FYI.

This story is over 5 years old.

Music

Jonathan Mannion est un des meilleurs photographes hip-hop que New York ait connu

Il nous parle de sa session avec Aaliyah, de sa relation avec Jay-Z, et du jour où il a mis DMX dans une baignoire pleine de sang.

Aaliyah par Jonathan Mannion.

Jonathan Mannion est un des meilleurs photographes hip-hop que New York ait connu. Il a commencé à shooter dans les années 90—après avoir travaillé aux côtés de Richard Avedon—et a très rapidement imposé son nom et son style, notamment grâce à la pochette du Reasonable Doubt de Jay-Z. Depuis, il a pris en photo toute la royauté rap, de Lil Wayne à Chris Brown, en passant par Eminem, Lauryn Hill, A$AP Rocky et Aaliyah. Son site donne ni plus ni moins l'impression de visiter un musée hip-hop, et son compte Instagram montre qu'il est plus actif que jamais et qu'il traîne régulièrement avec des gens comme Kendrick Lamar, Swagg Man, ou Swizz Beatz.

Publicité

Ce qui différencie Mannion des autres photographes, c'est sa vision des choses : il fait faire aux rappeurs des trucs qu'on ne les imaginerait pas normalement faire, du genre mettre DMX dans une baignoire pleine de sang ou déguiser Old Dirty Bastard en Rick James, ou Lil Wayne en astronaute. C'est un photographe traditionnel qui joue subtilement avec l'absurde dans ses portraits.

Mannion met aujourd'hui fin à dix ans de photographie en fermant définitivement les portes de son studio New-Yorkais, pour, peut être, reprendre les choses à zéro. Car pour Mannion, le futur est plein d'espoir et de liberté. Entre deux cartons, on a discuté de ses moments préférés et de ses futurs projets.

jonathan mannion

Jonathan Mannion par Katie Piper. Noisey : Tout a commencé en 1995, c'est ça ? Pourquoi t'as une telle affinité avec les artistes hip-hop ?
Jonathan Mannion : C'est ça. Je suis à New York depuis 1993, et j'ai ouvert mon studio il y a 10 ans, en août 2003. J'entame maintenant ma troisième décennie à New York, même si je ne sais pas si je serai encore ici en 2023. Qui sait ? Quand je suis arrivé ici, je travaillais pour Richard Avedon, j'étais un de ses quatre assistants. Ça a duré un an, après quoi j'ai bossé pour Steven Klein et Ben Watts, qui m'ont permis de perfectionner ma technique et m'ont fait réaliser que la photographie hip-hop était mon truc. Je suis fan de rap depuis 1988-89, mais c'est plus tard, avec les émissions des college radios et les soirées à la fac de Kenyon, que j'ai vraiment commencé à m'y intéresser sérieusement. J'étais diplômé en arts et en psychologie, deux matières qui j'ai réuni dans la photographie, et auxquelles j'ai ajouté le hip-hop, qui était au centre de mes préoccupations musicales.

Publicité

Tu parles de psychologie, comment utilises-tu cet élément dans ton travail ? Essaies-tu de faire sortir de leur personnage les sujets que tu photographies ?
Je pense qu'il y a vraiment des éléments déterminants dans chaque session. Ces éléments changent seconde après seconde, ils changent également au fil des années. Le Jay Z de Reasonable Doubt est différent du Jay Z d'aujourd'hui. Le Jay Z de Black Album est différent de celui qu'il a été à n'importe quel autre moment de sa carrière. Il est important que je puisse discuter avec mon sujet, que je puisse puiser dans ce qu'il est vraiment, dans sa personnalité. Cette interaction est essentielle si l'on veut vraiment réussir une photo. Ce travail a été particulièrement gratifiant et m'a permis de réaliser un rêve. Je crois avoir vraiment choisi la bonne profession.

