au point de rester enfermé chez moi pendant des semaines, sans répondre au téléphone. Je vivais en ermite. Sortir de ma zone de confort m'a permis d'aller de l'avant. Je fais aujourd'hui des choses qui me terrifient, mais c'est bon pour moi de flipper, de me mettre en danger. Si tu ne ressens pas la peur, ça veut dire que rien ne change autour de toi. Quand tu es au fond du trou, tu ne ressens rien. Et je préfère encore me chier dessus parce que j'ai cassé une corde sur scène que de ne rien ressentir.

5. VOUS NE SEREZ JAMAIS POTE AVEC TOUT LE MONDE DANS LE METAL

J'ai suscité pas mal de réactions négatives il y a quelques temps en exposant mes opinions politiques très libérales dans une interview. Mon autisme me rend plus susceptible que la moyenne et j'ai beaucoup de mal à comprendre les gens en face de moi, ce qui fait que je suis généralement hyper naïf ou complètement parano dans mes relations avec les autres. Je suis de fait très agressif et négatif. Mais il faut que je me fasse à l'idée que des tas de gens ne partagent pas mes opinions. Que je me construise une carapace, en quelque sorte. En même temps, dans un milieu tel que le metal, je ne pouvais que m'y attendre. Que serait le metal s'il était toujours d'accord avec tout et tout le monde ? Il n'y aurait plus ce coté fun et revendicateur.

Les conflits font partie de ce milieu et tout le monde doit en tenir compte, moi le premier. On ne s'entendra jamais tous, parce que certains d'entre nous sont d'odieux misanthropes qui préfèrent la musique aux hommes. C'est comme ça. Et je pense que c'est une bonne chose.

Mais bon, en même temps, je suis juste un taré.

Caïna est sur bandcamp. Andy est parfois sur Twitter.