Nas God's son

La pochette du God's Son de Nas. Tu peux me parler de la photo que tu as fait pour Nas ? Elle a quelque chose d'intemporel.
Sur la pochette de God’s Son, Nas semble calme et concentré, mais à l'intérieur il était libre et heureux. C'est comme s'il se souvenait d'une époque où les choses étaient moins difficiles, moins violentes. C'était cool de mettre de côté les voitures, les bijoux pour se concentrer uniquement sur lui et sur ce qui se passait dans sa tête à ce moment très précis. Bien sûr, parfois c'est cool de sortir tous les accessoires bling-bling du placard, ça marche aussi. J'ai fait plein de photos comme ça. L'important c'est de saisir le moment, de bien comprendre la personne que tu as en face de toi, de savoir ce qu'elle veut, et d'en faire quelque chose d'unique, de jamais vu auparavant. C'est ce qui m'a permis de me renouveler et de rester constamment excité par ce métier. Chaque photo doit faire la différence.

Publicité
jay-z reasonable doubt

Jay-Z sur la pochette de Reasonable Doubt. Tu as beaucoup travaillé avec Jay-Z, qui est quelqu'un d'assez exigeant. Comment t'en es-tu sorti ?
J'ai eu énormément de chance d'avoir photographié la pochette de R_easonable Doubt_. C'est bizarre, mais il est né un jour après moi, à un an d'écart. L'énergie d'un Sagittaire est très particulière. Elle est complémentaire d'autres énergies, particulièrement celle d'autres Sagittaires. Je pense que Jay-Z a rapidement compris que ma vision des choses était différente de celle des autres photographes avec qui il avait bossé. Il avait fait des tonnes de recherches, il avait apporté des bouquins et il m'a dit : « C'est par là qu'on doit aller, et je vais t'expliquer pourquoi ». Et il savait que j'avais vraiment envie que ce projet marche… Et ça a marché !

C'était ma toute première pochette d'album. J'ai ensuite fait In My Lifetime, Vol 1… Puis le Volume 2… Puis Dynasty… Et encore après The Black Album… Huit albums au total. Je pense que c'est un des plus longs parcours de l'histoire du hip-hop entre un artiste et un photographe. Tout le monde cherche toujours le nouveau truc qui va marcher, mais si quelque chose fonctionne et que tu le sens bien, pourquoi changer ? J'ai eu de la chance de passer autant de temps avec Jay. Tous ces projets, toutes ces images ont établi la base de ce qu'il allait devenir. Je parle peu quand je suis avec Jay, alors que je suis plutôt bavard en temps normal, mais quand il entre dans une pièce, c'est comme s'il apportait une lumière avec lui. C'est quelqu'un que j'admire et que je respecte énormément.

Publicité
DMX

DMX par Jonathan Mannion.

Comment est-ce que tu t'y prends pour imposer tous ces trucs aux artistes ?
Je ne pense pas que grand monde ait mis DMX dans un bain de sang. Ou demandé à Old Dirty Bastard de se déguiser en Rick James. Lil Wayne en astronaute, c'était un grand moment aussi. C'est toujours ce truc de repousser les limites. Et puis il y a des moments où ça te tombe dessus, comme par miracle. Pour le shoot d'Outkast pour ATliens, on a passé une journée entière ensemble. Ce « droit d'entrée », c'est le plus beau cadeau qu'on puisse faire à un photographe. C'est ce qui permet aux artistes d'oublier l'appareil et qui provoque ces instants particuliers. Je cherche toujours à donner la vision la plus authentique possible des gens que je photographie. Certains artistes m'ont avoué que mes photos leur renvoyaient la même image que celle qu'ils avaient devant leur miroir. C'est ce que je cherche. La réalité, c'est tout ce qui compte pour moi. Je ne cherche pas à imposer des visions farfelues, ou à créer des mondes factices pleins de boules discos, de Ferraris et de licornes. Je suis un photographe traditionnel. Je veux mettre en évidence le coeur et l'âme de la personne que je photographie, tout en la faisant paraître absolument flamboyante. Je cherche tout simplement à tirer le meilleur de la situation. Je veux qu'on se souvienne de moi comme celui qui a pris une photo géniale d'eux.

Publicité
outkast

Session d'OutKast pour The Fader par Jonathan Mannion.

Tu as déjà enseigné ? Tu as une personnalité assez inspirante.
C'est la direction que je prends, c'est certain. J'ai donné des conférences à l'Apple Store de Soho, à la Soho House à Berlin et je suis souvent intervenu à la School of Visual Arts. Plus récemment, j'ai participé à une discussion TEDYouth avec 400 gamins, à la Nouvelle-Orleans. C'était un honneur d'être choisi pour un tel évenement.

En parlant d'inspiration, ce qui m'inspire et guide mon travail c'est l'idée de prendre le portrait définitif d'une personne à un moment donné. C'est le concept qui régit tous mes clichés. Le truc, c'est de choisir les moments qui révèleront l'essence même du personnage. Par exemple, j'ai photographié Notorious BIG sur scène au Palladium, en 1995. C'est un moment qui n'existera plus jamais. J'ai du me battre pour monter sur scène et avoir l'angle parfait. Je croyais en ce que je faisais et j'ai vu que ça pouvait, visuellement, élever le rap dans son ensemble. C'est devenu mon but et ça l'est toujours aujourd'hui.

Biggie au Palladium en 1995 par Jonathan Mannion.

L'un de tes shoots les plus mémorables était avec Aaliyah. Tu peux nous raconter ?
C'était une session incroyable. J'y ai mis toute mon âme, je voulais vraiment obtenir les plus belles photos d'elle à ce jour. Il s'est avéré que c'était son ultime shoot, vu qu'elle nous a quitté peu de temps après. Tout reposait sur cette connexion qui s'est établie entre nous, sur notre volonté de faire des ces images quelque chose d'important. On a tout donné et ces photos montrent à quel point elle était unique. C'est primordial de TOUJOURS se donner à 100%.

Publicité
drake jonathan mannion

Drake par Jonathan Mannion. Tu as fait une session il y a quelques années avec Drake, qui est super touchante. Tu peux nous en parler ?
J'étais sur le chemin de Toronto avec Drake, on devait faire un shoot pour le magazine The Fader, et il m'a dit qu'il voulair s'arrêter en route pour annoncer sa signature sur Cash Money à sa grand mère. J'ai demandé si je pouvais venir avec lui à la maison de retraite. Je voulais prendre un maximum de photos de Drake, pour montrer les différentes facettes de sa personnalité, et la profondeur de son personnage. C'est un artiste que j'admire vraiment.

Je me suis retrouvé avec une série de photos incroyables de lui et de sa grand-mère en pleine conversation. Il a dit à sa grand-mère qu'il venait de signer un contrat de plusieurs millions de dollars et qu'il pouvait lui offrir ce qu'elle voulait. Il lui a demandé : « Grand-mère, qu'est ce que tu veux ? » Et elle a répondu : « Je veux juste un câlin et un baiser de mon petit-fils ». C'est pour ces moments là qu'on est sur Terre, pour le contact humain. La vie vaut bien plus que cette lutte sans répit dans laquelle nous sommes tous lancés.

Le truc le plus drôle qui te soit arrivé sur un shoot, récemment ?
MC Serch de 3rd Bass est l'un de mes meilleurs amis. Il va présenter une émission sur CBS en janvier et j'ai fait une session avec lui il y a quelques semaines. À chaque fois qu'on est dans la même pièce, on finit toujours par pleurer de rire tous les deux. C'est un type vraiment marrant, et on s'est toujours soutenu mutuellement. J'avais cette énorme banane Warhol gonflable dans mon studio et il s'est tout à coup mise à la serrer et à la tenir comme un chiot, puis il a explosé de rire, et ça a dégénéré en humour bite-nichons. Je n'arrivais même plus voir ce que je photographiais, tellement je riais. C'est un type unique et je suis fier de le considérer comme un frère (d'une autre mère).

Nadja est la définition même du mot « génial ». Elle est sur Twitter - @Nadjasayej.